Travailleuse du sexe, militante des droits des personnes travailleuses du sexe, et artiste, María Riot travaille souvent pour les productions d’Erika Lust, l’une des pionnières du porno éthique et féministe. C’est d’abord en tant que performeuse X qu’elle s’est rendue compte de la nécessité du travail de coordination d’intimité, comme elle le raconte à Madmoizelle.
Interview de María Riot, performeuse X et coordinatrice d’intimité
Madmoizelle. Quand et comment as-tu commencé dans le porno ?
María Riot. J’ai commencé à faire du porno il y a environ dix ans. Ça faisait longtemps que j’étais attirée par la dimension artistique que cela peut avoir, l’expression de soi que cela permet. Je n’ai jamais travaillé pour l’industrie du porno mainstream. Cela ne m’a jamais intéressée. Je me suis directement dirigée vers les studios indépendants, car j’ai compris que je pourrai y exprimer ma fibre artistique, mais aussi y défendre mes idées politiques.
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Pourquoi est-il important pour toi de faire du porno un outil politique ?
Pour moi, il est important de faire du porno avec une perspective féministe et avec un sens politique, parce que je pense que tout peut être politique et que si on donne un sens à quelque chose et qu’on fait les choses d’une manière différente, on peut changer les choses. Avec le porno indépendant, je pense qu’on peut changer l’industrie mainstream. Je veux participer à proposer une nouvelle façon de faire les choses, et surtout lutter pour de meilleures conditions de travail du sexe, mettre les travailleuses du sexe au premier plan de cette industrie. Je pense que beaucoup de gens ont beaucoup d’idées fausses sur la pornographie et le travail du sexe en général. Donc pour moi, faire du porno, c’est à la fois mon travail, à la fois une façon de lutter dans ce monde qui veut policer, contrôler, réfréner, normer nos sexualités et nos corps. C’est ma façon de faire de la résistance.
Le porno mainstream semble de plus en plus s’inspirer du porno indépendant, et les talents circulent de l’un à l’autre : as-tu l’impression que les frontières se brouillent entre les deux ?
La division entre le porno grand public d’un côté et le porno éthique et féministe de l’autre devient plus floue justement parce que les choses changent. De nombreuses personnes qui travaillent dans l’industrie grand public font également du porno indépendant ou produisent leur propre contenu sur des plateformes encore différentes [NDLR : comme OnlyFans ou Just For Fans], donc tout est plus complexe que ce que nous pensons. Pour moi, la plus grande différence est que dans le porno grand public, je ne suis pas embauchée parce que je ne corresponds pas à la plupart des normes en vigueur. Et je préfère aussi travailler dans le porno indépendant, plus lié à l’art et à la politique, car c’est ma façon d’exister.
Comment tu te prépares avant un tournage en tant que performeuse ?
Avant un tournage, j’apprends le scénario s’il y en a un, je discute avec les autres performers pour explorer ce qui va se passer en plateau. On doit beaucoup se préparer s’il s’agit d’un long set, mais parfois les choses sont plus décontractées en cas de scène courte ou si l’on connaît déjà bien les autres performers. Il y a aussi beaucoup de documents à compléter et signer, notamment sur les choses que l’on accepte de pratiquer ou non : c’est très contractualisé. En amont du tournage, il y aussi ce qu’on appelle une « sex talk », c’est-à-dire une conversation ouverte où l’on évoque ce qu’on accepte de faire ou non, sous quelle conditions, etc. En parler avec les autres performers, en présence de la personne coordinatrice d’intimité, aide à se sentir plus à l’aise durant le tournage ensuite. Ma préparation consiste aussi à me détendre, à profiter un maximum, car c’est aussi un métier que j’ai choisi parce qu’il me procure beaucoup de joie, personnellement.
Il arrive que les sexes de scène dans le porno ne soit pas scénario : qu’en penses-tu ?
Je préfère que les scènes de sexe ne soient pas scénarisées car ça nous permet de nous sentir plus libre, de suivre notre propre rythme, de s’écouter vraiment, d’être plus attentif·ve·s à ce qu’il se passe dans l’instant présent, et de ne surtout pas se forcer à faire des choses dont on aurait pas ou plus envie. Ce n’est pas parce que ce n’est pas scénarisé qu’on peut faire n’importe quoi, puisqu’on a justement préparé, écrit, et discuté de ce qu’on voulait bien faire ou non avec ses partenaires.
Et que se passe-t-il en cas d’infraction à ce qui était prévu durant un tournage ? Ça t’est déjà arrivé ?
C’est possible qu’il y ait un problème durant le tournage, oui, mais comme dans n’importe quel autre travail, en fait ! Je pense que les problèmes que j’ai pu avoir en plateau sont vraiment similaires à ce qui a pu m’arriver dans d’autres secteurs professionnels qui n’étaient pas du porno ou du travail du sexe. Les violences sexistes et sexuelles traversent tous les champs pro, pas que le porno et le travail du sexe. Cette hyperfocalisation morale sur le travail du sexe me paraît délétère. Et à mon avis, c’est grandement dû au fait qu’une partie du grand public refuse de considérer le travail du sexe comme du travail. Désolé de casser des fantasmes, mais quand vous matez du porno, vous regardez des gens travailler, en fait. Nous vivons dans un monde patriarcal où beaucoup de choses misogynes peuvent arriver. Y compris dans le cinéma tout public, comme l’illustre #MeToo, d’ailleurs.
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À mon avis, c’est un problème qu’on moralise autant l’industrie pornographique et le travail du sexe en général, qui est traversé par des violences que je ne minimise pas, mais je veux juste rappeler que ces violences existent aussi dans d’autres secteurs (à des degrés différents, bien sûr). Nous, les travailleuses du sexe, sommes les premières à vouloir changer cela. On se syndique pour améliorer nos conditions de travail, s’entraider, se soutenir, et nous battre pour nos droits. Quand des problèmes surviennent en plateau, c’est souvent par manque de communication, car les choses n’ont pas été suffisamment clarifiées en amont ou pendant, généralement. Heureusement, ce genre de problème de violence devient de moins en moins possible grâce à la présence de personne coordinatrice d’intimité.
À quoi sert un·e coordinateur·e d’intimité dans le porno ?
Une personne coordinatrice d’intimité tient un rôle crucial. C’est le tiers de confiance neutre dans une production, à qui vous pouvez confier le moindre problème, la moindre inquiétude, ou prérequis. Cette personne n’est pas empêtrée dans les éventuelles dynamiques de pouvoir pouvant exister entre la personne réalisatrice et les performers. Ces dernier·e·s pourraient avoir peur d’aller parler directement à la personne réalisatrice, de peur de sembler pénible, par exemple, mais la coordination d’intimité sert à ça. Elle vous est dédiée. Elle sert d’intermédiaire entre les performers, la réalisation et la production.
Pourquoi as-tu voulu devenir coordinatrice d’intimité, en plus d’être performeuse ?
J’ai voulu devenir coordinatrice d’intimité suite à une mauvaise expérience avec une réalisatrice débutante. Elle n’a pas donné d’instructions claires aux performers, et ça s’est mal passé. Je ne voulais pas que cela se reproduise, ni pour moi, ni à d’autres personnes, alors j’ai commencé à me renseigner auprès de coordinatrice d’intimité, notamment sur des tournages d’Erika Lust. Je me suis formée sur le tas, et ça me procure énormément de joie d’aider mes collègues à s’épanouir du mieux possible dans leur travail, en faisant de la prévention et réduction des risques grâce à la communication.
À mon avis, être également performeuse fait de moins une meilleure coordinatrice d’intimité, car ça m’aide à mieux comprendre ce dont mes collègues ont besoin, etc.
J’aide les gens à mieux se connaître, à trouver leurs limites en fonction des contextes et de chaque personne avec lesquels iels interagissent. On est tou·te·s différent·e·s : certain·e·s vont vouloir parler beaucoup, d’autres préfèrent écrire. Certain·e·s performers jugent même la coordination d’intimité inutile, ou ne savent même pas ce que c’est. Alors qu’en réalité, cela devient de plus en plus commun, à commencer par Hollywood, grâce à #MeToo. Des coordinatrices d’intimité y travaillent aussi bien pour les scènes d’amour que pour celles de combat !
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En réalité, avant que ce métier ne se démocratise dans le porno, les performers faisaient déjà du travail de coordination d’intimité car on avait déjà ce genre de « sex talk » lors de nos premières rencontres préparatoires, pour savoir ce qu’on trouvait ok ou non, apprendre à se connaître, dire ses limites, ses désirs, et envies du moment. On avait déjà de longues conversations sur le consentement, y compris sur les parties du corps où l’on ne veut pas être touché·e, y compris sur celles qu’on ne veut pas montrer à l’écran, etc. Beaucoup d’entre nous avions déjà l’habitude de détailler tout cela. À mes yeux, les gens qui s’opposent à la coordination d’intimité dans le porno, le cinéma, les séries ou le théâtre, le font par peur du changement. Mais dans la plupart des cas de détracteur·e·s, il s’agit plutôt d’un réflexe de personnes qui ont peur de perdre des privilèges à travers ce changement. On doit remercier #MeToo pour ça, qui a eu beaucoup d’impact dans nos sociétés, y compris dans le porno. Y compris dans cette industrie tant diabolisée, beaucoup de personnes courageuses ont pris la parole afin que les choses changent pour le mieux. Grâce à ce regain d’élan féministe, nous nous rappelons que nos voix comptent aussi.
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