Dix parlementaires, membres du mouvement de droite Oser la France, ont adressé un courrier au procureur de la République de Paris pour y dénoncer « l’exhibition sexuelle » dont aurait fait montre l’actrice Corinne Masiero en se dénudant durant la cérémonie des César qui a eu lieu le 12 mars 2021.
« La liberté d’expression ne saurait tout justifier »
Parmi ces hommes politiques, Julien Aubert, député LR du Vaucluse, a publié sur Twitter le 16 mars un communiqué expliquant leur démarche, ainsi qu’une copie de la lettre adressée au procureur de la République le même jour :
« Nous souhaitons attirer votre attention sur les dispositions de l’article 222-32 du Code pénal lequel dispose que l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euors d’amende.” […] Il est vrai que la liberté d’expression autorise une certaine forme d’expression corporelle dès lors qu’elle s’inscrit dans une démarche de contestation politique. Pourtant, la liberté d’expression ne saurait tout justifier. »
Même si la retransmission des César a enregistré parmi ses pires audiences (1,6 million de téléspectateurs, d’après Médiamétrie, un seuil qui n’avait pas été atteint depuis 2010), cela n’empêche pas les parlementaires d’avancer l’argument des enfants, qui ont toujours bon dos, dans leur lettre :
« La cérémonie des César a été retransmise en direct en première partie de soirée devant des centaines de milliers de téléspectateurs, dont des enfants, et dans un objectif de lisibilité des artistes pendant la période difficile de la pandémie sanitaire. »
Article initialement publié le 15 mars 2021
Après être arrivée à la 46e cérémonie des César en portant un gilet jaune traversé des mots « No Culture, no future » le 12 mars 2021, la comédienne Corinne Masiero est montée sur scène remettre le prix du Meilleur costume. En tenue de Peau d’Âne, couverte de faux sang.
Avant de la retirer pour révéler une nuisette ensanglantée, telle Carrie au bal du diable, de Brian De Palma, avec des tampons usagés en guise de boucles d’oreilles.
Puis de se mettre complètement à nu devant les 150 personnes présentes physiquement à l’Olympia pour les César et les 1,6 millions de téléspectateurs.
Afin de dénoncer la crise qui rend exsangue le secteur de la culture, la comédienne a même écrit sur son torse : « No culture, no future » , et « Rends l’art, Jean [Castex] » dans son dos.
https://twitter.com/canalplus/status/1370497749498609667?s=20
Aussitôt, Canal+ aurait tenté de différer sa retransmission en direct pour juguler ce happening politique, tandis que les réseaux sociaux grouillaient déjà de réactions. Si certains saluent le courage de l’héroïne de la série Capitaine Marleau, beaucoup y vont de leurs petits commentaires sexistes, âgistes et classistes.
Un double standard sexiste, amplifié d’âgisme et de mépris de classe
En effet, ses détracteurs ont puisé dans le genre, l’âge, et la classe sociale d’origine de Corinne Masiero pour fustiger son geste. Qu’ils trouvent vulgaire et indécent quand il s’agit d’une femme de 57 ans, dont ils évoquent volontiers le passé de SDF, marqué par la drogue et la prostitution.
Ce même geste ne causait pourtant guère plus que des rires et des applaudissements lorsqu’il s’agissait du comédien Sébastien Thiéry aux Molière en 2015. Après l’avoir laissé dérouler pendant plus de quatre minutes son discours pour alerter sur la précarité du secteur théâtral, le présentateur de la soirée Nicolas Bedos invite à ce qu’on réapplaudisse « le génial Sébastien Thiéry ».
Quand on compare les réactions amusées face à cet homme d’alors 44 ans, versus l’indignation suscitée par Corinne Masiero, le double standard saute aux yeux. Les réactions auraient-elles été aussi violentes s’il s’agissait d’un homme, ou d’une actrice plus bourgeoise du même âge, comme Juliette Binoche ? Dans un autre discours de cette même soirée mouvementée, l’actrice et réalisatrice Jeanne Balibar a également dénoncé l’âgisme du cinéma français :
« En France, les femmes de plus de 40 ans représentent 51% de la population, et 8% des rôles. [Je ne parle même] pas du temps de présence à l’écran, où l’on doit être à peu près à 2%. »
Ce qui est sûr, c’est que les corps mis à nu servent d’outil de dénonciation politique depuis belle lurette. Pour montrer qu’on n’a plus rien. Et/ou alors pour attirer l’attention, comme le font les Femen avec leur poitrine dénudée comme une arme afin de troubler l’ordre policier et visibiliser leurs luttes dans les médias. Est-ce parce qu’elles sont majoritairement jeunes que leurs actions suscitent moins de procès en vulgarité ?
La nudité comme cheval de Troie médiatique et politique
Revenant sur l’événement auprès du Parisien, Corinne Masiero souligne elle-même la dimension sexiste et âgiste de la vague d’indignation suscitée :
« On est dans une société patriarcale : on ne doit pas montrer son cul quand on a passé 25 ans et qu’on ne fait pas du 36. »
Mais elle préfère se concentrer sur les soutiens reçus à l’international, preuve que son opération a réussi :
« C’est rassurant de savoir qu’en France et dans le monde, des tas de gens ont envie que cela bouge. Ce n’est pas seulement pour la réouverture des salles de cinéma ou de spectacles que l’on se bat mais pour les soignants, les commerçants. »
Car c’est bien là que réside toute la prouesse de la nudité comme booster de visibilité médiatique et politique. En plus de se servir des César comme porte-voix, Corinne Masiero instrumentalise en prime ses détracteurs. Tellement occupés à s’indigner, qu’ils réagissent en partageant son corps mis à nu par la crise. Où elle a écrit en toutes lettres le message politique qu’ils refusent d’écouter.
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Le corps nu d'une femme de 57 ans est une arme de déstabilisation massive