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Les seins peuvent-ils devenir une tendance comme les autres ?
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La mode de luxe ne sait pas quoi faire de nos seins

S’ils peuvent encore susciter une condamnation pour « exhibition sexuelle » dans l’espace public, ou la censure sur Facebook et Instagram, les seins, petits, tombants, ou allaitants, deviennent une tendance forte de cette Fashion Week. Mais cette récupération body-positive du mouvement #FreeTheNipple a ses limites.

La mode adore jouer avec les attendus et interdits vestimentaires afin de les interroger, voire tenter de s’en émanciper. Parmi eux, la poitrine des femmes joue une place centrale. Tantôt suggérée sous des vêtements moulants ou décolletés, tantôt exhibée sans rien à ce niveau ou juste une matière transparente…

Seulement, à force d’être tentée lors des défilés sans que cela ne soit réellement praticable dans l’espace public, la question sociale de la libération de la poitrine des femmes (#FreeTheNipple), reformulée par l’industrie de la mode, apparaît parfois comme une vaine provocation.

Les seins passent d’une contrainte technique à un motif de création

Pour ce printemps-été 2021, la poitrine est devenue un motif (au sens de motivation, mais aussi d’imprimé) de création à part entière. Plus que pris en compte dans le design du vêtement (ce qui devrait être la moindre des choses…), les seins sont reproduits avec réalisme ou surréalisme à travers la matière. Dans le point d’une maille chez la Britannique Stella McCartney, le moulage d’un plâtre ou de cuir doré pour la maison française Schiaparelli, ou encore les broderies colorées façon trompe-l’oeil du côté de l’américain Christopher John Rogers.

Et la tendance se confirme pour l’automne-hiver prochain (qui vient de défiler ces dernières semaines de février-mars 2021), comme cela a sauté aux yeux de l’anthropo-linguiste Saveria Mendella :

« L’industrie de la mode a l’habitude de montrer des seins avec plus ou moins de subtilité pour faire parler. Ce qui semble nouveau aujourd’hui, c’est qu’elle tente de les montrer dans une plus grande pluralité. C’est particulièrement frappant chez Schiaparelli : les seins peuvent être montrés de taille généreuse, allaitants, ou encore tombants. Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, a teasé son défilé par des vidéos d’artistes femmes, dont la Française Marion Fayolle qui a dessiné une animation surprenante de sein gonflable. »

 

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Une publication partagée par Dior Official (@dior)

En d’autres termes, le luxe tente d’envoyer le signal qu’il a enfin compris que toutes les femmes n’ont pas les mêmes seins. La plupart des mannequins ont une poitrine menue, car cela fait partie des mensurations attendues par cette industrie très standardisée. Mais puisque la vague body-positive touche enfin ce secteur, celui-ci tente d’y répondre comme il peut.

Le male gaze morcelle le corps des femmes et standardise les seins

Or, ce milieu reste peuplé d’hommes aux manettes. Comme le souligne dans un post Instagram la créatrice roumaine basée à Londres Alexandra Sipa, aux 40 postes de direction artistique des principaux groupes de luxe que sont LVMH, Kering, Only The Brave, Richemont et Puig, on ne compte que 5 femmes. Alors forcément,

quand des hommes, souvent gays, dessinent leur vision des seins des femmes, ils tombent rapidement dans les clichés. Saveria Mendella développe en ce sens :

« La plupart des directeurs artistiques de grandes maisons sont des hommes. Comme Matthew Williams à la tête de Givenchy qui fait défiler des femmes entièrement habillées sauf au niveau des seins, comme pour créer une shock value. Ou Daniel Roseberry chez Schiaparelli qui reprend les codes iconographiques de la Vierge Marie à l’enfant. Sauf que sa Madone à l’enfant n’a rien d’iconoclaste, au contraire : elle déifie la figure maternelle. C’est comme si ce Fashion Month rejouait, au niveau des seins, la sempiternelle opposition entre la vierge et la putain. Alors que la plupart des femmes veulent surtout qu’on laisse leur poitrine tranquille, qu’on arrête d’y prêter tant d’attention. »

 

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Selon l’experte du langage de la mode, la bonne nouvelle de la diversification des poitrines présentées, dans leur forme et leurs fonctions, s’avère encore trop genrée et bourrée de male gaze :

« Les hommes aussi ont des seins, qu’ils soient plats, musclés ou gras, qu’on pourrait érotiser. Le fait qu’on continue de réifier, d’objectifier autant ceux des femmes reste limité, voire usant. En prolongement du male gaze, la mode féminine fonctionne encore beaucoup par découpage, morcelage du corps des femmes. Elle rend tendance des parties, comme les épaules une saison, puis la taille, ou encore les fesses. Maintenant, l’industrie veut se montrer ouverte en montrant des seins pluriels, mais propose en fait de nouveaux standards imposés. Parce qu’on peut être menue avec une forte poitrine, ou grosse avec de petits seins, par exemple. »

Et cette réalité de la diversité des morphologies va à l’encontre de la logique de gradation homogène du sizing qui règne dans la mode, où l’on ajoute automatiquement quelques centimètres d’une taille à l’autre. Comme si on grandissait ou grossissait toutes pareilles, de façon régulière. Autrement dit, en voulant mettre en avant qu’il prend enfin mieux en compte les seins dans le design des vêtements, le prêt-à-porter de luxe souligne en creux ses propres limites en la matière.

 

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À la doctorante à l’EHESS, Saveria Mendella, de conclure :

« Encore aujourd’hui, les seins font jaser, dans la mode comme dans la société. Et c’est justement ce que la plupart des femmes ne veulent plus, en fait ! »

À lire aussi : La tendance des hauts à épaules dénudées crie au vaccin anti-Covid : « My body is ready ! »


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