« Si je vois un insecte, je hurle. Quand quelque chose me fait peur ou sursauter, je crie. C’est comme ça, ça vient naturellement. Cette propension à donner de la voix a été déterminante pour décrocher mon premier job d’actrice. »
C’est ainsi que se décrit l’actrice Ashley Peldon, dans les colonnes de The Guardian, le 8 avril dernier. Vous l’ignorez, mais vous l’avez certainement entendu dans Paranormal Activity : Next of Kin (William Eubank, 2021), Free Guy (Shawn Levy, 2021) ou encore Scream (Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett, 2022). La comédienne américaine est une drôle de « cascadeuse » comme elle se caractérise elle-même : elle intervient lors de la postproduction, durant le doublage et elle est payée… Pour crier dans les films d’horreur ! Elle double les scènes qui pourrait s’avérer dangereuses pour les voix des acteurs ou qu’ils n’arrivent pas à interpréter.
Enfant, Ashley rêvait d’être actrice. Elle a grandi à New-York dans les années 1980 où sa sœur et elle, ont été repérées très jeunes par les professionnels du grand écran. À l’âge de 7 ans, elle a décroché son premier rôle dans le film Child of Rage, réalisé par Larry Peerce en 1992. Déjà, la petite fille devait jouer de longues scènes de cris et de hurlements, telle une prémonition sur le virage atypique que prendra sa carrière quelques années plus tard, comme elle s’en rend compte aujourd’hui :
« Rétrospectivement, ce film a été un tournant tant au niveau professionnel que personnel. »
Le monde du doublage des films d’horreur
À 20 ans, le CV de Ashley était déjà très impressionnant : elle avait tourné dans plus de 40 films et séries télévisées. Mais à la fin des années 2000, la jeune actrice a décidé de donner un virage audacieux à sa carrière :
« Aspirant à une existence plus tranquille, j’ai décidé, à la fin des années 2000, de ne plus apparaître à l’écran, afin de me consacrer au travail de doublage. J’ai eu la chance de décrocher des rôles qui m’ont permis de vraiment jouer avec ma voix, et les cris sont devenus ma spécialité. »
Être « artiste du cri », comme elle se définit elle-même, demande certaines compétences. Pour Ashley, il s’agit de devoir maîtriser de subtiles modulations dans la voix et déterminer si le cri doit avoir des moments de culmination ou rester constant.
Que ce soit dans la fiction ou dans la réalité, il existe plusieurs types de cri. En effet, on ne hurle pas de la même manière si notre vie est en danger ou si on est simplement surpris. En doublage de cri de films d’horreur, c’est exactement la même logique, comme l’explique Ashley :
« Dans les histoires de fantômes par exemple, on utilise souvent des hurlements et des cris stridents pour faire partager l’expérience de la peur. »
Le temps des cris de demoiselle en détresse est révolu
« En tant qu’acteur, on pousse toutes sortes de cris, et il y a parfois un hiatus entre ce que l’on ferait dans la réalité et ce que les gens s’attendent à entendre à l’écran. »
Mais ces doublages de cri reflètent-ils fidèlement le comportement qu’on adopterait dans la vraie vie ? Ashley est réaliste : la plupart des gens lorsqu’ils sont surpris, ou encore effrayés, se contentent de retenir leur souffle et ne lâchent aucun bruit. Mais à l’écran, cela ne créerait pas assez de tension.
« On pense souvent aux classiques hurlements de Fay Wray dans King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) ou de Janet Leigh dans Psychose (Alfred Hitchcock, 1960). Ce sont de beaux cris, mais ce sont aussi des cris de demoiselles en détresse. Aujourd’hui, les femmes expriment bien plus de rage. Il y a moins de rôles de “femmes terrifiées” et davantage de personnages provocateurs. »
Ashley assure avoir été témoin de cette évolution de la place des femmes dans l’industrie cinématographique états-unienne. Selon elle, les actrices décrochent aujourd’hui des rôles plus importants et profonds qu’il y a trente-ans. Les femmes deviennent des super-héroïnes qui luttent et dévoilent leurs émotions à vif, tout en prenant les devants dans les films d’action et les séries.
Doubleuse de cri, une profession relaxante
« Il existe d’innombrables types de cri : de peur, de colère, de rage. On peut crier de joie, en cas de succès, et il y a ce cri profond de l’émancipation féminine. Il y a le gémissement de douleur et de chagrin, et le cri de l’effort et du combat. »
Ashley confie que le plus difficile pour elle est de réaliser les cris exprimant d’intenses douleurs. Face à un personnage abattu par le chagrin ou encore en état de choc, Ashley souvent se sent illégitime et mal à l’aise. Diplômée d’un doctorat en psychologie, elle se définit comme étant une personne très emphatique, ce qui peut dans son métier être tout autant un avantage qu’un inconvénient.
Au quotidien, Ashley prend soin de son outil de travail, ses cordes vocales, en buvant beaucoup de thé. La jeune femme ne regrette nullement d’avoir choisi le cri pour profession, car aussi paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, elle n’a jamais été aussi détendue :
« Ma carrière m’amène certainement à crier plus que la moyenne. C’est quelque chose de très relaxant. Après avoir passé une journée à crier, je me sens plus légère, plus gaie. »
L’histoire de vie d’Ashey Peldon fait quelque peu écho à la comédie dramatique de Quentin Dupieux, Réalité, sortie en 2014. Dans cette fiction, un réalisateur, interprété par Alain Chabat, tente de réaliser son premier film d’horreur. Il a alors 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma s’il veut que son long-métrage obtienne ses financements. Une fable totalement absurde, finalement pas si éloignée de l’envers décor du 7ème art.
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Image en Une : © Capture d’écran Youtube – 60 Seconde Docs
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Les Commentaires
Par contre, c'est un peu lourd ces critiques juste pour critiquer...
Là, la comédienne de doublage pour laquelle cet article existe s'est spécialisée dans les films d'horreur et c'est expliqué dés le début (elle est là pour économiser les voix des comédien.ne.s de doublage du casting, sachant que beaucoup sont aussi acteur.ice.s de ciné/séries aussi, en gros elle fait des cascades vocales...). J'imagine qu'elle ne fait pas que ça mais en grande partie donc ça justifie qu'on ne parle "que" de l'horreur. Je pense que cela doit être assez marginal à l'échelle mondiale quand même ! Du coup c'est super intéressant de découvrir un peu l'envers du décor de certains films comme en obtenant ce type de témoignage
C'est comme les bruiteur.euse.s : parfois on en emploie pour un tournage, parfois pas (et on utilisera plutôt une banque de sons).
C'est d'ailleurs assez malin d'isoler les cris des dialogues, iels pourront donner les pistes isolées à toutes les boîte de production et les utiliser à l'international, les cris ne nécessitant pas d'être traduits ! Je constate de plus en plus que les films intègrent dés le tournage certains effets du style pour adapter les contenus à l'international (si vous avez vu le film Searching : un thriller en fond-footage pas mal foutu, je parle par exemple de tous les télétextes visibles à l'image qu'il aura fallu adapter en VF, on voit bien que ça a été réfléchi en amont, bien avant de tourner)
@RaccoonJesus Bien sûr que les films X sont aussi parfois doublés, traduits etc. ? Ça reste du cinéma, n'en déplaise à certains.e.s (je suis pro-sexe et je le vis très bien), il y a même une cérémonie officielle pour récompenser les films les mieux perçus par la profession (Hot d'or). Sauf que là, je sais pas si les acteur.ice.s du tournage sont pas plus souvent aussi chargé.e.s durant la post-production du doublage également. Voir si lea perchman/perchwoman est pas seul.e garant.e du son en prise directe durant le tournage (c'était le cinéma d'avant, c'est aussi moins cher à produire).
En fait, le son c'est comme tout dans l'industrie du cinéma : ça coûte du pognon. Donc selon le budget, on va plus ou moins créer des postes assez uniques, pouvoir allonger un tournage et avoir une bande son chiadée en post-prod', bien spacialisee etc. Ou pas...