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Virginie Despentes
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Critique : « pardon Virginie, mais je ne suis pas à fond sur Cher Connard »

En cette rentrée littéraire 2022, le nom de Virginie Despentes est sur toutes les lèvres. Elle vient de sortir Cher Connard, un livre au titre provocateur derrière lequel se cache un roman qui l’est beaucoup moins. Critique, sans langue de bois, d’un phénomène littéraire presque devenu mainstream.

Je ne connais pas Virginie Despentes, mais je sais que c’est une meuf bien. Pour avoir écumé les interviews de La Poudre, France Culture, France Inter et compagnie, c’est toujours ce qui ressort. Elle répond avec patience aux questions des journalistes, même les plus poussives. Elle fait preuve d’une vraie sororité, soutient en privé celles qui se prennent des vagues de cyber-harcèlement, comme Rebecca le fait avec Zoé Katana dans Cher Connard.

Et puis, Virginie Despentes, c’est une icône. L’une des rares féministes cinquantenaires qui encourage les nouvelles générations de féministes au lieu de les juger. Elle leur a pavé la voie avec le manifeste King Kong Théorie (2006). Alors, je suis qui pour venir emmerder la grande Virginie Despentes ?

Une petite meuf de la classe moyenne qui a grandi en province, dans les années 1990, où le féminisme était sous assistance respiratoire. C’était une époque où au lycée, on lisait Les mots de Jean-Paul Sartre ou Si le grain ne meurt, d’André Gide, mais jamais Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. J’adorais lire, c’est un bon moyen de s’évader dans une société trop violente. Et justement, je me la prenais en pleine gueule cette société qui me demandait, à 14 ans, d’être mince, sexy et hétérosexuelle. De me taire devant l’autorité patriarcale. Je vivais ce que l’on appelle communément une crise d’ado. Ambiance troubles alimentaires, fugue, cuites à la Manzana. Vols. Parmi mes larcins, l’édition poche du roman Les jolies choses, de Despentes. 

À une époque, le nom de Virginie Despentes faisait frisonner dans les chaumières

C’est l’histoire de deux sœurs jumelles, Pauline et Claudine, élevées sous le regard d’un père toxique et qui tentent de se faire une place dans l’industrie de la musique. Il y avait un truc dans ce livre, qui me parlait. Une rage adolescente face à l’injustice de cette société dégueulasse qu’on nous impose. L’envie de bouffer le monde et de le recracher. Et une vulnérabilité : ces deux gamines, si violentes envers elles-mêmes, avaient juste besoin d’amour. À cette époque, rien que le nom de Virginie Despentes faisait frissonner dans les chaumières. La lire était un truc un peu dangereux. Les adultes de mon entourage en disaient du mal, c’était une de ces horribles féministes “mal baisées”. Et elle l’assumait, cette image de “femme sale”. En 1998, face à Bernard Pivot dans “Bouillon de culture”, elle s’enflamme :

« Oui, il y a une énorme colère. […] C’est un monde d’hommes et de profit, donc le rôle des femmes en gros, c’est de faire les putes. Je suis dedans. […] Le rôle des femmes, c’est d’amuser. Et puis, peut-être qu’on prendra le pouvoir quelque part, on verra plus tard. Moi je veux le pouvoir maintenant. En tant que femme et en tant que personne qui n’est pas née dans les bons quartiers. » 

La cerise sur le gâteau, ça a été en 2000 avec la sortie du film Baise-moi. Adaptant avec Coralie Trinh Thi son roman éponyme, Virginie Despentes met tout le monde d’accord contre elle : les féministes, la gauche et la droite jugent son œuvre trop violente et pornographique. La censure, la vraie, s’abat sur elle. Vingt ans plus tard, Cher Connard entraîne un cortège de réactions inverses. Désormais, tout le monde aime Virginie Despentes (sauf les réacs).

Des personnages masculins trop présents

Que s’est-il passé ? Depuis Vernon Subutex, ses personnages masculins prennent de plus en plus de place. Ses romans utilisent des perspectives multiples, mais quand même, on le voit. Et puis Virginie Despentes vient de la marge, mais elle ne parle plus vraiment de la marge. Après son édito déjà culte « On se lève et on se barre » (écrit pour célébrer le geste d’Adèle Haenel aux Césars 2020), j’attendais son prochain uppercut littéraire, un témoin du feu qui nous animait. Mais il n’est pas arrivé. Virginie Despentes ne s’est pas levée et ne s’est pas barrée. Et à la place, on s’est tapé deux ans de Covid. 

Cher Connard, qui raconte l’improbable amitié entre un écrivain quarantenaire accusé de harcèlement sexuel et une actrice cinquantenaire, sonne comme un appel à la grande réconciliation post Me Too, entre femmes et hommes. Pour tout dire, Oscar et Rebecca m’ont fatiguée. J’ai eu l’impression de surprendre Frédéric Beigbeder et Monica Bellucci en pleine conversation. Et l’un comme l’autre ne m’intéressent pas particulièrement.

Cher Connard se boit comme du petit lait

Pourtant, Cher Connard se boit comme du petit lait. Grâce à l’écriture de Virginie Despentes, incisive. Des passages bien punchy sur les féminicides, l’addiction ou le cinéma. Elle est forte, mais on passe trop de temps dans la tête d’Oscar. Le monde a besoin d’apprendre à être plus en empathie envers les dominés, pas les dominants. Je veux voir des personnages grunge, queer, racisés prendre toute la place dans les livres de Despentes, pas les mêmes qui trustent déjà toute la culture contemporaine, les actrices et les écrivains blancs, pour qui la fête est finie parce qu’ils vieillissent et qu’il faut arrêter la coke.

En tout cas, taper dans cette représentation hégémonique paie. Les louanges unanimes sont enfin là pour panser les plaies des années où elle a pris si cher, et ça, ça me fait plaisir pour elle. Ce pouvoir qu’elle appelait de ses vœux à 30 ans, elle le détient désormais. Mais cette déification en cours n’est-elle pas un piège qu’on lui tend ? Je suis peut-être trop jeune pour comprendre les bienfaits du consensus. Mais j’imaginais Virginie Despentes vieillir comme Madonna : en continuant à emmerder le patriarcat et l’establishment comme jamais. Je la voyais sortir des cadres, pas se comporter comme une meuf qui a atteint la sagesse féministe et ne dit plus un mot de travers. C’est ça qui est terrible avec le succès et le pouvoir : une fois qu’on l’a, on a tellement peur de le perdre. Alors, on rentre dans le rang. 

Visuel de Une : Capture d’écran Youtube – La Grande Librairie « Virginie Despentes confronte sa violence »

À lire aussi : Rentrée littéraire : 3 premiers romans à lire d’urgence


Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.

Les Commentaires

17
Avatar de Morgana Talbot
12 septembre 2022 à 15h09
Morgana Talbot
Ca n'a pas tellement de sens de comparer les écrits d'une sociologue & journaliste de formation (Chollet), dont les publications sont uniquement des essais, et ceux d'une écrivaine de romans/nouvelles surtout (sauf un essai et demi) autodidacte avec un style plutôt trash @Chat-au-Chocolat. En fait ça me paraît même assez snob de porter aux nues celles des deux qui a le parcours académique le plus standard en soulignat y apprendre des choses...
Autant comparer ses écrits à ceux d'auteur.e.s avec peu ou proue le même type d'histoires et/ou un style similaire, portraits d'une société plutôt désabusée animée par des personnages souvent en quête de sens, genre comparer son œuvre à celle de Ryu Murakami pour la forme ou encore à du Wendy Delorme pour le fond comme pour la forme ?
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