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Parentalité

Bon, on arrête d’applaudir les pères dès qu’ils changent une couche, ça vous dit ?

Le double standard dans la parentalité, qu’est-ce donc ? Les mères sont jugées alors que les pères sont souvent félicités, parfois exactement pour les même actes… D’où est-ce que ça vient ?

Beaucoup de mères ont déjà vécu ce moment à la fois chou et hyper énervant où on félicite le père, qui fait pourtant un truc normal avec son gosse — à savoir qu’IL S’EN OCCUPE !

Alors que les mères récoltent assez rarement des louanges, car on se dit : « Bah, elle s’en occupe, c’est son gosse, quoi de plus normal et naturel ? On ne va pas lui lancer des fleurs pour ça non plus. » Et c’est bien agaçant. (Euphémisme.)

Le double standard sur la parentalité, bien connu des mères

Dans mon cas, après m’être occupée pendant une semaine de mes jumeaux d’à peine quelques mois à temps plein dans ma famille (et notamment avoir assuré le service de nuit seule, ce qui n’était pas une mince affaire), mon mec se pointe, change une couche et là, concert d’applaudissements et de félicitations. « Wow, quelle dexterité, incroyable ! », des trompettes ont presque sonné — en tout cas, je les ai entendues dans ma tête.

Et moi rien, nothing, nada, aucune remarque.

Je comprends cette réaction et je ne blâme personne. Les intentions ici sont les meilleures. J’ai ressenti moi-même une petite pointe fierté lorsque l’on m’a dit ça… Mon mec est génial, il n’est pas comme la génération des mecs d’avant, il est sans doute plus impliqué que la plupart des autres pères.

Mais voilà : il y a comme un gros problème avec ce double standard dans la parentalité. Ça veut dire quoi ces félicitations dès qu’un mec met la main à la pâte ? Ce serait pas hyper problématique ?

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© Compte Instagram Oui, mais tu es la maman !

On en attend si peu des pères

Réflechissons un peu… pourquoi les pères sont-il ainsi félicités et encouragés ?

C’est notamment parce que les mères doivent s’occuper de leurs enfants. C’est normal. Car le mythe de l’instinct maternel est tenace, et la figure de la mère sacrificielle est encore sollicitée quand une femme devient daronne. Comme nous l’analysions d’ailleurs dans cet article.

Quant au père, historiquement, il s’occupe moins des enfants. Son implication est relativement récente. Comme le dit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, dans La Révolution du féminin, durant des siècles, il y a eu une division sexuée des fonctions : aux femmes la sphère privée avec la vie domestique et la perpétuation de l’espèce ; aux hommes la sphère publique et politique, avec les prises de décisions pour l’ensemble de la nation.

Actuellement, comme le dit Cédric Rostein, créateur du compte Instagram Papatriarcat, dans le livre Tu vas être papa, chez First, on assiste à :

« Un “dad blessing“, ou la sacralisation des pères. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, la société récompense et sacralise les pères qui endossent simplement leur rôle de père. Nous récoltons des médailles alors que nos conjointes n’en gagnent pas pour les mêmes “exploits“ ».

Selon Illana Weizman, sociologue et autrice du livre Ceci est notre post-partum, les raisons de ce double standard proviennent d’attentes très différentes :

« On attend à peu près tout des mères et rien des pères, c’est à peine exagéré. C’est le dad blessing : dès qu’un père s’investit un peu, qu’il prend part à la parentalité, il est tout de suite loué.

Une mère, si elle fait, c’est normal, c’est juste son job. Si elle ne le fait pas, elle va être jugée et pointée du doigt.

Ça se passe aussi avec les proches. Ma mère me dit souvent que j’ai “énormément de chance” parce que le père participe, il aide, il sort avec le bébé, il le change… Donc il y a une attente qui est tellement misérable. »

Ces remarques viennent souvent de personnes appartenant à d’anciennes générations où les pères ne faisaient que peu d’efforts. Mais pas uniquement : les jeunes aussi participent à ces concerts de louanges, comme nous le dit Illana Weizman !

« C’est générationnel mais pas que. […] Chez des amis, je le vois aussi. C’est peut-être moins flagrant, plus insidieux, mais ça s’observe aussi.

Les femmes disent par exemple “J’ai de la chance, mon mec m’aide”, alors que quand on regarde de près, il ne fait pas autant que la mère. On est baignés dans cette idée-là même si c’est moins évident que les générations précédentes. »

Comme le dit aussi Titiou Lecoq dans son livre Libérées, on se trouve plutôt bien lotie en général « par rapport aux autres » :

« Ainsi, chaque femme se jugera chanceuse en comparaison d’une autre femme (on en trouve toujours une chez qui c’est pire) et les hommes trouveront qu’ils en font plus que les autres ou que leur propre père. »

Au travail aussi, le regard n’est pas le même

Même dans le milieu professionnel, il existe une différence de traitement de la parentalité — le fameux et hallucinant « Daddy Bonus », qui voudrait que les carrières évoluent positivement lorsque les hommes deviennent pères, et le « Mommy Penalty », selon lequel la carrière des femmes marquerait un coup d’arrêt — avec le recours au temps partiel et l’adaptation de l’emploi du temps, l’auto-limitation, les promotions non accordés, etc. Nous parlons ici bien sûr de tendances observées et les cas particuliers sont nombreux.

Illana Weizman l’a également rencontré dans sa carrière et nous l’explique :

« Quand un père a mal dormi, quand il est fatigué, tout le monde est impressionné — “whaou il aide sa femme, c’est génial !”.

Alors qu’une femme qui rentre dans la parentalité, ses supérieurs vont se dire qu’elle va être crevée, qu’ils vont moins pouvoir compter sur elle, c’est elle qui va demander à quitter plus tôt le boulot, qui va aller chercher les enfants quand ils sont malades…

Dans le monde du travail, c’est ultra-discriminant ! »

Mais pourquoi en attend-on autant des mères et si peu des pères, finalement ?

Le mythe tenace de l’instinct maternel

On a tendance à considérer que c’est naturel pour une mère de s’occuper de son ou ses enfant(s). Le gène du changement de couches n’a pourtant pas encore été identifié ! Dans son livre Nouvelle mère, l’autrice Cécile Doherty-Bigara l’énonce avec pas mal d’ironie :

« Puisque le corps offre aux femmes la possibilité de porter un enfant, la Nature veut également que ce soit à elles de changer les couches de ladite ou dudit enfant après sa naissance, d’en prendre les rendez-vous chez le pédiatre et aussi, tant qu’on y est, de laver le sol de la cuisine, de faire les lessives et de penser à racheter du papier hygiénique pendant les vingt-cinq années qui suivent. Cela s’appelle “l’instinct maternel”. Oui, la Nature commande très précisément cela. »

Dans la parentalité, rien n’est inné et tout est acquis. Le père et la mère ont des rôles tout à fait identiques, celui de prendre soin des enfants ! Aucune tâche ne devrait être réservée à l’un ou à l’autre. L’autrice Cécile Doherty-Bigara l’explique également dans son livre autobiographique :

« Un parent apprend à consoler son enfant en passant du temps avec lui. Celui qui change le plus de couches est celui qui sait mieux le faire. Très peu de notre parentalité nous semble inné ou régi par une règle de la “nature” qui rendrait les femmes plus compétentes ou sensibles à la tâche d’éduquer et d’aimer leur enfant. »

Tout cette inégalité est construite, elle ne repose sur aucun fondement biologique.

On a tendance à croire que les choses changent, que les pères s’occupent plus des enfants. On les félicite alors de prendre autant de taches en charge, mais concrètement, dans les faits, les choses n’ont pas tant changé que cela.

Les nouveaux pères, un mythe ?

Ces pères dont on loue l’implication feraient partie d’un grand ensemble : les « nouveaux pères », qui n’auraient plus rien à voir avec les générations précédentes. Really ?

Dans les faits, le temps consacré aux enfants a augmenté chez les pères ET chez les mères mais la répartition entre les deux dans les couples hétérosexuels reste sensiblement la même, comme cela est brillamment expliqué dans l’épisode À la recherche des nouveaux pères du podcast Les Couilles sur la table.

Encore actuellement, les femmes prennent en charge 70% des tâches domestiques et parentales. Illana Weizmann nous le confirme également :

« Les nouveaux pères n’existent pas. C’est une construction très dangereuse car on l’impression collectivement que les choses ont changé alors que quand on regarde les chiffres, ça bouge très très peu depuis des décennies. »

Les félicitations constantes sont donc peut-être des encouragements (même si les pères ne sont ni des enfants, ni des sportifs de haut niveau…) mais ne sont-elles pas aussi problématiques ?

Ces louanges pour les pères ont des effets multiples

Ce qui change par rapport aux décennies précédentes — et qui fait l’objet de cet article — c’est que lorsque les pères font quelque chose, ils sont encouragés, félicités. Le fait de s’occuper de son enfant est maintenant considéré positivement, pour les pères. Illana Weizman nous explique :

« Ce qui change, c’est que les pères qui s’investissent sont valorisés. Alors qu’avant, ils n’y pensaient même pas : s’investir auprès d’un bébé qui n’avait pas encore la parole, qui était hyper dépendant, ce n’était pas intéressant.

Aujourd’hui, c’est valorisé. Mais on n’est pas du tout à l’égalité. C’est encore à 70% les mères qui s’occupent des taches domestiques et parentales. »

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(© Compte Instagram @momlife_comics)

Encourager et féliciter les pères qui s’investissent enfin, cela peut sembler être une avancée à noter, même si c’est un peu infantilisant pour eux et très injuste pour ces mères qui assument parfois tout, sans beaucoup de considération et souvent avec des jugements en prime.

Mais cette mise en avant des pères qui s’impliquent peut avoir un effet pernicieux également, comme nous le dit Illana Weizman :

« On me le dit souvent sur les réseaux : “quand ils ne font pas, vous vous plaignez, quand ils essaient de faire, vous vous plaignez”… ce que je critique, c’est que les pères qui s’impliquent même à 100%, prennent le congé à la place de la mère — ce qui est rarissime —, ils vont faire des livres, des blogs… Individuellement, c’est très bien. Mais est-ce que ça veut dire : les pères ont changé ?

Non, les pères n’ont pas changé. Certains oui, mais collectivement ce sont les mères qui se coltinent les discriminations, au niveau de la charge mentale, à l’embauche, économiquement, à tous les niveaux.

Ces exemples laissent penser que collectivement, ça aurait changé. »

Cédric Rostein s’adresse ainsi dans son livre aux pères :

« Sur les réseaux, tu verras des papas qui se mettront en avant en train de juste faire leur boulot de père et qui seront acclamés pour ça. Quand ils changent la couche, vont chercher l’enfant à la crèche, réussissent un nœud d’écharpe de portage.

Dans ces cas-là, demande-toi si tu as déjà vu des mères mettre en avant ces même actions de cette manière. Je peux déjà te dire que ce n’est pas le cas. »

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(© Compte Instagram @momlife_comics)

Les normes culturelles sont en train d’être modifiées mais sur le terrain, ça ne change pas encore véritablement.

En étant optimistes, on peut dire que cela va dans le bon sens, mais le chemin est encore si long qu’on peut comprendre l’abattement de certaines mères.

Tournez votre langue dans votre bouche pendant sept fois avec de féliciter un père qui s’occupe normalement de son enfant — à moins que vous ne souhaitiez le faire aussi avec la mère ! Alors là, go, on ne voudrait pas vous museler non plus…

À lire aussi : Vous avez remarqué à quel point les mères ne sont pas sur les photos de famille ?

Image en une : © Unsplash/Helena Lopes

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Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.

Les Commentaires

32
Avatar de Marvel
26 février 2022 à 01h02
Marvel
@Belnea Pas envie de rentrer cette nuit sur ce débat parent / childfree qui me fatigue parce-que souvent déplacé mais les sucettes à cancer sont une addiction. Arrêter de fumer depuis un mois, c’est une victoire. Je suis pas accro à l’héro mais si une connaissance l’était et m’annonçait se sevrer je serais la plus heureuse.
Les victoires perso de votre entourage ne sont pas forcément les votres : célébrez les quand même. Ou ne demandez pas + de considération que vous n’êtes capables d’en donner.
Par ailleurs : courage aux mères qui ont des compagnons défaillants. Jamais vu autant d’abnégation et de résilience dans mon entourage que depuis qu’il y a des gosses.
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