Quand on a vu ce post sur Twitter et le nombre de réactions, l’évidence était là. Mais oui : ce sont presque toujours les mères qui prennent les photos, et elles ne sont pas dessus.
Après l’étonnement vint ensuite une saine colère : encore une tâche de plus à ajouter à la liste longue comme le bras de ce que les mères font au quotidien et que les pères ne font pas.
On se place dans le couple hétérosexuel ici, car c’est bien là que le bât blesse en ce qui concerne la répartition de la charge mentale et de la charge émotionnelle… Eh oui, c’est bien de cela qu’il s’agit ! Créer des souvenirs au quotidien, mettre en scène et cadrer les membres de sa famille, immortaliser des événements (que les femmes ont bien souvent organisés), c’est devenu le boulot des femmes.
Tentons de comprendre comment on en est arrivés à cette situation en apparence anodine mais qui en dit finalement beaucoup sur qui fait quoi dans le couple. Sans spoilers : les mères qui prennent en charge déjà beaucoup de choses s’occupent aussi de capter (pour la postérité !) les moments où les pères s’occupent des enfants !
Qui prend les photos de famille ?
Alors bien sûr il est compliqué d’avoir des statistiques sur le sujet. Certains hommes adorent prendre des photos et le font d’ailleurs très bien !
Mais en voyant le flot de réactions à ce tweet ainsi que les petits sondages que j’ai moi-même effectués auprès de mes proches et des membres de la rédac, il est clair que les mères sont beaucoup moins sur les photos que les pères… Cette petite étude n’a rien de scientifique, me direz-vous, mais ça dégage quand même une sacrée tendance.
La sociologue Illana Weizman, autrice du très bon livre Ceci est notre post-partum, explique à Madmoizelle qu’elle n’y avait pas fait attention avant mais que cela la concerne également dans sa vie familiale :
« Je suis très rarement sur les photos de famille. J’ai des centaines, voir des milliers de photos de mon fils seul, j’ai beaucoup de photos de mon fils et mon mari car c’est moi qui prend les photos. Mais moi et mon fils, à part quelques selfies qu’on fait en rigolant, non.
Personne ne me prend en photo avec lui. Elles sont à compter sur les doigts d’une main. […] C’est un peu triste. Dans 10-20-30 ans, il y aura beaucoup de photos de moi seule. Il faut que je demande davantage. »
Les mères le disent avec humour : si on regarde les photos, on pense que le père est tout seul à s’occuper des enfants… Dans une sorte de série Martine : papa donne le bain, papa donne le biberon, papa lit un album. Que de souvenirs immortalisés pour eux et les enfants !
Mais les mères semblent être les grandes absentes…
Une question de génération ?
La photo était plutôt un truc de darons quand a on vécu son enfance dans les 90s. On se rappelle d’eux avec leurs gros appareils photos, ou avec leur caméra toujours dégainée, comme dans la parodie des Nuls de L’École des fans, avec Valérie Lemercier en petite fille, dont la chanson est immortalisée par la grosse caméra de son père, qui n’en loupe pas une miette.
Cette internaute réagit également en s’interrogeant sur le glissement de la photographie d’un domaine plutôt masculin à un domaine plutôt féminin actuellement. Est-ce à voir avec le changement de matériel, de l’argentique au numérique ?
On peut aussi se plonger dans les albums photos familiaux – si on a la chance d’en avoir – pour voir si tout le monde est présent sur les photos de l’époque.
En ce qui concerne mon exemple personnel (pour ce qu’il vaut !), cela va plutôt dans ce sens : mon mari prend beaucoup de photos des bébés seuls, jamais de moi avec eux ; en revanche, mon père me mitraille dès qu’il peut quand il me voit avec les bébés. Ma présence durant leur jeunes années ne sera donc peut-être pas tombée aux oubliettes…
La charge émotionnelle
Ce sont donc les femmes et les mères qui s’occupent majoritairement de la charge émotionnelle. Mais de quoi s’agit-il ?
Les femmes s’occupent du bien-être de leur entourage, font preuve d’empathie. Pour l’autrice Emma, qui a popularisé le concept en France avec sa BD La Charge émotionnelle, c’est :
« Le souci principalement porté par les femmes de mettre son environnement à l’aise aux dépens, souvent, de leur propre confort à elles. »
Le « travail émotionnel » a été conceptualisé en 1983 dans Le Prix des sentiments de la sociologue Arlie Russell Hochschild. C’est aujourd’hui un classique !
On peut tout à fait penser que la volonté de garder des souvenirs, d’immortaliser des événements en fait partie. Et cela se fait donc au dépens des femmes elles-mêmes, qui sont sans parfois s’en rendre compte écartées du paysage.
Illana Weizman nous indique que ce n’est pas un détail, mais bien révélateur de tout un état d’esprit :
« Ça participe à la charge qui incombe aux mères dans à peu près tous les domaines de la parentalité, aux émotions, aux souvenirs.
Cette histoire de photos, ce n’est pas juste quelque chose de matériel : c’est l’idée de conserver des souvenirs, de pérenniser des moments de bonheur, des moments doux, qui soudent, qui font qu’on est une entité familiale. C’est intéressant que ce soit encore les mères qui aient ça à l’esprit. »
Non seulement les femmes prennent les photos mais il semblerait que ce soit elles qui les impriment et confectionnent les albums photos… Un petit échantillon ci-dessous :
Je n’ai pas échappé à cette règle et j’ai offert des albums photos de mes bébés à tour de bras à Noël. Cela me faisait plaisir, évidemment ! Mais mes enfants seront bien contents lorsqu’ils seront plus grands de pouvoir se plonger dedans.
Alors certes, toute cette histoire de photos peut être vue comme un détail, un des multiples aspects de la charge émotionnelle. Cette tâche (qui peut bien sûr aussi être un plaisir) s’ajoute à une longue liste d’autres, certaines moins gratifiantes. Illana Weizman précise :
« Encore une injustice liée à la parentalité, qui peut paraître dérisoire par rapport à d’autres injustices, que ce soit la charge parentale… qui s’occupe des enfants ? Qui s’occupe du foyer ? Ça participe au système où la mère est toujours lésée, où elle doit toujours penser à tout. »
Les statistiques sur la répartitions des taches dans le couple sont sans appel : 70 % des taches domestiques et parentales sont effectuées par les femmes. Alors que les pères pensent à prendre une petite photo des mères et de leurs enfants de temps à autre, ça pourrait être sympa… À bon entendeur !
À lire aussi : Après la charge mentale : la charge émotionnelle expliquée par Emma
Image en une : Unsplash/Juliane Liebermann
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