« Couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées. » On n’est plus au XVIIe siècle et Molière a passé l’arme à gauche depuis un bail, et pourtant, certains continuent à être choqués lorsqu’ils voient un mamelon.
Après le scandale de Disneyland l’année dernière — des agents de sécurité avaient demandé à une mère d’arrêter d’allaiter son bébé sur un banc du parc d’attraction — le Louvre, le musée parisien le plus célèbre du monde, se retrouve au cœur d’un évènement similaire.
Elle allaite au musée, on lui demande de se cacher
L’histoire, relayée par nos confrères du Parisien, est triste et presque banale : Jasmin, jeune mère franco-américaine en vacances à Paris, se balade avec toute sa famille dans les couloirs du musée. Une fois dans la galerie Richelieu, sa petite fille de quelques mois réclame à manger, comme à peu près TOUS les bébés du monde, n’est-ce pas, et sa mère décide de s’asseoir sur un banc et de l’allaiter.
Quiconque a déjà fréquenté de près ou de loin un bébé sait que lorsque celui-ci a faim, il n’attend pas. Ou alors c’est au péril de vos oreilles, et du nombre de décibels que vous êtes capable d’encaisser.
Bref, voici donc Jasmin, son bébé affamé, un banc, face à des peintures sublimes. Comme elle le raconte au Parisien :
Il était 17 heures, il n’y avait presque personne dans la salle. Alors j’ai décidé de la nourrir ici.
Jasmin pour Le Parisien
C’est alors qu’entre en scène un agent de sécurité, qui, choqué face à la scène qu’il est en train de voir (mais pas par les milliers de tableaux et de statues représentant exactement la même chose, étrangement), lui demande de nourrir son enfant ailleurs, dans les toilettes, par exemple.
Il se serait justifié en expliquant que « cela pouvait déranger une partie des visiteurs », explique Jasmin.
Choquée qu’on lui demande de ne pas allaiter son enfant dans un espace public, et se justifiant — alors qu’elle n’a pas à le faire, jamais — en disant qu’elle portait une tenue adaptée à l’allaitement couvrant son sein, elle décide de quitter le musée pour finir de nourrir son enfant à l’extérieur :
Nous sommes restés deux minutes et nous avons alors décidé de quitter le musée pour que j’allaite à l’extérieur. J’étais étonnée. On est en France et je pouvais jusque-là allaiter ma fille partout sans souci.
Jasmin pour Le Parisien
Le musée de Louvre soutient la jeune mère
Si l’agent qui a demandé à Jasmin d’allaiter ailleurs semble être le seul à incriminer, la direction du Louvre se justifie rapidement auprès de nos confrères du Parisien :
Si nous n’avons pas encore réussi à identifier l’agent en question, on répète que le règlement de visite n’interdit absolument pas d’allaiter dans les salles. Il y a peut-être eu une mauvaise interprétation des règles. (…) Nous allons faire un rappel général des consignes.
La direction du Louvre pour Le Parisien
La direction a d’ailleurs rajouté qu’un espace dédié, le Studio, ouvert depuis peu et conçu avec des mamans, offre un fauteuil avec des accoudoirs et un chauffe-biberon pour s’occuper des nourrissons. Même s’il est normal d’allaiter où bon nous semble, l’idée d’une salle confortable pour le faire est une chouette initiative à souligner.
Si ce n’est pas le Louvre qui en cause dans cette histoire, il y a quand même un réel problème autour de l’allaitement en France. On l’a vu avec le bad buzz de Disneyland l’année dernière, et pire encore avec l’histoire de la jeune mère qui s’était fait gifler dans la rue parce qu’elle y donnait le sein.
Le male gaze autour de l’allaitement
Anne-Florence Salvetti-Lionne, dans son ouvrage « Mes seins, mon choix ! Pourquoi l’allaitement divise les féministes ? » mais aussi dans nos colonnes, parlait du male gaze autour de l’allaitement, se questionnant sur « l’impact du regard masculin, mais aussi le regard médiatique et culturel qui façonne la manière dont nous considérons l’allaitement dans l’espace public » :
Pourquoi est-ce si gênant de voir quelqu’un nourrir son bébé ? Quand le sein n’est pas impliqué, cela ne choque visiblement personne. Quel effroi de voir un biberon ou une cuillère de purée dans un lieu public !
Oui mais voilà, ce fameux sein. S’il n’a pas de velléité à exciter on préfère encore ne pas le voir. La société s’organise pour ne surtout pas imposer la vision d’un sein allaitant (ou bien malade, ou encore une cicatrice de mastectomie) aux hommes, qui sont encore trop nombreux à être gênés de voir une femme allaiter.
Les femmes aussi, bien sûr, ce ne sont pas les dernières à critiquer le « manque de pudeur » des mères allaitantes. Mais le fait est que tout cela est bien teinté de patriarcat. Après tout, pourquoi une tête de bébé collée devant un sein serait plus gênante à regarder qu’un décolleté ? Les deux devraient être totalement normalisés et banalisés dans l’espace public : ni excitant, ni choquant.
Anne-Florence Salvetti-Lionne
Alison Cavaille, la fondatrice de la géniale marque de vêtements d’allaitement Tajinebanane, s’est exprimée également sur ce sujet d’actualité. Militant depuis des années pour que les femmes puissent « allaiter partout, tout le temps », elle est révoltée par cette énième histoire d’entrave à l’allaitement dans les lieux publics. Dans une longue série de story sur Instagram, elle a déclaré, au sujet de l’histoire de Jasmin :
Que ce soit au musée, dans un parc d’attraction, un centre commercial, un avion… Au fond, on s’en fiche pas mal. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit le plus souvent d’une seule personne (rarement la politique d’un groupe) qui par son seul et unique point de vue décide de s’opposer à l’allaitement d’une mère dans l’espace public.
Ce qu’il vient de se passer pour cette femme arrive tous les jours, au sein même de nos familles parfois, au restau… Ce qui me chagrine par-dessus tout, c’est de voir à quel point tout le monde s’en fout de la situation quasi minable dans laquelle les mères en France sont. Elle ne sont quasi pas accompagnées, pas soutenues, très peu de choses sont mises en place pour les aider avant, pendant et après leur allaitement (heureusement, il y a des exceptions).
Mais bordel réveillez-vous ! Les femmes sont libres, les mères aussi ! Partout où les femmes et leurs bébés sont acceptés, l’allaitement doit l’être aussi. Il n’y a même pas de débat.
Alison Cavaille sur le compte Instagram de Tajinebanane
Il devient crucial que tous les lieux qui accueillent du public puissent apporter une formation concrète à leurs employés, qu’ils puissent les sensibiliser correctement à l’allaitement dans les lieux publics. C’est le strict minimum.
Que des lieux publics proposent des espaces dédiés aux femmes nourrissant leurs enfants est une bonne chose, pour celles qui souhaitent pouvoir allaiter ou donner un biberon de lait infantile ou maternel dans un lieu adapté. Mais pour celles qui souhaitent pouvoir allaiter où bon leur semble, sans jugement, sans agressions verbales et physiques, il est crucial que les mentalités changent et l’acceptent.
Les personnes choquées n’ont qu’à tourner la tête si elles sont gênées, les mères allaitantes n’ont pas à se cacher pour elles. Ça devrait être aussi simple que ça.
Crédit photo image de une : Gustavo Ramos
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Les Commentaires
Mais il faut les frapper sur un côté de la tête parce que visiblement, ils ont pris un coup et leur cerveau a besoin d'être remis en place.