— Initialement publié en décembre 2013
Mise à jour du 12 juin 2016 — The Mask You Live In est disponible sur Netflix France !
The Mask You Live In s’intéresse au poids des stéréotypes masculins sur le développement des garçons, de la même manière que Miss Representation se penchait sur le même problème pour les filles, en 2011. L’influence néfaste des stéréotypes sur les filles, on en parle déjà depuis un moment, et ça y est, le débat est arrivé dans l’espace public. Il aura fallu attendre 2015, 2016, mais ça y est, les pouvoirs publics se préoccupent de plus en plus sérieusement de l’image des femmes véhiculée dans les médias.
« Not All Men » ? si, mais on vous explique pourquoi
La grande différence entre les stéréotypes qui touchent les filles et ceux qui touchent les garçons, c’est que les filles ont tendances à être les victimes de violences dirigées contre elles, et que les garçons ont tendance à retourner la violence contre eux-mêmes. Ce phénomène est par exemple visible dans la comparaison des taux de suicide, de 3 à 7 fois plus élevé chez les garçons que chez les filles.
Pourquoi ? Encore une fois : les garçons ne sont pas naturellement plus violents que les filles, et cela, le documentaire le montre bien. Ils sont socialement plus violents. Les filles subissent une pression inouïe à l’apparence « féminine », qui les amène à nier leur estime d’elles-mêmes, et les garçons subissent une pression équivalente à la performance « virile », qui les amène à nier leurs émotions.
Au final, les filles ET les garçons retournent la violence contre eux-mêmes : les filles s’affament, les garçons laissent leur santé se dégrader, parfois vont jusqu’au suicide. Les filles font plus de tentatives (en France), les garçons utilisent des moyens plus violents, donc moins de « tentatives ».
Ces phénomènes ne sont pas inconnus des pouvoirs publics, puisqu’en 2014, un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective portait précisément sur les conséquences des stéréotypes de genre sur la santé des filles et des garçons :
À partir de 15 ans, on constate davantage de problèmes psychologiques chez les filles : estime de soi, troubles du comportement alimentaire… elles sont plus nombreuses à être diagnostiquées en dépression.
« Chez les 15-19 ans, les filles sont environ cinq fois plus nombreuses que les garçons à avoir fait une tentative de suicide durant l’année écoulée (2% contre 0,4 % en 2010).
Cependant, le taux de mortalité des garçons de moins de 24 ans par suicide est trois fois plus élevé que celui des filles. Cela est notamment dû aux modalités employées, les hommes ayant davantage recours à des moyens plus radicaux (pendaison, arme à feu). »
– Extrait du rapport Lutter contre les stéréotypes filles – garçon
Le constat est aggravé pour les jeunes « appartenant ou présumés appartenir à des minorités sexuelles (homosexuels et bisexuels) » : en dehors de « la norme », point de salut…
The Mask You Live In n’excuse pas la violence, il explique ses racines
The Mask You Live In n’excuse pas la violence dans notre société, et ne dé-responsabilise pas celles et ceux qui la perpètrent. Le documentaire explique les mécanismes sociaux, éducatifs, les pressions médiatiques et économiques qui perpétuent une culture nocive pour tout le monde.
À diffuser dans les écoles, avec son pendant Miss Representation ? Personnellement, je suis pour.
La culture du viol et ses racines
Alors j’ai eu quelques sueurs froides quand le documentaire aborde le sujet des jeux vidéo, pas du tout prête à entendre que « jouer autant à des jeux vidéo violents, ça rend violent », mais c’était pas le propos, effectivement : je crois que le contexte social américain est bien différent du nôtre de ce point de vue, dans le sens où au sein de notre culture, tuer quelqu’un est unanimement condamné, alors que dans le pays-du-port-d’arme-légal, cette « ligne rouge » est plus nuancée.
Et surtout, la violence y est plus importante, comme en témoigne le nombre des fusillades et de meurtres par balles aux États-Unis (on déplorait hier l’assassinat de Christina Grimmie, 22 ans, tuée par balles. Le documentaire prend aussi l’exemple du tueur misogyne qui avait revendiqué ses meurtres sur YouTube.)
À lire aussi : « Nous aurions pu être des violeurs » – de l’importance de l’éducation sexuelle
Ce que le documentaire dénonce n’est pas « la violence des jeux vidéo » ni d’ailleurs « la pornographie », mais plutôt l’omniprésence de la violence dans l’environnement ludique et culturel des jeunes ! Et surtout, l’absence de pendant pédagogique à cette exposition, en prenant par exemple le déséquilibre entre l’exposition au porno, et l’absence d’éducation sexuelle :
« À cause de la ligne « abstinence uniquement » qui dicte l’éducation sexuelle aux États-Unis, le porno est considéré par beaucoup de jeunes comme de l’éducation sexuelle. La SEULE éducation sexuelle à laquelle ils ont accès ! »
« On forge les garçons à ne pas respecter les femmes comme des individus, elles sont constamment déshumanisées, réduites à des corps. On forge les garçons avec ces représentations, et l’on s’étonne d’avoir ensuite la culture du viol que nous avons ? »
The Mask You Live In est en ligne sur Netflix France, venez en discuter dans les commentaires !
— Article initialement publié en décembre 2013
The Mask You Live In (Le masque sous lequel tu vis) est le titre du prochain documentaire produit par The Representation Project, qui sortira en 2014.
The Representation Project est un mouvement qui s’attache à démontrer les biais de genres relayés par les médias. Leur premier documentaire, Miss Representation, sorti en 2011, s’attaquait aux représentations des femmes dans les médias, la publicité et les fictions.
Mais les femmes ne sont pas les seules victimes de représentations sexistes dans les médias : les garçons sont également soumis à ces stéréotypes, et ces images influencent également leur construction identitaire.
Et si les stéréotypes sexistes féminins sont de plus en plus largement décriés, il ne faudrait pas que les stéréotypes masculins soient négligés : ils sont tout autant destructeurs pour la construction identitaire des garçons que peuvent l’être les stéréotypes féminins pour la construction identitaire des filles.
The Mask You live In, dont voici la bande-annonce, pointe ces stéréotypes et leurs conséquences sur les jeunes garçons américains :
« Arrête de pleurer. Arrête avec les larmes. Arrête de pleurer. Relève-toi. Ne sois pas émotif. Ne sois pas une chochotte. Sois cool. Sois un peu un connard. Personne n’aime les mouchards. Les potes avant les putes ! Ne laisse pas une femme contrôler ta vie ! Quelle tapette… Tape-toi une meuf ! Fais quelque chose ! Sois un homme ! Sois un homme ! Aie des couilles ! »
Les trois mots les plus destructeurs que chaque homme entend lorsqu’il est un jeune garçon, c’est qu’on lui dise « d’être un homme »
— Joe Ehrmann, entraineur et ancien joueur de football.
« Nous avons construit une idée de masculinité aux États-Unis qui ne permet pas aux jeunes garçons de se sentir bien avec leur masculinité. On les oblige à la prouver sans cesse. »
— Dr Michael Kimmel, sociologue et éducateur.
« Dans leur culture de groupe, chaque garçon va prendre exemple sur l’autre, et au final ce qu’il va leur manquer, c’est ce que chacun veut vraiment : de la proximité. »
« Dans les moments où tout va bien, les garçons restent très proches les uns des autres, mais quand ça va mal, t’es tout seul. »
« Au collège, j’avais quatre amis vraiment proches. Mais au lycée, j’ai eu du mal à trouver des personnes à qui parler, parce que les garçons ne sont pas censés avoir besoin d’aide. »
« Les jeunes se lèvent chaque jour, ils préparent le masque qu’ils vont porter sur le chemin de l’école, mais la plupart ne savent plus se débarrasser du masque. Qu’est-ce que tu caches aux autres ? Près de 90% d’entre vous ont marqué « douleur », « colère » au dos de leur feuille. »
— Ashanti Branch, éducateur
« Si tu ne pleures jamais, tu as toutes ces émotions stockées à l’intérieur, et tu ne peux pas les laisser sortir. »
« Ils sont vraiment endoctrinés par cette culture qui ne valorise pas ce qui est féminisé. Si nous sommes dans une culture qui ne valorise pas l’attention, l’affection, les relations, l’empathie, vous allez avoir des filles et des garçons, des hommes et des femmes en détresse. »
— Dr. Niobe Way, psychologue et éducatrice
« J’avais des problèmes de colère au lycée, je me sentais exclu. »
« J’ai été exclu, au moins une fois chaque année que j’ai passée ici. »
« On cherchait des emmerdes, des raisons de se bagarrer. »
« Les garçons ont plus de chances de s’emporter, de devenir agressifs. La plupart des gens ne font pas l’association et voient ces comportements comme étant dus à des écarts de conduite, ou une mauvaise éducation. »
— Dr William Pollack, psychologue et éducateur
« Moins de 50% des garçons et des hommes ayant des problèmes de santé mentale cherchent à se faire aider. »
« J’avais envie de tout abandonner. J’avais des pensées suicidaires. »
« Je me suis senti seul pendant très longtemps, et j’ai sérieusement pensé à me suicider. »
« Chaque jour, 3 garçons ou plus se suicident aux États-Unis. »
« Que ce soit de la violence meurtrière ou suicidaire, les garçons en viennent à ces actes désespérés uniquement lorsqu’ils se sentent honteux, humiliés, ou qu’ils seraient humiliés s’ils ne prouvaient pas qu’ils sont « de vrais hommes ». »
— Dr James Gilligan, psychiatre et éducateur
« Si on vous répète depuis toujours qu’il ne faut laisser personne vous manquer de respect, et que c’est ainsi que vous devez régler vos problèmes « comme un homme », alors pour vous le respect est lié à la violence ! »
— Dr Joseph Marshall, éducateur
« Si je peux « être un homme », pourquoi j’agirais autrement, tu vois ce que je veux dire ? — c’est un instinct »
« En tant que société, nous sommes défaillants vis-à-vis de nos garçons »
Le masque que tu portes »
Le documentaire est désormais disponible sur Netflix France !
Mise à jour du 7 décembre 2015 — Le documentaire The Mask You Live In est projeté à Paris le 14 décembre 2015 ! Ça se passe à 19 heures, à La Source, au rez-de-chaussée de l’espace de co-working Le Tank, 22, bis rue des Taillandiers, dans le 11ème arrondissement.
Et histoire d’éclairer le contenu du documentaire, une discussion est prévue à l’issue de la projection ! Seront présents un sociologue Florian Vörös, doctorant en sociologie qui travaille sur ce qui produit la masculinité, et une psychologue clinicienne, Clémence Moreau, qui s’intéresse à la question du genre dès la petite enfance. La discussion sera animée par Baptiste Fluzin, directeur de création pour l’agence de communication Spintank, et Chloé Lobre, designer user experience.
Les Commentaires
Lors de débats sur internet concernant les stéréotypes hommes-femmes, je vois trop souvent le terme "male tears" pour se moquer des hommes qui commencent petit à petit à remettre en cause les injonctions patriarcales