Le 22 octobre 2017
Sigrid nous avait raconté dans un premier témoignage qu’elle était devenue la femme d’un condamné à mort américain. Vous pouvez retrouver l’histoire de leur rencontre dans cet article.
Aujourd’hui, elle revient pour nous raconter sur ce que cela signifie pour elle au quotidien.
Voilà maintenant un an et demi que je suis officiellement devenue une femme de détenu, une « prison wife ». Après plusieurs années à distance, je démarre une nouvelle vie près de lui, aux États-Unis.
Obtenir un « visa épouse » quand son mari est incarcéré
Après plus d’un an de procédure pour obtenir mon visa épouse qui me permettrait de vivre aux États-Unis, j’ai enfin eu mon entretien final à Paris, fin juin.
Après avoir passé toutes les étapes du visa sans difficulté particulière, j’appréhendais ce moment car je pensais que j’allais être confrontée au passé de mon mari.
Finalement, les questions n’ont pas été très différentes de celles pour un couple « normal ». Je pense même que notre dossier était bien plus étayé que certains, avec une relation de plusieurs années, plus d’un millier de lettres échangées, de longs séjours aux États-Unis, et de jolies photos de mariage en famille.
L’agent me regardait à peine et posait des questions basiques, « Comment vous êtes-vous rencontrés ? », « Où vous êtes-vous mariés ? »
Il a finalement joint ses mains, s’est penché vers moi et m’a dit « Je suppose que oui mais je dois vous poser la question, êtes-vous au courant de sa situation légale ? »
C’était la première fois qu’il y avait un vrai contact visuel entre nous, j’ai dit « oui », m’attendant à ce que les questions à propos de son casier judiciaire fusent, un peu nerveuse à l’idée de m’embrouiller dans son parcours judiciaire…
Mais il s’est redressé, a rassemblé les papiers devant lui et m’a annoncé que tout avait l’air okay et que mon visa était approuvé. Mon incrédulité était aussi grande que mon soulagement ! On allait enfin être réunis sans l’échéance d’adieux déchirants.
Une distance difficilement supportable
Au moment de cette obtention de visa, mon mari a traversé sa période la plus sombre.
La distance venait à bout de lui. Après mon dernier séjour, je pensais ne rentrer en France que pour 2 ou 3 mois, on en était à 6. Son mal-être est devenu si apparent que j’ai reçu des messages d’autres visiteurs me demandant ce qui se passait et s’il allait bien après l’avoir aperçu dans la salle des visites. Il supporte mieux la prison que la séparation…
À cela s’ajoutait le fait qu’on ne puisse pas réellement échanger car j’ai entamé un petit tour de France pour dire au revoir à mes amis, dont certains avec lesquels je n’avais pas eu l’occasion de parler de mon mari.
Ça a parfois été une séance de pédagogie, avec des réactions de gêne, mais finalement surtout de la curiosité.
Mon blog, un exutoire indispensable
J’avais justement évoqué le fait de ne plus avoir de réponses de la part de certains proches quand j’évoquais mon mari, notamment sur mes réseaux sociaux.
Mais j’avais ce besoin d’avoir une plateforme pour parler librement de lui et de ce que nous traversons au quotidien sans avoir l’impression de mettre tout le monde mal à l’aise ou d’être jugée.
L’année dernière, j’ai donc ouvert un Tumblr. Au début, c’était juste ma petite collection de mes passages préférés de ses lettres.
En quelques mois, à ma grande surprise, mon Tumblr est devenu relativement populaire. Il est très important pour moi, car il me donne un espace pour parler de la personne la plus importante dans ma vie, mais surtout car j’ai pu le transformer en plateforme pour parler des droits des prisonniers et de leurs conditions de vie, de la peine de mort.
Je reçois aussi beaucoup de messages de petites-amies ou femmes de prisonniers qui me disent que mon blog les aide ou leur donne de l’espoir ou du courage. Elles m’envoient parfois des photos de leurs visites, j’ai même reçu des photos de mariage.
Je n’encourage pas particulièrement les relations avec détenus, mais quand ça se produit, on ne le décide pas forcément et il faut simplement en tirer le meilleur parti.
Je sais que ces femmes se sentent seules face à leur bonheur, comme j’ai pu l’être ou peux encore l’être parfois, et je suis contente de leur donner quelqu’un avec qui partager ces moments de joie, quelqu’un qui ne juge pas et qui comprend.
Les réactions négatives
Évidemment, ce blog m’apporte aussi des réactions négatives. Alors qu’il était anonyme et que je tenais absolument à ne pas divulguer mon identité ou celle de mon mari, quelqu’un (je ne suis pas sûre de qui mais forcément quelqu’un qui nous connaît !) a décidé de nous outer.
Les messages anonymes envoyés à d’autres blogs très populaires contenaient le nom de mon mari, le résumé de son affaire. La personne en question a même demandé à d’autres d’écrire des articles dessus dans le but, je pense, de me mettre les gens à dos et de m’humilier.
Je reçois des messages haineux de temps en temps, des messages qui poussent vraiment loin l’insensibilité, me rappelant que mon mari ne sortira jamais et qu’il va être exécuté.
Heureusement, j’ai la chance d’avoir le soutien d’une bonne partie de la communauté, mais, surtout, que ça ne me touche pas plus que ça. Ça me paraît à chaque fois incroyable que des gens prennent du temps sur leur journée pour harceler anonymement des inconnus en ligne.
Nous le prenons tous les deux avec philosophie. Une fois, un de mes lecteurs lui a demandé ce qu’il pensait de ces gens qui m’insultaient (que ce soit en ligne ou au quotidien d’ailleurs). Pour lui, nous gagnons, car c’est juste une opportunité pour moi de réaffirmer mon amour, la solidité et la légitimité de notre relation.
Une sentence de mort annulée… pour l’instant
En parallèle, on doit en plus faire face à de nouvelles procédures : le moment où je partais décrocher ce visa est aussi celui où sa sentence de mort a été annulée.
Mais pas dans le sens où il est « sauvé » : une décision de la cour suprême des États-Unis, puis de la cour suprême de Floride, a rendu toutes les peines de mort données depuis 2002 par un jury non-unanime inconstitutionnelles.
Ce qui veut dire qu’on va devoir prononcer une nouvelle sentence, mais qu’il reste coupable et ne peut pas le contester. Les seules options qui s’offrent à lui dans ce cadre sont donc soit une nouvelle sentence de mort, soit une peine de prison à vie sans possibilité de liberté conditionnelle.
Comment accepter d’être enfermé à vie ?
Avant, cette dernière hypothèse était inacceptable pour lui : il voulait retrouver sa liberté ou mourir.
Depuis qu’on est ensemble, il accepte mieux l’idée d’une longue peine de prison. Il me disait il y a encore moins d’un an que dans le cas où il se retrouverait avec une peine de prison à vie, il espérait qu’il mourrait rapidement, que je puisse reprendre une vie « normale ». Une pensée, heureusement, qui a fini par s’effacer.
Finalement, une peine à vie lui permettrait surtout d’avoir plus de temps pour combattre sa condamnation et obtenir un nouveau procès.
Ça signifierait aussi qu’il irait en population générale au lieu d’être en isolement permanent. Une adaptation difficile, après des années seul en cellule. Et un risque d’être transféré dans une prison loin de moi (alors que je viens juste de m’installer ici !).
Mais ça lui permettrait plus de libertés, il pourrait aller dans la cour plus souvent, pourrait travailler, et aurait peut-être accès à d’autres activités ou programmes, voire une éducation. Je pense que c’est quelque chose qui l’effraie un peu, mais il s’adapterait et je suis sûre que ce serait positif pour lui.
La peur d’être à nouveau séparés
En attendant cette nouvelle décision de justice, qui peut avoir lieu dans 2 mois comme dans 2 ans, il risque à n’importe quel moment de se retrouver transféré en maison d’arrêt, là où l’on attend initialement son procès et sa condamnation comme je l’expliquais plus haut.
Puisqu’il n’a officiellement plus de sentence, il n’a techniquement rien à faire en prison.
J’ai tout quitté pour être près de lui, et on va le renvoyer là où je ne pourrais plus le voir que 2 heures par semaine derrière une vitre…
Pour avoir eu une visite dans ces conditions, je peux vous dire que c’est assez misérable. Si ça dure quelques semaines, ça ira, mais si ça dure un an, j’ai peur de m’effondrer.
L’issue incertaine de cette nouvelle procédure
Cela reste bien sûr une bonne nouvelle, puisqu’il y a une petite chance de sauver sa vie. D’ailleurs au début, je me disais qu’ayant maintenant une bonne avocate qui connaît bien son dossier, il avait une vraie chance.
Mais elle était déjà son avocate en appel et apparemment elle n’est donc pas autorisée à intervenir sur la même affaire hors appel. Il se retrouve avec un nouvel avocat commis d’office, sans doute surbooké, pas forcément intéressé…
Aujourd’hui, on ne sait toujours pas vraiment qui s’en chargera. J’ai l’impression que les gens se refilent son dossier comme une patate chaude. Je n’ai déjà pas foi en le système de justice américain, alors mes espoirs s’effondrent avec les semaines.
Il n’est malheureusement pas plus optimiste sur l’issue de cette nouvelle décision concernant sa sentence :
« De toute évidence ma vie est dans la balance… Ce que je voudrais, c’est être condamné à une peine de prison à vie, pour que je puisse profiter de ma femme le plus longtemps possible et la soulager – ainsi que le reste de notre famille – de la menace d’une exécution imminente.
Cependant, les gens sont les gens, et même si je pense qu’ils sont bons de nature, je sais qu’ils servent parfois de marionnettes… ».
Aux États-Unis, la justice est politique. Les juges et procureurs sont élus, et j’ai l’impression que la vérité leur importe moins que de classer une affaire et d’afficher une tolérance zéro sur les crimes avec de très lourdes peines.
Comment appréhender cette période difficile ?
De mon côté, la perspective de cette nouvelle procédure me stresse aussi.
Je n’ai pas envie de voir les témoins défiler, de supporter l’arrogance du procureur (on m’a prévenue, il est très dédaigneux à mon encontre et s’est déjà exclamé « J’aimerais bien voir quel genre de bonne femme épouse un mec pareil », ambiance). Pas envie non plus de voir mon mari enchaîné pendant des heures, d’être confrontée aux victimes…
C’est complètement irréel pour moi de me retrouver dans une pièce où des gens vont argumenter sur le fait que mon mari mérite de vivre ou non. J’ai très peur d’entendre une sentence de mort, ça doit sembler idiot vu qu’il a déjà été condamné à mort une fois, mais le vivre m’angoisse beaucoup.
Pour traverser cette période de sentiments contradictoires, nous nous armons de force et de résilience.
Et surtout, le plus important, continuer à profiter de chaque instant ensemble. Comme toujours, il garde sa philosophie :
« Mon état d’esprit est plus positif que jamais !
J’ai trouvé ce que je cherchais, ce que je désirais depuis que je suis en âge de désirer quoi que ce soit qui puisse satisfaire mon cœur et mon esprit.
J’ai trouvé la personne la plus merveilleuse sur terre. Mon corps est en prison, mais ma joie s’est libérée de ses chaînes et est libre comme l’air !
Si je viens à mourir tôt, je sais au moins que je n’aurais pas gâché un seul instant : j’aurais vécu et aimé celle qui est la plus précieuse à mes yeux. »
À lire aussi : Pourquoi je corresponds avec des détenus en prison
Crédit photo : Hedi Benyounes / Unsplash
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Les Commentaires
Oui, j'avais lu tous les commentaires de la Madz à l'époque où cet article était sorti pour la première fois, mais ça me perturbe toujours. Je trouve ça perturbant que les précisions sur son empathie pour les victimes soit dans les commentaires, parce qu'on lui a fait remarquer donc, et pas dans le témoignage initial.
Après, je sais que je suis biaisée sur ce sujet !
TW crimes/suicide