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Vie quotidienne

Quand j’avais 10 ans, un secret de famille a été révélé. Depuis, j’ai une arrière-grand-mère !

Servane a rencontré son arrière-grand-mère un peu plus tard que la moyenne, quand elle avait 10 ans. Et pour cause : celle-ci refusait tout contact avec son grand-père, qu’elle a abandonné quand il était enfant… À 90 ans, elle a fini par changer d’avis.

J’ai 20 ans aujourd’hui, et je sais depuis toute petite que mon grand-père maternel a été adopté. Sa fille, ma mère, ne m’a jamais caché cette histoire : mon grand-père est un « enfant de l’amour », selon ses mots. Mais surtout, il est un enfant né hors mariage, ce qui était absolument inconcevable pour son époque — le milieu des années 40, à la fin de la guerre.

De sa mère, mon arrière-grand-mère Jeanne, je ne savais pas grand-chose… Jusqu’à ce qu’elle accepte de reprendre contact avec ma famille, après des décennies de silence.

Mon grand-père a été abandonné, puis adopté

Mon arrière-grand-mère a accouché dans un grand secret, et a réussi à dissimuler son bébé durant un mois après sa naissance, en le cachant chez une voisine. Mais on ne peut pas cacher un enfant éternellement : il fait du bruit, il a des besoins… Alors Jeanne a décidé de l’abandonner à un couvent. Elle l’a laissé avec une lettre qui indiquait son prénom, sa date de naissance, et demandait à ce qu’on prenne grand soin de lui.

Mon grand-père a donc grandi dans ce couvent, élevé par des bonnes sœurs, jusqu’à ce qu’il soit adopté aux côtés d’un autre enfant, son frère adoptif, quand il avait environ dix ans.

Son passé singulier n’était pas vraiment un secret de famille : enfant, je lui posais souvent des questions liées à son enfance, à son changement de prénom après son adoption, et il m’a toujours répondu. Les tabous et le silence étaient plutôt du côté de sa mère biologique, Jeanne, avec laquelle il n’avait aucun contact.

Je n’ai pas connu mes arrière-grands-parents adoptifs, mais je crois que c‘est quand sa mère adoptive est décédée que mon grand-père s’est mis à la recherche de sa mère biologique. Quand mon grand-père est né, l’accouchement sous X n’existait pas : il avait assez d’informations sur elle pour pouvoir accéder à ses coordonnées.

Mon arrière-grand-mère a longtemps refusé tout contact avec son fils

À plusieurs reprises au cours de sa vie, mon grand-père a cherché à retrouver Jeanne, à l’appeler ou à lui rendre visite. Mais impossible : à chacune de ses tentatives, elle lui raccrochait au nez, ou lui claquait la porte au visage. Elle avait refait sa vie, avait eu d’autres enfants à qui elle n’avait jamais raconté qu’ils avaient un frère… il était son secret. Mon grand-père, son fils illégitime, ne pouvait donc pas faire partie de sa vie. Alors il a abandonné l’idée d’échanger avec elle. 

Mais des années plus tard, quand ma mère est tombée enceinte pour la première fois (de moi !), elle s’est interrogée : elle qui ne pouvait pas concevoir d’abandonner l’enfant qu’elle portait, se demandait ce qui avait pu amener cette femme à abandonner son fils, comment cela avait-il été possible pour elle. Après l’accord de mon grand-père, elle a repris le flambeau et s’est mise à envoyer des lettres à Jeanne, sa grand-mère inconnue.

Elle lui a écrit sur sa vie : ses aspirations, le fait qu’elle était enceinte, et qu’elle allait devenir arrière-grand-mère. Je crois qu’elle avait besoin de raconter ce qu’elle et sa famille étaient devenues à cette femme qui avait vu mon grand-père pour la dernière fois quand il était nourrisson. Après tout, elle n’avait pas connu la mère adoptive de mon père… et je crois qu’elle avait envie d’avoir un lien avec sa grand-mère.

Pendant des années, ces lettres sont restées sans réponse, mais ma mère n’en cherchait pas : elle faisait ça pour elle. Elle lui en a écrit d’autres pour les grandes occasions, notamment pour la naissance de ma petite sœur et de mon petit frère, comme pour faire participer Jeanne aux réunions de famille.

À 90 ans, mon arrière-grand-mère a tout raconté

Après la naissance de mon petit frère, ma mère a décidé d’appeler mon arrière-grand-mère. Pour être sûre que ses lettres arrivaient au bon endroit, pour prendre des nouvelles pour de vrai… À ce moment-là, Jeanne avait 90 ans, et n’était pas disponible : c’est un de ses fils, l’un des frères de mon grand-père, qui a décroché. 

Sans s’étendre sur le sujet, ma mère a prétendu être une « connaissance de Jeanne », et a simplement demandé de ses nouvelles. Mais ses enfants, n’ayant jamais entendu parler de la personne au bout du fil, se sont posé des questions et ont interrogé mon arrière-grand-mère.

Je ne sais pas si c’est parce que son mari était décédé, ou si c’est parce que tous ses fils étaient présents ce jour-là, mais à 90 ans, elle a tout déballé : elle leur a raconté la naissance de mon père

, et leur a dit qui nous étions, ma famille et moi.

Ses fils nous ont raconté qu’à la fin de son récit, elle a souri, et que c’était la première fois qu’ils voyaient ça.

Ensuite, il y a eu des rencontres. Entre mon grand-père, sa mère et ses frères, tout d’abord. Mon grand-père a été extrêmement touché par cet évènement, où il n’a pas retrouvé seulement sa mère, mais aussi ses frères et leurs enfants, ses neveux et nièces !

Puis ont eu lieu les « grandes retrouvailles », avec toutes nos familles. Dont moi.

J’ai rencontré mon arrière-grand-mère à dix ans

J’avais dix ans, et je me souviens de la scène : nous étions réunis dans l’appartement d’un des fils de Jeanne. Il y avait mon grand-père, mes parents, mon arrière-grand-mère et ses fils, leurs femmes, leurs enfants…

Cet après-midi-là, je me souviens qu’autour de la table, ils se sont raconté encore et encore l’histoire de l’appel de ma mère. Chacun racontait son point de vue, sa situation au moment où tout avait été révélé, ce qu’il avait ressenti… Et chaque fois que l’histoire arrivait à sa fin, quelqu’un se souvenait d’un détail, et le récit reprenait du début !

Je crois qu’ils en avaient besoin : on s’imagine souvent que passé un certain âge, peu de bouleversements peuvent nous surprendre… Mais mes grands-oncles avaient la soixantaine quand ils ont découvert qu’ils avaient un frère, et il leur fallait du temps pour appréhender la situation.

De mon point de vue d’enfant, cela dit, la scène était barbante au possible. Mais mon arrière-grand-mère étant excellente cuisinière, les gâteaux étaient délicieux, et j’ai passé l’après-midi à jouer dans une chambre un peu plus loin.

C’est comme ça que le lundi suivant, à l’école, je me suis retrouvée à raconter à mes amies que j’avais rencontré mon arrière-grand-mère. Pour moi, son arrivée dans ma famille était incroyable. Mes camarades, elles, étaient assez peu impressionnées — le sujet de conversation est vite passé…

Depuis 10 ans, mon arrière-grand-mère fait partie de ma vie

Évidemment, tout ça ne s’est pas passé sans tensions. Certaines personnes de la famille en veulent à ma mère, et se demandent quel était l’intérêt de révéler cette histoire au grand jour. Pourquoi toutes ces démarches ? Ma tante, sa sœur, ne comprend pas trop non plus : elle se demande à quoi ça sert, d’avoir une grand-mère qu’elle n’a pas connue et avec laquelle elle n’a pas grandi. Alors, elle refuse de la rencontrer et continue à lui en vouloir d’avoir abandonné mon grand-père.

En un sens, cela se comprend : cet évènement a marqué l’environnement dans lequel ma famille maternelle a grandi. Mon grand-père comme sa femme avaient perdu leurs parents très jeunes ; ma mère ainsi que ses frères et sœurs ont grandi imprégnées par une certaine peur de l’abandon.

Mais ce secret n’en est aujourd’hui plus un : nous allons souvent en famille voir la personne que ma mère appelle « mamie gâteau ». D’ailleurs, mon petit frère, né quelques années après moi, a presque toujours connu notre arrière-grand-mère Jeanne, lui ! Nous lui écrivons des lettres, lui souhaitons son anniversaire… Il n’y a plus rien d’extraordinaire dans cette histoire depuis 10 ans maintenant : nous en avons tellement parlé le jour des « grandes retrouvailles » qu’il n’y a presque plus rien à en dire !

Si ce n’est que Jeanne, qui a presque 100 ans, est extrêmement heureuse de voir grandir ses arrière-petits-enfants.

Le courage des révélations

Si je ne devais retenir qu’une chose de cette histoire, c’est l‘immense courage qu’a eu mon arrière-grand-mère de briser le secret, et de sortir du silence. Quand elle a choisi de tout révéler, elle était déjà assez âgée et elle aurait pu mourir en ne disant rien à ses enfants. Mais elle a choisi de leur donner sa propre version de l’histoire, de ne rien leur cacher. C’est un geste très fort.

J’en ai retenu aussi qu’on ne peut pas juger les choix des autres. Ma mère m’a toujours dit sans fards que mon grand-père avait été abandonné par sa mère. À sa place et à la même époque, peut-être qu’on aurait fait le même choix qu’elle : nous n’avons pas vécu ce qui a motivé ses actions… et il y a toujours plusieurs versions à une même histoire !

Pendant longtemps, je me disais qu’après ce gros secret révélé au sein de la famille, nous étions immunisés et nous pouvions tout nos dire. Cependant, ces derniers temps, en parlant avec ma mère, j’ai découvert qu’il y avait encore beaucoup de tabous dans ma famille. Des choses qu’on cache parce que « ça ne se dit pas » , ou que personne ne raconte tant que personne n’a posé la question… Mais après tout, c’est aussi important de respecter les secrets de chacun !

À lire aussi : J’ai un grand frère caché de 20 ans mon aîné

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Les Commentaires

2
Avatar de Melancia
18 mai 2021 à 10h05
Melancia
J'aime beaucoup ce récit. Il est serein. Merci.

Juste une petite erreur :

"Quand mon grand-père est né, l’accouchement sous X n’existait pas : il avait assez d’informations sur elle pour pouvoir accéder à ses coordonnées."

L'idée de l'accouchement avec abandon dans le plus grand secret a été une première fois légalisé sous la Révolution (secret absolu gardé sur les origines de l'enfant dont sa mère). Puis le Régime de Vichy prend un décret pour la naissance sous X ,de mémoire cela date de 1941 (même si je crois que d'autres textes avant ce décret ont réglementé ce type d'accouchement).
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