« Près d’une femme sur trois a recours à l’avortement au cours de sa vie. »
Le 16 juillet, 40 députés ont déposé une proposition de loi visant à améliorer l’effectivité du droit à l’avortement en France, dont l’allongement du délai d’IVG. Et l’info est passée quasiment inaperçue… Peu de médias se sont faits le relais de cette initiative pourtant portée par 40 représentants et représentantes de l’Assemblée nationale.
Une proposition de loi sur l’avortement débattue à l’automne 2020
Menés par Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne et référente égalité femmes-hommes du groupe Ecologie Démocratie Solidarité, Danièle Obono, Clémentine Autain, Matthieu Orphelin, Marie-George Buffet, Delphine Batho et une trentaine de leurs collègues parlementaires des groupes politiques Agir Ensemble, du Groupe de la Gauche démocrate et républicaine, de La France Insoumise, du Parti Socialiste, de La République en Marche, de Libertés et Territoires et du Modem ont décidé de porter au sommet de l’État la question de l’accès effectif à l’IVG.
Cette proposition de loi dite « transpartisane » est un événement par sa démarche : il est rare qu’autant de personnalités politiques de groupes différents portent conjointement un tel projet de société.
Leur engagement est limpide :
« À l’heure où le droit à l’avortement est menacé aux quatre coins du monde, cette proposition de loi entend faire de la France un des pays les plus progressistes en la matière. »
Pour résister aux critiques, le groupe entend commander des évaluations, des rapports et mener certaines actions dans le cadre d’expérimentations.
Le texte sera vraisemblablement étudié entre l’automne et la fin d’année 2020 à l’occasion de la première niche du groupe Ecologie Démocratie Solidarité.
Que dit cette proposition de loi pour l’effectivité du droit à l’avortement ?
La proposition de loi comporte 7 articles qui viendraient modifier directement le Code de la Santé publique déjà existant.
Allongement du délai d’IVG, suppression de la double clause de conscience, focus sur l’éducation sexuelle… La loi viendrait moderniser et renforcer des dispositifs pour permettre aux femmes de disposer de leur corps comme elles le souhaitent mais aussi mieux sensibiliser la population.
Des moyens dans l’éducation à la sexualité
L’éducation à la sexualité est gravée dans les parcours scolaires depuis 2001. Malheureusement, dans les écoles, collèges et lycées, les élèves comme la communauté éducative en témoignent : elle est loin d’être effective.
Les parlementaires demandent donc la remise d’un rapport au gouvernement mesurant sa mise en œuvre. Cet article pourrait bien ouvrir des pistes pour un meilleur déploiement de cette éducation dans le cadre scolaire.
Et pourquoi ne pas s’inspirer de ce que vous, madmoiZelles, avez suggéré pour construire un programme d’éducation sexuelle ludique et proche de vos pratiques ?
L’allongement du délai légal de 12 à 14 semaines
C’est une des propositions phares : les parlementaires demandent l’allongement du délai légal d’avortement à 14 semaines, contre 12 actuellement, une requête qui avait déjà été soumise en urgence pendant le confinement, mais déboutée.
En France, l’avortement est un droit garanti depuis 45 ans. Pourtant, depuis des mois, les personnels de santé et les personnes œuvrant pour l’accès des femmes aux droits sexuels et reproductifs tirent la sonnette d’alarme : ce droit est loin d’être respecté équitablement sur tout le territoire.
Chaque année, 3 000 à 5 000 Françaises vont avorter dans un autre pays européen en raison de ce délai considéré comme trop court, alors qu’en Espagne et en Autriche, il est à 14 semaines, en Suède à 18 semaines, aux Pays-Bas à 22 semaines et au Royaume-Uni à 24 semaines.
Une enquête de l’Agence régionale de Santé (l’ARS) réalisée entre mai et juillet 2019 démontrait même qu’en France, si le délai moyen entre le premier rendez-vous et l’acte d’interruption est plutôt satisfaisant (7,4 jours), des personnes relèvent des difficultés d’accès au-delà de 10 semaines seulement.
La suppression de la double clause de conscience
En France, les médecins peuvent faire appel au principe de la « clause de conscience » pour refuser de prendre en charge un patient. En plus de ce droit, une clause de conscience existe spécifiquement pour la pratique des actes d’IVG.
En 2018, Esther avait relayé un échange révoltant entre le président du Syndicat des gynécologues obstétriciens de France (le Syngof) et une journaliste de Quotidien :
– Nous ne sommes pas là pour retirer des vies. – Quand vous dites retirer une vie, un enfant à naître n’est pas une vie au sens juridique. Ce n’est pas un homicide de faire une IVG. – Si, madame.
Si heureusement de nombreuses et nombreux gynécos ne comparent pas un avortement à un homicide, la position du président est inquiétante, puisqu’il est censé faire figure de représentation dans sa profession.
Les parlementaires s’opposent donc fermement à cette double clause de conscience :
En permettant précisément aux professionnel.le.s de santé de ne pas pratiquer l’IVG, cette dernière consacre le droit du corps médical de contester la loi au nom de convictions personnelles.
Des IVG instrumentales autorisées dans Centres de planification
Des centaines de centres de planification et d’éducation familiale sont réparties sur le territoires français. Ces centres destinés à accueillir et conseiller le public ne pratiquent aujourd’hui pas d’IVG instrumentales.
Sarah Durocher, coprésidente du Planning Familial, explique :
« Sur certains territoires, les femmes ne peuvent faire que des IVG médicamenteuses. Si l’IVG doit toujours être dans l’hôpital public, il est important qu’un choix soit toujours possible entre l’instrumental ou le médicamenteux : il s’agit avant tout de faciliter les parcours des femmes. »
La loi étendrait l’autorisation de pratiques des IVG instrumentales dans ces centres, dans le cadre d’une expérimentation de trois ans.
Des IVG instrumentales pratiquées par des sages-femmes formées
Dans la même logique de s’appuyer sur les expertises déjà existantes, les parlementaires demandent l’élargissement de pratique de l’IVG instrumentale aux sages-femmes « dès lors qu’elles peuvent justifier d’expériences minimales spécifiques et qu’elles suivent une formation complémentaire ».
Les sages-femmes, qui ont un rôle d’écoute, d’information, de dépistage et pallient parfois l’absence de gynécologues sur les territoires peuvent déjà réaliser des IVG médicamenteuses.
Une validation du diagnostic prénatal élargi à d’autres gynéco
Enfin, alors que la validation du diagnostic médical n’est aujourd’hui assurée que par des gynécologues obstétriciens spécialisés, les parlementaires demandent un élargissement de cette compétence à un plus grand nombre de gynécologues pour garantir une meilleure répartition territoriale.
L’IVG, un droit fondamental en France
Toutes ces mesures peuvent sembler évidentes… Et pourtant, voilà des années que des inégalités persistent.
Le 17 janvier 1975, la loi Veil a rendu l’interruption volontaire de grossesse légale en France, après des décennies de bataille politique et de pratiques clandestines, qui auront coûté la vie de milliers de femmes.
En parallèle, depuis 1960, le Planning Familial, un mouvement féministe et d’éducation populaire regroupant 70 associations, agit pour mettre en application ces droits.
Animé par des militantes et militants bénévoles et salariées, il déploie toute l’année un plaidoyer en faveur du droits des femmes à disposer de leur corps tout en assurant l’accueil des personnes, dans une trentaine de centres de planification notamment.
En 2018, 224 300 IVG ont été pratiquées et notre système de santé nous offre une chance : cet acte est remboursé par la Sécurité sociale.
Mais ce droit fondamental, bien que désormais gravé dans les textes de lois, souffre encore d’une mise en application très inégalitaire.
Sarah Durocher n’est pas surprise que pour le moment, la proposition de loi n’ait pas fait grand bruit.
« On a toujours l’impression qu’en France l’avortement est gagné, ancré. Nous sommes reconnaissantes des professionnels, militantes et journalistes qui nous ont permis de donner de la visibilité aux réalités des femmes souhaitant recourir à l’avortement mais nous constatons que l’idée du grand public sur l’avortement, c’est que ‘tout va bien’ et qu’il n’est pas nécessaire d’en parler.
Voilà pourquoi nous saluons le travail des parlementaires qui ont déposé cette proposition. Nous savons que c’est le travail des associations et des professionnels de santé qui l’a nourrie et nous nous en réjouissons. C’est un grand pas. »
À lire aussi : La Loi Veil a 40 ans, mais le combat pour le droit de choisir est toujours d’actualité
Pourquoi l’avortement n’est pas un droit vraiment garanti en France ?
Si techniquement, la majorité des femmes a accès à l’avortement, sur le terrain, leurs démarches sont parsemées d’obstacles.
La distance et les galères logistiques
Le rapport d’activité 2018 du Planning Familial pointait déjà les différents freins matériels et moraux qui compliquent le passage à l’acte.
En 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes alertait déjà sur le fait que 130 établissements spécialisés dans l’IVG avaient fermé en l’espace de 10 ans.
Ces fermetures sont le fait d’une baisse progressive des financements publics et elles fragilisent tout un écosystème médical, notamment dans les territoires les plus ruraux.
Sarah Durocher confirme :
« En France, certaines femmes doivent faire 70km pour accéder à un avortement. »
Combien de personnes sans moyen de se déplacer renoncent aujourd’hui à une IVG ?
Pendant le confinement, le Planning Familial a relevé une augmentation des demandes particulièrement inquiétantes, qui ont mis en exergue la difficulté de maintenir le délai légal de l’IVG instrumentale à 12 semaines.
Sur la période du 30 mars au 19 avril, le Planning Familial a noté une augmentation de 31% des appels sur le numéro vert (0800 08 11 11) par rapport à la même période de l’année 2019 (les écoutants et écoutantes ont enregistré 2045 fiches contre 1565 en 2019).
Le rapport indique une augmentation de 330% concernant les difficultés exprimées par les appelantes du numéro vert. Ces difficultés comprennent «un accueil IVG culpabilisant et/ou jugeant, une désinformation par un ou une professionnelle ou une personne anti-IVG, une situation de violences conjugales ou familiales, une situation de dépassement des délais légaux français pour la réalisation d’une IVG entraînant un avortement à l’étranger et bien sûr les difficultés liées au confinement. »
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Une culture encore moraliste et culpabilisante
Au-delà de l’aspect logistique, le moralisme est toujours, en 2020, une menace pour les droits des femmes à disposer de leur corps. Les gynécologues peuvent aujourd’hui s’appuyer sur la double clause de conscience pour éviter de pratiquer des avortements.
En 2019, le président du Syngof (toujours lui), avait même soumis l’idée de faire une grève des IVG pour faire pression sur le gouvernement. Un coup de com’ et un chantage insupportable que l’Ordre des médecins a décidé de sanctionner.
Cette morale est sans doute une des raisons pour lesquelles l’éducation sexuelle peine toujours à trouver sa place dans les parcours des jeunes (et des moins jeunes). Si le manque de moyens financiers est au cœur du problème du déploiement d’une réelle politique d’éducation sexuelle, la culture française reste imprégnée de principes conservateurs qu’il est long de déconstruire.
Les mouvement anti-IVG sont malheureusement toujours vocaux et désinforment largement sur Internet et par le biais de plateformes téléphoniques.
La coprésidente du Planning Familial tire cependant des enseignements positifs de la riche période de lobbying en faveur de l’accès à l’avortement qu’a amené le Covid :
« Beaucoup de personnes pensent que l’avortement est déjà acquis. Pendant l’été, notre objectif n’est pas de s’adresser qu’aux personnes déjà convaincues mais plutôt de toucher les gens qui ne se positionnent pas. En Irlande, cette stratégie sur l’avortement et le mariage pour les couples de même sexe a été payante : quand les personnes ont une vraie information, ça fonctionne. »
Reste à voir à l’automne prochain si ce travail d’information auprès des parlementaires portera ses fruits.
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Les Commentaires
Je suis plutôt d'accord avec vous deux en fait.
Étant moi-même soignante (infirmière) et future gynéco (j'espère bien que je remets ce projet en question actuellement), je comprends cette médecin qui ne se sent plus capable de pratiquer un ivg parce que ça la renvoie à sa situation de ne pas pouvoir avoir d'enfants.
Mais je suis aussi d'accord avec @Neverland90 , quand on est soignant, on est censé être neutre malgré des problèmes personnels qui peuvent influer sur notre travail. Mais en même temps on est aussi humain, et pas invincible. Parfois les problèmes nous touchent trop. J'ai eu des collègues qui ne pouvaient plus pendant un temps accompagner une fin de vie de cancer parce qu'ils venaient de le vivre avec leurs proches. Parfois ça peut même traumatiser pendant quelques années.
Moi-même qui était infirmière psy pendant 6 ans, j'ai du abandonner ce type de service. Parce que j'ai été touchée par la dépression, que je suis touchée par la bipolarité, et que quand je fais face à des patients qui ont les mêmes soucis que moi, j'arrive plus à faire la part des choses. Leurs souffrances je l'ai ressenti, je l'ai vécu et les entendre me renvoie trop. Comme j'ai du abandonner un service de TCA car je retombais dans l'anorexie.
Heureusement dans le cas d'un infirmier, on est polyvalent donc on peut changer de service.
Dans le cas d'un spécialiste; c'est plus que compliqué. J'ai vu moi-même des cancérologues abandonner leurs travails parce qu'ils ne pouvaient plus.
Le cas de ton amie @Cococinulle , est particulier.
Malheureusement dans la close de conscience on ne peut pas exiger des raisons personnels, ça serait aller contre le droit à la vie privée. Et je pense que la plupart des gynéco qui refusent cet acte c'est pas conviction personnelle de religieuse, pas par rapport à une expérience de vie difficile.
Il y a des psychiatres qui ont perdu des enfants, etc.
Bref tout ça pour dire que je comprends les deux points de vue et que je comprends à titre individuel cette gynéco. Seulement l'entrave à l'ivg arrive de plus en plus souvent dans le monde (états-unis, Pologne, Autriche, etc). En France des planning familiaux ont fermé faute de moyen. La montée de la droite conservatrice fait aussi que de plus en plus de médecins assument des convocations religieuses dans leurs pratiques. Du coup cette clause, elle me menace moi et les personnes qui veulent avorter, sur du long terme. Et ça me fait peur. J'aimerais qu'on puisse traiter cette clause au cas par cas, comme pour cette gynéco, mais ça deviendrait tellement une excuse pour certains pour ne pas le pratiquer.
Après heureusement elle redirige, et dans son cabinet d'autres pratiques. D'ailleurs peut-être que c'est ça qu'on devrait exiger. Que les gynéco qui refusent doivent avoir le nom d'un confrère obligatoire qui prend la main (mais du coup si moins pratiquent, ça rallonge le délais et des femmes peuvent pas avorter car plus de places). Et que si un gynéco ne donne pas de confrère, il se prend une grosse amende. Mais ça c'est jamais fait par l'ordre des médecins (vu que beaucoup sont vieux et conservateurs).
Moi j'ai vraiment peur que ce droit n'existe plus un jour. Et étant donné que j'ai avorté, et que le garder aurait gâcher ma vie et m'aurait enchaîné avec un gros connard, ben ça me fait flipper.