Pourquoi le nom de Tina Turner est gravé dans l’histoire du féminisme

Si la regrettée Tina Turner est célébrée en tant que « reine du rock’n roll », son héritage dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles mérite aussi d’être reconnu.

Décédée ce mercredi 24 mai à l’âge de 83 ans des suites d’une longue maladie, Tina Turner a été une pionnière dans la dénonciation des violences conjugales.

Enfermée dans une relation d’emprise imposée par son premier mari Ike Turner, Tina Turner a survécu à plusieurs années de violences domestiques. Alors même que sa vie était menacée, elle a osé parler frontalement d’une problématique largement passée sous silence, ouvrant la voie à des générations de femmes.

« J’allais devenir son gagne-pain »

Née en 1939, Tina Turner a connu le succès très tôt, dès les années 1960 et 1970. Elle brillait en tant que chanteuse du duo Ike & Tina Turner, aux côtés d’Ike Turner, qui était à la fois son partenaire musical, son manager et son mari. Le couple s’est rencontré alors que Tina n’avait que 17 ans.

Constatant l’ampleur de son talent, le leader du groupe de blues Kings of Rythm a rapidement vu une future star en la jeune chanteuse. Dès lors, il a tout fait pour se l’approprier, allant jusqu’à lui imposer un nouveau nom (le nom de naissance de Tina Turner est en réalité Anna Mae Bullock).

Dans son autobiographie publiée en 2018, la chanteuse de 78 ans révélait les violences innommables qu’Ike Turner lui faisait subir, la poussant jusqu’à une tentative de suicide en 1968. Dans l’ouvrage, elle confiait :

« Ma relation avec Ike a été vouée à l’échec le jour où il a compris que j’allais devenir son gagne-pain. Il avait besoin de me contrôler, économiquement et psychologiquement, pour que je ne puisse jamais le quitter. »

Une bascule historique pour les victimes de violences sexistes et sexuelles avec l’interview de 1981

Après des années enfermée dans le silence et le secret, Tina Turner a surmonté la terreur et a parlé de son calvaire publiquement dans une interview en 1981 pour le magazine People.

Outre la peur qu’Ike Turner ne se venge si elle parlait, Tina Turner a expliqué avoir redouté que ces révélations ne compromettent son travail. Dans un documentaire sorti en 2021, la star a même confié avoir demandé à une voyante si cela éteindrait sa carrière, ce à quoi la médium aurait répondu « Non, Tina. Ça va faire exactement le contraire. Ça va ouvrir des portes en grand. »

Dans l’interview, la star mettait en lumière les dynamiques de pouvoir au sein d’une relation d’emprise. Il lui aura fallu survivre jusqu’en 1978 pour quitter Ike Turner. « Peut-être que j’ai subi un lavage de cerveau », s’interrogeait-elle.

« Quand Tina Turner a parlé », le monde a pris conscience que « la violence domestique était partout« 

Dans les colonnes de BBC, Lenore E. Walker, psychologue et professeur d’université spécialisée dans les violences conjugales, a décrypté la bascule majeure opérée par la prise de parole de Tina Turner :

« En 1981, nous apprenions à peine l’étendue de la violence domestique dans les foyers. On a souvent pensé qu’il n’y avait que des femmes pauvres sans ressources qui étaient abusées. Quand Tina Turner a parlé de sa vie, cela a fait prendre conscience du fait que la violence domestique était partout. »

Pour Lenore E. Walker, Tina Turner a ouvert la voie à d’autres femmes, jusqu’à aujourd’hui. Elle a expliqué :

« Les femmes n’étaient pas crues lorsqu’elles parlaient de violence domestique, alors quand Tina Turner, une chanteuse respectée et célèbre, s’est exprimée, cela a donné à d’autres femmes le courage de le faire également »

Parmi ses femmes aidées par le témoignage de Tina Turner, on peut citer la présentatrice Oprah Winfrey, elle aussi victime de violences sexuelles. Dans le documentaire consacré à Tina Turner, la présentatrice star a confié : « Personne ne parlait d’abus sexuels, d’abus physiques, d’abus domestiques – d’abus, point final. Notre génération est la génération qui a commencé à briser le silence. »

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