À l’occasion de la fête des Mères, Madmoizelle met en lumière le parcours des mamans immigrées qui ont choisi de tout quitter, pour reconstruire leur vie ailleurs. Trois mères et leurs enfants, six expériences de la migration, de la maternité et de l’héritage qu’elles ont souhaité leur léguer.
Farida, Fen et Marlaine, accompagnées de leurs enfants Lila, Estelle et Laura, racontent leur parcours migratoire, leur intégration à la société française et leur expérience en tant que mères. Elles nous offrent un autre regard sur l’immigration et la maternité.
« Je voulais partir de chez moi pour avoir une vie meilleure »
Les opportunités professionnelles sont en général la raison qui pousse les personnes à migrer de leur pays. Marlaine ne fait pas exception : originaire du village Poudre d’Or à l’île Maurice, elle arrive en France dans les années 70 pour échapper à des conditions de vie difficiles.
« Ma mère est morte quand j’étais bébé. Ma belle-mère me maltraitait et mon père n’a jamais bougé le petit doigt pour m’aider. Je voulais partir de chez moi pour avoir une vie meilleure.»
La Mauricienne saisit l’opportunité de venir en France pour travailler dans la garde d’enfant chez les bourgeoises de la région parisienne. Sans-papiers, elle passe de famille en famille, avant de se marier avec un Martiniquais et obtenir la nationalité française en 1979. De cette union naîtront plusieurs enfants, dont Laura.
Quant à Farida, elle est partie vivre en France pour ses filles. Ses parents ayant la double nationalité algérienne et française, elle a vécu dix ans en France avant de choisir de retourner à Alger :
« Alger avait quelque chose d’envoûtant avec sa lumière, son ciel bleu et sa mer… Il y avait des pénuries de tout, mais ça créait une solidarité extraordinaire. On n’y était pas si mal. »
Farida s’y marie et donne naissance à deux filles, Aïda et Lila. Mais à la fin des années 90, son conjoint et elle décident de partir vivre définitivement en France, car l’ambiance du pays se dégrade. Farida ne se voit plus y élever ses enfants :
« À l’école, on leur apprenait un islam malsain, nourri par la peur. On leur enseignait que s’ils faisaient quelque chose de mal, ils brûleraient en Enfer. Je ne voulais pas de cette influence sur mes filles. Alors on a décidé de partir. »
Pour les enfants d’immigrées, une double appartenance difficile à appréhender
Fen a immigré de Chine pour réaliser des études d’ingénieur à Lyon. Après la naissance de leurs filles Jade et Estelle, son mari et elle décident de rester. Estelle, son aînée de 18 ans, estime avoir grandi dans une bulle d’indifférence à la couleur de peau et au racisme… mais cette bulle a fini par éclater.
« J’ai été éduquée par l’école républicaine. J’ai longtemps cru à cette utopie universaliste où tout le monde serait pareil. Ça a changé avec le Covid-19 et le racisme anti-asiatique que j’ai subi à ce moment-là. Depuis, j’ai un rapport plus compliqué à la France. »
Même sentiment pour Lila, la fille de Farida. Cette artiste et coach thérapeute a grandi à Vitry-le-François dans la Marne. La trentenaire se souvient avoir souffert de l’image de la « bonne immigrée »
:
« J’étais dans une très bonne école, puis je me suis retrouvée dans un collège de ZEP. Il y avait beaucoup de jeunes de la cité HLM à côté, plutôt maghrébins. Je me sentais un peu le cul entre deux chaises. Ni française ni algérienne. Ni riche ni pauvre. »
Laura, l’enfant de Marlaine, a ressenti une fracture culturelle similaire. Ce.tte professeur.e de Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté) a grandi dans un foyer très animé à Antony, avec des voisins d’un peu partout. Mais en CE1, sa famille emménage à Ballancourt, un village de 3.000 habitants. Le choc culturel qu’iel a ressenti continue de travailler le.la quarantenaire :
« Ma double culture se limite à ce que je sais grâce à ma famille. Mes amis sont blancs. J’aime le camembert et le vin rouge. On me dit souvent que je suis comme un.e blanc.he. Or pour moi, la France est juste le pays qui a permis à mes parents de nous offrir cette vie. Je ne m’y identifie pas.»
Transmettre sa culture d’origine quand on est une mère immigrée
« Avant, j’associais beaucoup la Chine à son gouvernement ; maintenant, je suis fière de cet héritage chinois », estime Estelle avec enthousiasme. L’étudiante a pu apprendre le chinois dans son parcours scolaire. Ses parents l’envoyaient chez ses grands-parents tous les étés, pour l’immerger dans la culture. Aujourd’hui, la jeune fille essaie de vivre en symbiose avec ses deux héritages.
Une transmission pas toujours évidente, comme pour la mère de Lila qui a préféré ne pas apprendre l’arabe à ses filles :
« À ce moment-là, on veut juste qu’elles parlent très bien français pour qu’elles s’intègrent. On se demande pas si la double culture peut être une richesse. »
Une décision qui est très difficile à digérer pour Lila qui, à 35 ans, a toujours le sentiment d’avoir grandi avec un héritage caché :
« Je suis retournée plusieurs fois en Algérie. J’essaie de me réapproprier cette culture par mes propres moyens, via la lecture, la cuisine, les vêtements, la spiritualité… Ça m’aide à nourrir un lien avec une communauté vis-à-vis de laquelle je me sens en manque d’appartenance. »
La double culture, héritage d’un champ des possibles plus larges
Marlaine, comme Farida, n’a pas transmis sa culture mauricienne à ses enfants. Elle a absorbé la culture martiniquaise de son conjoint. Mais selon Laura, l’expérience migratoire de sa mère a forgé son caractère :
« Elle nous a permis d’être qui on est, même si c’était pas forcément ce qu’elle aurait voulu. Cette tolérance m’a permis de me sentir libre par rapport à mon orientation sexuelle et mon genre. »
Selon Estelle, c’est le fait que ses parents soient venus en France pour une meilleure vie qui fait qu’ils l’ont toujours poussée à se dépasser à l’école.
« Mes parents sont comme des modèles. Ma mère a créé une entreprise dans une période où les Asiatiques avaient encore une image compliquée. Je me dis que si elle a pu, moi aussi je peux.»
L’héritage de Lila lui laisse encore un sentiment mitigé :
« C’est comme si j’avais subi une amputation, puis une transplantation. Ça m’ouvre à des questions. Mais je me sens privilégiée d’être de cette génération qui a le luxe de pouvoir se les poser. »
Merci à ces trois mères et à leurs enfants d’avoir témoigné sur Madmoizelle, et raconté leur rapport à leurs origines, leur passé, leur futur !
À lire aussi : Ma double-culture et mon rapport à la sexualité
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