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Lou Trotignon photographié par Saadia Hamdine @sahamage // Source : Saadia Hamdine @sahamage
Humeurs & Humours

Lou Trotignon, humoriste trans : « C’est ok de douter, ça peut même être une identité »

Depuis près d’un an, Lou Trotignon joue sur scène son spectacle de stand-up Mérou qui évoque notamment sa transition de genre, le travail du sexe, le BDSM ou encore le strip-tease. Rencontre avec l’humoriste qui nage droit devant lui vers le succès.

« La première scène où j’ai dit le mot ‘trans’ j’étais libéré d’un poids. Je ne l’avais même pas encore dit à ma famille, je l’ai dit direct au public », nous raconte Lou Trotignon. À travers son stand-up Mérou, l’humoriste de 26 ans raconte sa vie, évoque son passage par le strip tease et le travail du sexe, mais aussi sa transition de genre, et son spectacle évolue d’ailleurs en fonction de son évolution. Après avoir beaucoup trop ri lors d’une représentation de son show à La Nouvelle Seine, Madmoizelle a donc voulu en savoir plus sur ce nouveau talent de l’humour en France qui en questionne et déconstruit les limites si binaires.

Interview de Lou Trotignon, humoriste, auteur de Mérou

Quand et comment as-tu compris que tu es drôle ?

Très jeune ! Vers mes 7-8 ans. J’ai compris que j’étais vite accepté dans un groupe ou auprès des adultes en étant le clown de service. J’organisais des pièces de théâtre chez moi, mais j’étais le pire metteur en scène, hyper sévère genre Malkovich. Je voulais absolument que les garçons jouent le rôle des filles et que les filles jouent le rôle des hommes. Donc un Malkovich trans. 

Qu’est-ce qui t’a amené à penser que tu pouvais en faire un métier ?

Quand je suis rentré à l’Académie d’Humour en septembre 2022, une formation de un an, pour se professionnaliser justement. Tout à coup j’étais validé par des professionnels. J’ai aussi été très encouragé par Shirley Souagnon, Tania Dutel, et j’ai rencontré Tahnee et Mahaut Drama très vite qui ont vraiment été des modèles pour moi en termes de professionnalisation. 

Mais surtout je me suis dit « peut être je peux en faire ma vie » quand pour la première fois j’ai joué devant un public queer [en Octobre 2021 à la Queer Week après un atelier écriture avec Tahnee, ndlr] et que les gens se sentaient concernés par ce que je disais. Je me suis dit : « j’ai un public, y a moy’».

Maintenant l’enjeu c’est de montrer qu’une parole queer c’est pour tout le monde, pas que les concerné·e·s.

En quoi l’humour t’a-t-il aidé dans ta transition ?

Pour moi dans le stand-up et sur scène, tu es obligé d’être hyper honnête avec toi-même, le public le sent tout de suite quand tu ne l’es pas. C’est parce que je voulais être authentique sur scène que je suis allé creuser loin dans mon identité de genre. Et la première scène où j’ai dit le mot « trans » j’étais libéré d’un poids. Je ne l’ai même pas dit à ma famille, je l’ai dit direct au public.

Dans ton premier spectacle, Mérou, tu évoques ta transition, abordant sans fards tes doutes. Pourquoi c’est important de s’attarder aussi sur ces questionnements autour des genres ?

Je pense que de manière générale, toute parole trans est importante, qu’on soit sur le spectre de la non binarité ou non. Le problème c’est que, en France notamment, jusqu’ici on entendait un seul discours c’est-à-dire qu’une personne trans sait forcément qui elle est depuis son enfance, et est mal dans sa peau, veut absolument rentrer dans les normes, faire toutes les opérations etc. Or ce n’est pas du tout le seul vécu trans. Si j’ai pris du temps avant de comprendre que je suis trans c’est parce que je n’avais pas de représentations de personnes comme moi, c’est-à-dire non binaires. Il y a aussi beaucoup de doute dans le parcours trans,  on peut se sentir pas légitime, pas trop savoir si ce qu’on ressent ça s’appelle vraiment être trans, etc. Moi j’aurais aimé qu’on me dise « c’est ok de douter, ça peut même être une identité » et du coup je le dis sur scène. 

Ma non-binarité à moi elle se traduit par une sensation d’être incapable de correspondre aux normes féminines et masculines. Et ça je pense qu’il n’y a pas que les personnes trans qui le ressentent. Je pense que plein de mecs cis et de meufs cis souffrent de l’obligation à rentrer dans les normes.

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Lou Trotignon photographié par Saadia Hamdine @sahamage

À ma connaissance, tu es la seule personne trans out à faire du stand-up aujourd’hui en France. Comment expliques-tu ce cas unique ?

Oui, je crois que je suis la première personne trans dans le stand-up en France à dire « je suis trans ». Après, Shirley Souagnon parle de sa non-binarité dans son dernier spectacle, Océan a aussi permis à plein de personnes trans et queers de s’assumer grâce à ses spectacles et son documentaire. Il y a aussi Laurène Marx, dont je rêve de voir le spectacle. 

Mais dans les Comedys clubs je suis tout seul. Il y a de plus en plus de personnes trans qui se lancent et j’ai super hâte.

Qu’est-ce que cela raconte de la place des transidentités ici et maintenant selon toi ?

La raison de pourquoi je suis seul est multiple. Déjà s’il n’y a pas de représentations trans dans le stand-up en France, peu de personnes trans vont se dire qu’iels peuvent aussi faire de la scène. Le stand-up est un métier précaire, on gagne peu d’argent pendant longtemps, or la plupart des personnes trans sont déjà précaires, alors pas facile de se lancer corps et âme dans la scène. Enfin, la parole s’est libérée il y a peu sur les transidentités et les discours queers en général, c’est de plus en plus accepté d’être trans, je ne sais pas si j’aurais eu le même accueil il y a 5 ans. La transphobie connaît un pic en ce moment, mais je pense que c’est parce que tout à coup on a la parole et il ne faut pas lâcher ça.

Je pense que si ça marche pour moi aussi, c’est parce que j’ai « la transidentité sage » : je dis les choses avec beaucoup de douceur, de pincettes, je suis blanc, fin, et valide, je transitionne vers la masculinité, je suis androgyne, donc je correspond à ce que les gens imaginent quand on parle d’une personne non binaire. Je pense que c’est juste une première étape, moi j’ai hâte d’un stand-up trans qui ne prend pas de pincettes, cinglant, par des meufs trans et/ou transfeminines, par des personnes trans grosses, racisées, etc.

Cela raconte peut-être aussi quelque chose de l’exclusion des femmes et des personnes LGBT+ dans le stand-up. Pourquoi a-t-on besoin que les comedy club soient eux-aussi plus inclusifs ?

C’est primordial que les Comedy clubs soient plus inclusifs parce que c’est fini les années 1800 en fait. Ça m’attriste de voir qu’en France dans le stand-up on voit encore des programmations avec majoritairement des mecs cis heteros, et très peu de meufs cis, on est vraiment à l’étape une.

Moi on m’a déjà dit « non, mais ça intéressera pas les gens », alors que le genre ça concerne tout le monde ! 

On a une responsabilité dans le stand-up parce qu’on a le pouvoir de normaliser les choses par le rire. Si ta blague est raciste alors tu normalises le racisme, tu es en train de dire « c’est ok de de moquer des personnes racisées ».

Il y a une scission qui se fait dans le stand-up en ce moment entre l’humour engagé et l’humour pas engagé. Et des fois les Comedys clubs n’aiment pas trop « l’humour engagé ». Alors que le stand-up pour moi c’est un art de la parole engagée, à partir du moment où tu montes sur scène pour dire quelque chose, c’est politique. Que tu le veuilles ou non, parler de ta bite et de comment tu baises des meufs sur scène en tant que mec cis hétéro, eh bien c’est politique. Ça s’appelle le patriarcat, mais c’est politique. Les programmateurs doivent réfléchir à quels discours ils mettent en avant. C’est ce que fait Jessie Varin, directrice de La Nouvelle Seine [où se produisent régulièrement Lou Trotignon, Tahnee, Mauhaut Drama, ou encore Noam Sinseau, ndlr] et je la remercie pour ça.

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Lou Trotignon photographié par Saadia Hamdine @sahamage

On semble assister à une nouvelle vague d’humoristes queer qui ne soient pas que des hommes cis gay blancs, dont tu fais partie au côté de Shirley Souagnon, Tahnee, Mahaut Drama ou encore Noam Sinseau. En quoi Shirley Souagnon a contribué à paver la voie pour cette nouvelle génération selon toi ?

Yaaaasss ! Je rajouterai aussi Natacha Prudent, Dena, Lolla Wesh, Alicia C’est Tout et Mamari

Pour moi Shirley a avant tout été un modèle, c’est la première personne que je voyais parler du fait d’être lesbienne et puis plus tard de non binarité en étant connu·e. En créant le Barbès Comedy Club, iel a permis qu’on ait un lieu où je me suis senti très vite encouragé à continuer, où j’ai été mis en avant en partie parce que je parlais de sujets engagés. Ça nous a donné un lieu de test et de travail indispensable pour s’améliorer. Shirley n’a pas peur de mettre en avant des jeunes humoristes qui abordent des sujets encore « tabous » et je trouve que ça manque dans la plupart des Comedy clubs aujourd’hui.

Qui sont tes références en termes d’écriture ?

J’aime beaucoup l’écriture de James Acaster, il arrive à aborder des sujets difficiles comme la colonisation et la transidentité avec beaucoup d’intelligence. Hannah Gatsby a évidemment changé ma vie avec Nanette où à un moment elle décide de ne plus faire de blague et de dénoncer le principe même de l’humour. Moi ça m’a appris à écrire des blagues qui ne reposent pas sur des oppressions systémiques. Oui, c’est possible, oui, oui. J’aime aussi beaucoup la force de Tig Notaro, qui est monté sur scène juste après avoir eu son diagnostic pour un cancer. 

Évidemment, Shirley Souagnon m’a aussi beaucoup inspiré, notamment dans la connexion qu’iel arrivé à créer avec le public.

Cela fait un an que tu tournes Mérou, qui coïncide à peu près au début de ta transition hormonale : en quoi peut-il être compliqué de transitionner socialement et médicalement sur scène ? En quoi est-ce peut-être aussi empouvoirant ? 

Pour moi ça a été surtout empouvoirant, parce que sur scène j’ai le contrôle de mon image, ça m’a beaucoup permis de m’affirmer dans mon identité de genre. C’est aussi relou parce qu’il faut refaire des photos souvent comme mon corps change beaucoup. Des fois ça peut être violent, ça m’est arrivé d’avoir des publics réticents aux sujet de la transidentité et là tu te reçois en direct et sur scène de la transphobie. J’essaie de faire en sorte que ça m’atteigne le moins possible en me disant que ça ne me concerne pas, que ces gens galèrent probablement avec leurs propres identités de genre, d’où le rejet. Mais de manière générale, je reçois surtout beaucoup d’amour de personnes qui me remercient de parler de ces sujets, notamment beaucoup de parents de personnes trans.

Dans quelle mesure ton spectacle évolue en même temps que ta transition ? 

Eh bien, je dois souvent changer des blagues. À un moment je disais que j’utilisais tous les pronoms, maintenant j’utilise surtout « il » donc j’ai changé. Pareil à un moment ma voix muait et c’était galère sur scène, j’avais une blague dessus mais maintenant ma voix est stable donc je l’ai enlevé. Cet été j’ai fait une mammectomie, et depuis septembre ça fait complètement partie du spectacle. Ça l’a même beaucoup changé. Après, là, je crois que depuis l’opération j’ai atteint une étape dans ma transition et que le spectacle est proche de sa forme finale, comme moi.

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Lou Trotignon photographié par Saadia Hamdine @sahamage

En quoi savoir qu’on joue devant une salle de personnes faisant partie de la communauté LGBT+ et de personnes alliées change les blagues que l’on peut y faire et leur réception ?

J’essaie de créer un spectacle où les personnes queers peuvent se reconnaître, et du même temps où les personnes non concernée et peut-être pas renseignée sur le sujet ne soient pas lésées.

J’aime beaucoup les deux types de public, mais c’est vrai que devant un public LGBT+ il y a quelque chose de magique qui se crée, je me sens compris et elleux aussi et ça fait du bien de rire de nous. Pour le public, je pense que c’est fort d’être dans une salle majoritairement queers et que pour une fois les autres soient minoritaires. À la fin de mon spectacle, je veux que les gens, queer ou pas, sortent en se disant « j’ai passé un bon moment entre amix » je veux recréer ce sens de communauté qui me touche beaucoup dans nos milieux queers (même si je le critique aussi).

Quand tu te regardes dans le miroir aujourd’hui, qui est-ce que tu vois ? Un mérou ?

Timothée Chalamet. Ou le déni alors ? J’apprends encore à appréhender mon corps qui change alors devant le miroir je suis surtout dubitatif. Mais je me sens très fier du chemin que j’ai parcouru et à venir. Surtout je suis extrêmement heureux parce que je suis entouré par des personnes merveilleuses. Mon metteur en scène, Amiel Maucade, est aussi mon meilleur ami. Sandra Calderan qui collabore avec moi justement pour voir comment insérer le corps changeant dans le spectacle, est quelqu’un que j’aime énormément. Valentine Mabille, ma productrice et toutes les meufs de sa prod Julie, Carla et Asian sont des personnes incroyables qui te défendront jusqu’au bout. Et puis le Queer Crew du stand-up avec Tahnee, Mahaut Drama et Noam Sinseau sans qui je serais absolument pas là.

Quelle est la question qu’on ne te pose pas assez sur ton spectacle et sur toi ?

On ne m’a jamais demandé quels étaient les passages que j’ai eu le plus de difficulté à écrire. Pour moi c’est la partie sur le strip tease parce que c’est la plus personnelle. C’était une période très compliqué pour moi et on a beaucoup travaillé avec Amiel Maucade pour savoir comment en parler sur scène sans que ça me coûte mais tout en disant les choses. Maintenant je trouve que c’est un passage super drôle que j’adore jouer et rejouer. 

Sinon, on ne me demande pas assez où je trouve mes pantalons sublimes. Sachez que j’ai tapé pantalon a carreaux sur Vinted !

Voir Lou Trotignon sur scène :


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Les Commentaires

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Avatar de Baye
27 octobre 2023 à 10h10
Baye
Contenu caché du spoiler.
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