La crainte de payer une place de spectacle pour qu’il ne nous arrache pas un sourire, pour s’ennuyer, voire être carrément gênée par des blagues obscènes à côté de la plaque, on ne la connaît que trop bien.
Le revers de ce décor déprimant, ce sont les petites pépites qui viennent se nicher dans le monde du stand-up. Celle qu’on a dégotée cette semaine comblera toutes vos envies de rires qui font mal au ventre, de sororité viscérale et de réflexions sur un monde bien trop bizarre, où l’on se retrouve ballottée entre des anti « wokes » ou des commerciaux qui font du féminisme un argument marketing. Tout ça, c’est le rendez-vous qu’on vous promet avec In Vigneaux Veritas, un spectacle d’1 heure 30 écrit, mis en scène et joué par Caroline Vigneaux.
Quand une femme fait surgir un monde depuis une scène vide
Chez cette ancienne avocate reconvertie dans l’humour (et on ne la félicitera jamais assez d’avoir écouté ce grain de folie qui ferait hurler tout⸱e conseiller⸱e d’orientation), l’humour n’est pas qu’une question d’écriture. Certes, le spectacle est impeccablement écrit. Jamais de passages à vide, de redondances ; toujours, une progression, des détails qui s’éclairent au fur et à mesure, des running gags qu’on n’avait pas vu venir et qui nous confortent dans l’idée que cette comédienne sait ce qu’elle fait.
D’ailleurs, évoquer Caroline Vigneaux comme une comédienne fait particulièrement sens tant elle est sur scène comme quinze personnages à la fois, qui sont autant de facettes d’une même femme percevant le monde autour d’elle.
au milieu d’une mise en scène ultra minimaliste. Voix, posture, gestuelle, grimaces, voire même, simple micro sur son trépied, l’humoriste redouble de malice et de créativité pour emmener son spectacle bien au-delà d’un texte, au milieu d’un plateau complètement vide. Elle parvient ainsi à nous faire rire, déployer notre imagination, nous emmener avec elle dans le souvenir d’une anecdote mordante, la perspective d’un fantasme, ou encore, de la colère que suscitent les rencontres malheureuses avec les déchets du patriarcat, comme les masculinistes ou les agresseurs sexuels. Tout cela, dans le plus grand minimalisme possible.
Jeune, vieille, ni jeune, ni vieille : une femme qui vit, rêve, sent, réfléchit et avance
Imitation, auto-dérision, immersion dans des souvenirs, des situations ou des lieux, Caroline Vigneaux fait surgir au fil de son spectacle les multiples facettes de sa vie de femme. Et c’est précisément là que se niche toute la singularité de ce spectacle. Car, à 49 ans, elle « est pile à la moitié de sa vie, donc elle comprend encore les jeunes et déjà les vieux. » Après cette phrase, on n’a pas trouvé de meilleur résumé du concept d’In Vigneaux Veritas.
Selon qui la perçoit, Caroline est jeune, vieille ou au contraire, ni jeune, ni vieille. Derrière son dynamisme, In Vigneaux Veritas nous ouvre la perspective d’une femme qui, parce qu’elle échappe à ces deux cases structurantes, n’a que sa sincérité à offrir. Débarrassée de toute mauvaise foi, de moquerie ou de cynisme, il lui reste pour seul parti pris celui de l’observation, des questionnements et de l’empathie. Dès lors, la magie opère. Vigneaux ouvre une perspective apaisée, bienveillante et intelligente sur des sujets que l’on a trop vus caricaturés, dénaturés, réinterprétés à contre-sens (comme quand on entend que les féministes deviennent riches en brisant des carrières ou anéantissent les films Disney.)
Elle utilise le rire comme un pont solide entre des générations et des personnes entre lesquelles toute communication, tout contact semblait brisé. Elle fait de l’écriture et de la scène un espace infini, qui est à la mesure de la sensibilité, de l’empathie, de l’intelligence féminine, qui, décidément, échappe à toute case, et explique qu’on puisse tout à fait être avocate et humoriste, mère mais encore fille à son papa, féministe et obsédée par les fesses de Brad Pitt.
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