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Le débat féministe du moment : faut-il allonger le congé maternité ?

Une pétition adressée au Sénat demande l’allongement du congé maternité. Mais tout le monde n’est pas convaincu que c’est une bonne idée… Attention, préparez-vous pour le clash des idées !

En France, la durée du congé maternité pour un premier ou deuxième enfant est de seize semaines, dont dix à prendre après la naissance. Concrètement, cela veut dire qu’il faut retourner au travail quand son bébé a deux mois et demi. Beaucoup trop tôt pour les 17.000 signataires d’une pétition adressée au Sénat en début d’année qui demande l’allongement du congé maternité jusqu’aux six mois de l’enfant.

Et si, à la cantine comme en matière de congés, on est toujours partantes pour avoir du rab’, on a voulu savoir si cet allongement du congé maternité était une bonne idée d’un point de vue féministe. Et pour ça, on a posé la question à quelques expertes.

1) Allonger le congé maternité : les arguments POUR

Commençons déjà par rappeler que l’utilisation du terme « congé » est une vaste blague quand il s’agit de garder en vie un nourrisson. Prendre soin d’un bébé, créer du lien avec lui et apprendre à décoder ses pleurs n’est pas un long fleuve tranquille, et c’est vrai que de nombreuses femmes trouvent que les dix semaines accordées en postnatal ne sont pas suffisantes. Sans parler bien sûr de la difficulté à trouver un mode de garde adapté…

Amandine Clavaud, responsable Europe Égalité femmes-hommes à la fondation Jean Jaurès, nous explique l’histoire derrière le congé maternité.

« Créé en 1909, le congé maternité correspondait d’abord à huit semaines d’arrêt de travail sans rémunération. Il a été progressivement allongé et remboursé dans certains secteurs d’activité, jusqu’à passer à seize semaines avec la loi Veil.

Il a aussi fallu attendre les années 1970 pour que la rémunération soit étendue à toutes les femmes salariées. Depuis, la durée n’a pas évolué, mais le congé maternité a été harmonisé : depuis le 1er janvier 2019, les femmes qui exercent en tant qu’indépendantes bénéficient d’un congé maternité similaire. »

Les mères bricolent déjà pour rester plus longtemps avec leur bébé

D’après une étude faite en 2006 par la Direction des études du ministère de la Santé, 84 % des mères françaises souhaiteraient que le congé maternité dure plus longtemps. Alors, comme nous l’explique Amandine Hancewicz, co-fondatrice de l’association Parents et féministes, elles bricolent comme elles peuvent…

« Les femmes se débrouillent avec des jours de congés annuels, du congé parental, des arrêts maladie pour avoir plus que la durée actuelle du congé maternité. Conclusion ? Sa durée actuelle n’est pas la bonne. Selon des estimations réalisées par la Sécurité sociale, elles s’arrêtent en moyenne cinq mois. »

Au-delà de ce constat factuel, l’un des arguments avancés par la pétition pour demander l’allongement du congé maternité est la complexité à poursuivre l’allaitement au sein en reprenant le travail.

« Dans notre pays, le taux d’allaitement à la naissance est de 68%. À trois mois, soit à la fin du congé maternité, il est d’environ 22%, pour n’être plus qu’à 11% à 6 mois, ce qui est extrêmement faible. A contrario, dans les pays scandinaves où le congé maternité est beaucoup plus long, 70% des bébés sont encore allaités à 6 mois, et 60% à 1 an. »

Reprendre le travail plus tard… et pouvoir allaiter plus longtemps

Certes, il existe des solutions pour les mères qui veulent continuer à donner le sein à leur bébé (elles peuvent notamment prendre une heure par jour sur leur temps de travail pour tirer leur lait). Mais la logistique que cela implique peut être compliquée, voire quasi impossible pour certaines professions (notamment les femmes qui n’ont pas de lieu de travail fixe).

D’après Claude Didierjean-Jouveau, membre de la Leche League (une association qui soutient les personnes souhaitant allaiter au sein), beaucoup de femmes arrêtent l’allaitement quand elles reprennent le travail.

« À titre personnel, je suis favorable à l’allongement du congé maternité (et paternité) pour favoriser le lien parent-enfant. C’est possible de continuer à allaiter en reprenant le travail, mais c’est sûr que ça serait plus confortable si l’on n’avait pas à y retourner aussi rapidement.

D’ailleurs, avec les confinements, le chômage partiel et le télétravail : on a eu des témoignages de femmes qui ont finalement continué à allaiter tranquillement (et plus longtemps que ce qu’elles avaient anticipé) parce qu’elles n’avaient pas à se séparer de leur enfant. »

Celles qui ont donné le sein le savent, l’allaitement qui nécessite un apprentissage du bébé et de la mère, peut encore être fragile à deux mois et demi, et la lactation pas bien installée. Reprendre le travail un peu plus tard est alors plus sûr si nourrir notre bébé au sein nous tient à cœur, selon la spécialiste de l’allaitement, qui a écrit un livre sur le sujet : Petit guide de l’allaitement pour la mère qui travaille.

« Un mois de plus ou de moins peut faire une grande différence, ne serait-ce que quatre mois au lieu de trois : dans une étude américaine, les mères qui reprenaient le travail quand leur bébé avait au moins seize semaines allaitaient plus longtemps que les autres. »

2) Allonger le congé maternité : les arguments CONTRE

De nombreuses femmes semblent donc avoir envie de passer plus de temps avec leur bébé et un congé maternité plus long rendrait l’allaitement au sein plus facile jusqu’aux six mois de l’enfant. Mais l’allongement du congé maternité n’est pas sans risques…

Amandine Clavaud nous donne quelques éléments de contexte, pour comparer la situation de la France à celle de nos voisins européens :

« Avec ses seize semaines de congé maternité rémunérées à 100% (ou presque), la France est plutôt dans la moyenne et se situe au même niveau que l’Espagne, les Pays-Bas et l’Autriche. Les mauvais élèves en Europe sont la Belgique avec 15 semaines rémunérées à 82% et l’Allemagne avec 14 semaines rémunérées à 100%. Du côté des champions, on retrouve bien sûr les pays nordiques comme la Norvège, avec 49 semaines rémunérées à 100% (et jusqu’à 59 semaines à 80%) et la Suède avec 60 semaines à 80%. »

Plus de congé maternité = plus de discriminations au travail ?

L’une des conséquences indésirables de l’allongement du congé maternité pourrait être l’augmentation des discriminations au travail subies par les mères

.

Sachant que c’est déjà pas jojo, comme nous le rappelle Amandine Clavaud de la fondation Jean Jaurès :

« Dans le dernier baromètre du défenseur des droits, 25% des personnes interrogées déclaraient avoir été témoins de discriminations liées à la grossesse et à la maternité dans le cadre professionnel. Et une étude de l’Ined datant de février 2020 montre que l’arrivée du premier enfant entraine une chute du revenu salarial total des mères de 40% et une pénalité durable de l’ordre de 30% sur la rémunération annuelle. »

Pour l’économiste OFCE-Sciences Po Hélène Périvier, l’allongement du congé maternité ne ferait qu’accroître les discriminations dans les entreprises :

« Cela renforcerait le « risque maternité » qui pèse sur les femmes sur le marché du travail et explique en partie les inégalités professionnelles. Cela voudrait dire que la période d’absence d’une femme serait potentiellement plus longue et que les employeurs pourraient donc être plus réticents à embaucher ou promouvoir des jeunes femmes. »

Celle qui dirige le programme PRESAGE (Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre) note d’ailleurs que dans le secteur bancaire, où les droits sont plus élevés en matière de congé maternité, les jeunes femmes très qualifiées sont plus discriminées que leurs homologues masculins.

« Il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on allonge fortement le congé maternité, même sans le rendre obligatoire, on risque de renforcer le signal que toutes les femmes sont potentiellement moins « fiables » au sens où elles peuvent s’absenter plusieurs mois. »

Allonger le congé maternité et renforcer les inégalités à la maison ?

L’autre écueil pour la militante féministe Amandine Hancewicz, c’est le creusement des inégalités en matière de charge parentale :

« Avec un congé maternité plus long, il y a un risque d’augmentation des inégalités dans le partage des tâches parentales, et par extension domestiques. Il faut accompagner et inciter les hommes à prendre leur part après la naissance, et pour moi ça passe par l’alignement des congés (et pourquoi pas l’augmentation !) pour les deux parents. »

De fait, si les mères restent plus longtemps seules à la maison avec leur nourrisson, elles deviendront donc plus compétentes pour s’en occuper et seront d’office vues comme les chefs du projet bébé.

Outre ce creusement des inégalités, un congé maternité plus long – sans alignement du congé paternité – voudrait aussi dire un isolement des mères sur une période plus étendue, avec toutes les questions que cela pose en termes de santé mentale. (Et quiconque a passé deux heures avec un bébé qui pleure en continu sans raison apparente, sait qu’il y a de quoi vriller.)

Gare aux injonctions à l’allaitement et à rester à la maison !

Outre ces difficultés, l’autre co-fondatrice de l’association Parents et féministes, Manuela Spinelli, s’inquiète des éventuelles injonctions à l’allaitement :

« Si l’on obtient un allongement en se basant sur le fait que le congé maternité ne correspond pas aux recommandations de l’OMS qui conseille un allaitement exclusif au lait maternel pendant six mois, on part du principe que toutes les mères donnent le sein pendant six mois. Or, c’est faux et il ne faut pas que les mères qui font le choix de ne pas allaiter [ndlr : ou qui n’y parviennent pas] se sentent remises en cause. »

Sans oublier bien sûr que certaines femmes ont envie de reprendre le travail rapidement, deux, trois, quatre ou cinq mois après leur accouchement, et qu’elles doivent pouvoir le faire sans se sentir jugées ou pointées du doigt, comme le rappelle très justement Manuela Spinelli :

« Il y a des femmes pour qui le retour au travail est un moment de libération : elles ne sont plus obligées de rester seules avec leur bébé. Plutôt que dire : il faut allonger le congé maternité, point. Je pense qu’il faudrait retravailler les congés parentaux, pour qu’ils soient plus flexibles afin que les parents puissent les adapter à leurs besoins. »

3) Repenser les congés familiaux pour plus de choix et d’égalité

Repenser l’ensemble des congés familiaux pour plus de parentalité féministe et d’égalité dans le monde professionnel, cela pourrait notamment passer par l’allongement du congé paternité (qui passera à 28 jours à partir du 1er juillet) pour l’aligner sur le congé maternité, comme est en train de le faire l’Espagne, précurseuse en la matière.

Il faudrait également repenser le congé parental qui reste aujourd’hui pris à une écrasante majorité par les mères, comme l’explique la spécialiste des études de genre Manuela Spinelli :

« Le congé parental devrait être accessible à tout le monde. En réalité, comme il est mal rémunéré, seuls les couples où il y a un seul salaire qui permet à la famille de vivre peuvent y accéder. Cela creuse encore plus les inégalités sociales. »

Et comme les hommes sont en moyenne mieux rémunérés que les femmes, les calculs sont vite faits (et pas bons) : ce sont les mères qui s’arrêtent de travailler pour garder leurs enfants. D’autant plus que les modes de garde proposés aux familles ne sont pas toujours adaptés à leur situation personnelle ou financière.

Une autre piste intéressante soulevée par l’historienne féministe Yvonne Knibiehler serait d’imaginer un départ en congé maternité progressif et un retour au travail sur le même mode, plutôt que de passer du tout au rien. Et c’est vrai que le temps partiel, des horaires allégés et/ou le recours au télétravail pourraient être une solution pour permettre aux femmes qui le souhaitent d’allaiter plus longtemps et plus facilement.

4) Comment financer la réforme des congés familiaux ?

Reste bien sûr la question qui fâche : combien coûteraient ces droits supplémentaires pour les pères et les mères, en termes de dépenses publiques ? Difficile de fournir une estimation au doigt mouillé, mais pour Amandine Clavaud de la fondation Jean Jaurès, ces diverses pistes de réformes représentent un « coût non négligeable ».

« En 2019, la France et l’Allemagne ont freiné l’adoption de la directive européenne sur l’équilibre vie privée – vie professionnelle, car les gouvernements jugeaient les mesures proposées, notamment en matière de congés parentaux, trop couteuses.

J’ai personnellement tendance à penser qu’il faut une politique volontariste pour rattraper les inégalités professionnelles, et cette finalité peut justifier qu’on investisse de l’argent dedans. »

Alors, faut-il allonger ou pas le congé maternité ? L’économiste Hélène Périvier résume en quelques phrases les enjeux autour de cette question :

« Réfléchir à l’allongement du congé maternité, c’est juste regarder une petite partie du problème. Il faut avoir une vision assez large de l’accompagnement de l’enfant de la naissance à la scolarisation, du point de vue de l’égalité des sexes. Ça mériterait plutôt une remise à plat des politiques publiques autour des congés et de les articuler avec quelque chose de plus ambitieux en matière de mode de garde. »

Un sujet dont on espère que les candidats et candidates se saisiront pour les élections de 2022. En attendant, on va continuer à compter nos jours de congés et nos économies pour pouvoir passer plus de temps avec nos enfants.

À lire aussi : On a beau essayer de les « forcer », les pères ne prennent pas de congé parental


Les Commentaires

7
Avatar de Coco l'asticot
23 mai 2021 à 17h05
Coco l'asticot
Je dis un grand OUI pour le bien des bébés je trouve que rester un an avec eux les deux parents à la fois seraient très bien
1
Voir les 7 commentaires

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