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Société

« Le 7 octobre a réveillé chez les femmes des traumatismes de violences sexuelles enfouis », Amira Bsoul, psychologue en Israel

Le 4 mars, un rapport spécial de l’ONU affirmait que « des violences sexuelles se sont produites en plusieurs endroits, y compris sous la forme de viols et de viols en réunion, au cours des attaques du 7 octobre 2023 ». Vingt-trois pages glaçantes qui soulèvent aussi les difficultés d’enquêter sur le sujet, quand la plupart des victimes ont été assassinées.

Depuis le mois d’octobre, les témoignages remontaient à la surface au compte-gouttes : d’abord silencieusement sur la base militaire de Shura où les corps des victimes ont été identifiés et où les mutilations liées aux violences sexuelles étaient impossibles à ignorer, puis sur les preuves vidéos postées par le Hamas, dans les récits des secouristes arrivés en premier sur les lieux, dans ceux des témoins traumatisés, et ceux, recueillis plus tard, des otages libérés.

Dans le sud du pays, à Beer-Sheva, centre administratif de 200 000 habitants posé au milieu du désert de Néguev et cœur de la région la plus touchée par l’attaque, le traumatisme est palpable. C’est ici que le bureau du procureur général du sud a lancé une enquête titanesque qui avance à pas feutrés, envisageant un jour, peut-être, un procès dans un tribunal spécial. C’est ici aussi qu’est basée l’association MASLAN, fondée par des féministes israéliennes en 1988 pour venir en aide aux femmes battues et abusées. Amira Bsoul, psychologue clinicienne formée en psychologie et en gender studies au Canada et en Israël, y travaille depuis quelques mois. Depuis le 7 octobre, MASLAN traite des dizaines de victimes ou témoins de viols ou d’agressions sexuelles survenus lors de l’attaque du Hamas, ainsi que leurs proches.

Pour Madmoizelle, Amira Bsoul revient sur la difficulté des enquêtes de ce type et sur le traumatisme collectif pour les femmes. 

Comment votre organisation aide-t-elle les femmes victimes de l’attaque du 7 octobre ? 

Amira Bsoul. Actuellement, nous avons reçu environ 75 appels de victimes. Cela comprend plusieurs catégories, celles qui ont été violées — mais elles sont peu nombreuses car la plupart ont été assassinées —, des victimes d’agressions sexuelles, des témoins des viols qui sont également traumatisés, et des victimes de violences qui n’ont rien à voir avec l’attaque du Hamas mais pour qui cet événement réveille des souvenirs douloureux.

Nous avons mis en place une ligne téléphonique d’urgence. Nous les aidons via différentes thérapies. Par exemple, nous avons une technique qui mélange la parole et le yoga. Le traumatisme crispe le corps, comme si on essayait de se cacher ou de se protéger. Le yoga peut soulager ces tensions corporelles. Parler en même temps permet de débloquer des connexions. Nous faisons également de la thérapie par l’art, ce qui permet aux victimes de violences sexuelles qui n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu de s’exprimer autrement. Le traumatisme peut provoquer des douleurs sans que l’on comprenne pourquoi. Depuis le 7 octobre, beaucoup de gens souffrent de migraine par exemple. Ça peut être des douleurs au ventre, au dos. C’est pour ça que l’on croit beaucoup aux traitements qui combinent la parole et le corps.

Quelles sont les spécificités du traumatisme dans un tel cas ? 

Amira Bsoul. Les victimes de viols ou d’agressions sexuelles ressentent généralement de la honte et de la culpabilité. Elles ne devraient pas, mais c’est le cas dans l’immense majorité des cas. Ce qu’il y a de spécial ici, c’est que les victimes que nous traitons ressentent de la honte, mais pas de culpabilité. Elles étaient en train de faire la fête à un festival de musique ou de dormir chez elles, elles savent qu’elles n’ont rien fait de mal. C’est la première fois que je vois ça.

Nous n’avons pas beaucoup de recherche sur ces traumatismes, le DSM, la bible des médecins, ne peut pas vraiment nous apprendre grand-chose quand il y a de telles violences envers les femmes de cette magnitude. Nous essayons d’apprendre au fur et à mesure, auprès des victimes et même si la situation est différente, nous essayons aussi de nous inspirer des recherches qui ont été effectuées en Ukraine, où il y a aussi eu des viols comme crime de guerre sur des civiles dans des villes comme Boutcha.

On a beaucoup parlé de l’absence de témoignages de victimes. La police israélienne a demandé il y a quelques mois aux victimes et aux témoins de se faire connaitre, afin de faire avancer l’enquête. Mais est-ce réaliste ? 

Amira Bsoul. Dans tous les cas de violences sexuelles, c’est très dur pour les femmes de se rendre à la police. En Israël comme dans la plupart des pays, on blâme généralement la victime. Dans le cas du 7 octobre, il faut bien comprendre que la grande majorité des victimes de viol ont été tuées. Elles ne peuvent plus témoigner. D’autres sont encore retenues en otage. Pour les quelques survivantes de viols ou d’agressions sexuelles, et pour les témoins, c’est presque absurde d’aller à la police : pour dire quoi ? Elles ne savent pas qui les a violées ou agressées. Bien sûr que ces enquêtes sont importantes, et peut-être qu’un jour il y aura un procès qui inclura les crimes sexuels, mais pour l’instant, il est déjà très difficile pour les victimes traumatisées de nous contacter pour demander de l’aide.

À l’international, la reconnaissance des crimes sexuels du 7 octobre a tardé. Est-ce que cette reconnaissance est importante pour les victimes que vous traitez ?

Amira Bsoul. Pour l’instant, ce n’est pas ce qui les préoccupe, néanmoins en Israël, il a été très douloureux pour nous les femmes de voir ce manque de soutien. En tant que féministe, nous reprochons aux hommes de ne pas croire les femmes, alors voir que les associations féministes en Europe, aux Etats-Unis, ne nous ont pas cru tout de suite, c’est au-delà de toute compréhension. Le minimum, c’est de croire les victimes, quelles qu’elles soient. 

Après un événement d’une telle ampleur, on parle de traumatisme collectif pour toute la population, même ceux qui n’ont rien subi, rien vu ? 

Amira Bsoul. Oui, un traumatisme est quelque chose qui arrive à un individu ou un groupe et il peut être physique ou psychologique. Après, on rentre dans le post-traumatisme, qui s’exprime généralement par des sentiments anxieux, des crises d’angoisse, des problèmes de sommeil, des douleurs, des problèmes dans l’intimité… Mais ici, l’événement traumatique n’est pas terminé.

On continue d’apprendre des choses sur ce qu’il s’est passé, on voit des photos et des vidéos, des gens sont toujours retenus otages, et une horrible guerre à Gaza est en cours. Six mois après, on est toujours dans un traumatisme continuel, qui agit sur tout le monde, quel que soit leur nationalité, leur religion, leur politique. Tout le monde en Israël et en Palestine le subit. Nous n’avons même pas encore commencé à voir les effets du post-traumatisme. Tant que les bombardements continuent à Gaza et que les otages ne sont pas rentrés chez eux, nous ne pouvons pas commencer le processus de guérison. 

Vous parliez des femmes qui ont subi des violences passées et pour qui le 7 octobre a réveillé le traumatisme. Est-ce un phénomène fréquent ?

Amira Bsoul. Extrêmement fréquent. Depuis le 7 octobre, on reçoit au moins deux ou trois appels par jour à ce propos. Il y a des femmes qui ne se souvenaient pas de leurs agressions qui s’en souviennent maintenant. Hier encore, j’ai vu une femme qui vient de faire le lien entre les douleurs physiques qu’elle ressent depuis octobre, et ce qui lui est arrivé dans le passé. Elle n’avait pas de souvenirs ni de flashbacks et maintenant, tout est remonté. C’est souvent lié à des agressions survenues dans l’enfance, ou dans des relations abusives à l’âge adulte. On peut parler de crise nationale. 

Est-ce qu’un événement comme celui-là, qui provoque une recrudescence du conflit, des bombardements à Gaza sur des civils, des traumatismes, peut rendre la société plus violente ? 

Amira Bsoul. Oui. On voit déjà une augmentation de la violence, notamment la violence domestique. C’est comparable à ce qu’il s’est passé pendant la pandémie, les gens étaient enfermés et redirigeaient leurs émotions violentes contre leurs partenaires. Les derniers jours, il y a eu quatre féminicides en Israël. Cela va très certainement s’aggraver, à cause de l’initiative du gouvernement de distribuer des armes à tous les civils qui ont un permis, gratuitement. Il paraît évident qu’un jour, tôt ou tard, ces armes seront retournées contre des femmes. 

Vous faites partie des 20% d’arabes citoyens d’Israël. Comment est-ce que vous vivez cette situation depuis le 7 octobre ? 

Amira Bsoul. C’est une position extrêmement complexe. Je suis arabe, je viens de Nazareth, j’ai la citoyenneté israélienne et je travaille avec des juifs et des juives, je vis dans une ville juive. J’ai l’impression d’être dans une position où je dois expliquer ce qu’il s’est passé, mais je n’ai aucune réponse. Je ressens le besoin de dire et de répéter : non, ce ne sont pas « les arabes » qui ont fait ça. Nous condamnons cette attaque du Hamas, ce qui s’est passé est atroce. Je le répète tous les jours, et puis j’essaie de me reprendre et de me dire que je n’ai pas besoin de m’excuser, je ne suis pas responsable des actions d’un groupe terroriste. J’ai vécu plusieurs guerres ici au cours de ma vie, mais rien ne ressemble à ce que la communauté arabe ressent aujourd’hui. 


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