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Source : Gustave Deghilage / Flickr
Féminisme

Je suis militante féministe et je ne veux pas qu’on laisse nos sœurs juives sur le bord de la route

Militante féministe présente à la manifestation du 25 novembre contre les violences faites aux femmes à Nantes, Rosa* a été heurtée par l’invisibilisation des femmes victimes de l’attaque du 7 octobre. Elle prend aujourd’hui la parole pour que ses sœurs juives ne soient pas les grandes oubliées du combat féministe.

Samedi 25 novembre, j’étais à la manifestation nantaise contre les violences faites aux femmes. Ce qui m’a heurtée, c’est le fait que dans les prises de parole, on n’ait pas un mot pour les victimes du 7 octobre. Ou alors, j’ai mal entendu. Que le très large cortège pro-palestinien puisse scander avec un grand sourire (et s’approprier) le fameux slogan « solidarité avec les femmes du monde entier, à Gaza et au Congo, au Soudan et au Rojava ».

En excluant ostensiblement les victimes du 7 octobre de la liste, derrière ce slogan et sa suite, il y a la violence de dire « les femmes juives ne sont pas des femmes. Elles ne sont pas nos sœurs, on ne les défend pas ». J’ai failli partir, mais, je n’avais pas envie de me faire confisquer cette marche par des militant·es qui ne voient pas plus loin que leurs chaussures.

Il faut qu’on parle sans faiblir de ce que subissent les femmes, à Gaza, mais aussi des crimes et les violences commises par le Hamas.


Depuis ses débuts à Paris, j’ai toujours vécu cette marche comme un moment de joie d’être ensemble avec une voix commune. Là, j’avais l’impression d’être exclue à chaque pas et de me faire hurler dessus. Ce qui me rend aussi dingue, c’est que personne n’a semblé réagir. Mais, moi-même, que pouvais-je faire ? Je me serais fait huer.

À lire aussi : Y aller ou non ? Ces lectrices justifient leur choix de s’être rendues ou pas à la marche contre l’antisémitisme

Je ne suis pas parfaite, mais j’essaie de tendre vers le mieux

Jamais je ne baisserai les bras pour soutenir une femme victime de violences quelle qu’elle soit. C’est ça l’intersectionnalité. Je m’éloigne de celles qui glissent vers l’antisémitisme, c’est autre chose.

On me demande de faire mes classes, mais pourquoi ne faites-vous pas les vôtres sur un truc aussi basique ? Je ne comprends pas qu’un truc aussi simple que de défendre TOUTES les femmes victimes de violences – le but de cette journée – soit inatteignable.

J’ai l’impression, malgré tout, qu’il y a un début de prise de conscience qui s’opère depuis samedi 25 novembre. À tâtons. J’ai vu passer des communiqués d’organisations féministes organisatrices de la marche qui appellent à ne pas taper sur les féministes sur cette question. J’ai aussi reçu un message privé sur Twitter d’un militant qui me dit de me taire, que Sandrine Rousseau et Rokhaya Diallo ont pris position en faveur de cette reconnaissance, donc « c’est bon, arrêtons de diviser les féministes intersectionnelles« .

Mais en fait, si on ne soulève pas le problème, c’est circulez, y’a rien à voir dans nos mouvements de gauche. Il y a un malaise dans nos mouvements sur les questions juives et sur l’antisémitisme. La marche de samedi l’a encore prouvé. Accuser celles qui l’ont mal vécu de vouloir diviser ou d’être instrumentalisées, c’est ne pas vouloir voir qu’il y a un problème.

Ne pas laisser l’extrême droite et les racistes gagner

Et ça me met en colère sans doute, mais surtout, ça me met surtout dans un état d’immense tristesse. On se sent seules. Ça me donne aussi l’impression de me rabougrir, de devenir communautariste. J’ai l’impression de devenir folle depuis un mois et demi. Est-ce que je deviens con ?

Est-ce que demander juste un peu de dignité, c’est être une affreuse colonialiste soutenant un gouvernement d’extrême droite ? Est-ce que je suis « instrumentalisée » ? Est-ce que je suis de droite ? Pas assez de gauche ? C’est con comme réflexion, mais ça me fait peur.

Ce qui me fatigue aussi, c’est d’avoir peur. Je n’ai pas envie d’avoir peur quand je vais à une manif. Je me pose à moi-même la question des raisons de cette peur. Pourquoi je devrais avoir peur d’aller en manif ou d’exprimer une position aussi simple que « chaque victime compte » ? Est-ce que c’est dans ma tête ? Le fait qu’il se passe enfin quelque chose depuis la manif de samedi me dit que non, je ne suis pas la seule à avoir un problème, ce n’est pas que dans ma tête.

Comment expliquer cette frilosité ? Je pense que certaines féministes ont peur de s’en prendre plein la gueule en soutenant des juives. D’être des mauvaises féministes intersectionnelles si elles ne soutiennent pas exclusivement la Palestine. Les réseaux sociaux, c’est aussi s’exposer à la violence et au harcèlement. Le militantisme, ce n’est pas toujours faire preuve de grande intelligence. Si on est sûre de sa boussole, on soutient toutes les femmes victimes de violences. De toute façon, on ne plaît jamais à tout le monde. Donc autant être fière et sûre de ses valeurs.

Il y a aussi la peur par des féministes de gauche d’être récupérées par l’extrême droite française et par le gouvernement d’extrême droite israélien. Les liens sont très forts entre la gauche française et le peuple palestinien et les crimes du 7 octobre ont aussi mis plusieurs semaines à émerger, au milieu du drame de Gaza. Ça a pu être un temps inaudible. Mais ça ne peut plus l’être aujourd’hui après ce qu’il s’est passé samedi.

De l’autre côté, il y a ce qu’on peut appeler tout simplement de l’antisémitisme. Je ne vois pas comment appeler ça autrement. Dans ma vie, je me suis déjà pris des réflexions du type « nan mais la Shoah, ça va… Vous n’êtes pas les seuls et il n’y a pas que la Shoah ». Là, c’est la même chose. On accuse souvent les juif·ves de se victimiser. Comme le rappelle Illana Weizman dans son dernier livre, l’antisémitisme a ça de particulier qu’on prend les juif·ves pour supérieur·es, alors que les autres formes de racisme infériorisent. Donc, voir les juifs comme des victimes paraît juste impossible aux yeux de certain·es.

J’ai aussi déjà entendu des collègues militants dire « oui, mais si vous parlez d’antisémitisme, ça va se retourner contre vous ». Mais alors, on doit faire quoi ? On ferme nos gueules et on continue à subir ? Moi, j’ai plus envie de me taire. Même si le fait de parler et de m’exposer publiquement par ce témoignage, c’est une décision pas facile à prendre. En ça, le livre d’Illana Weizman me donne un peu de courage. C’est pour toutes les fois où je n’ai pas répondu.

Aujourd’hui, j’aimerais qu’on arrive à oser dire notre soutien aux femmes victimes du 7 octobre. J’attends une reconnaissance globale des peines de chacune. Qu’on soutienne sans faiblir Esther, violée par le Hamas et Hind qui a accouché sous les gravats et les bombes.

Reconnaître les violences subies par toutes les femmes

Moi, je veux qu’on discute, qu’on se rappelle qu’on a des bases solides qui devraient être intangibles et qui ne remettent pas l’humanité de l’autre en question. Une femme victime de violence doit être défendue, peu importe qui elle est. C’est la base. Si on n’y arrive pas, on participe à un récit qui donne du grain à moudre à nos ennemis : l’extrême-droite et les racistes. Et accessoirement, on participe au climat antisémite et raciste.

L’antisémitisme, c’est violent. Ça l’est encore plus quand ça vient de gens qui sont censés s’éduquer à ces questions et qui même parfois te tapent sur l’épaule en te disant qu’ils ne voient pas de quoi tu parles. Circulez, il n’y a rien à voir.

J’espère que chacune va s’éduquer un peu plus comme on demande à chacune de s’éduquer aussi sur toutes les autres formes de racismes. On a toutes à y gagner.

J’insiste là-dessus. On a toutes à y gagner ! Comme le dit Illana Weizman, à être unies, on ne peut que se tirer vers le haut.

J’ai aussi envie de dire aux féministes : vous êtes en train d’abandonner la communauté juive, qui se trouve orpheline, rejetée, ou qui dans le pire des cas part dans les bras de la droite. À vous de choisir si vous voulez partir divisées ou si vous voulez créer un bloc unitaire contre les racistes et contre la violence masculiniste, qui s’étale à longueur d’appels à la guerre et de crimes de guerre envers les femmes.

Rosa* a écrit ce texte en réponse à son expérience de la manifestation contre les violences faites aux femmes, qui s’est déroulée à Nantes le 25 novembre. Depuis, les organisations féministes coorganisatrices NousToutes et Grève féministe ont condamné sans réserve les féminicides et les violences sexuelles commises par le Hamas le 7 octobre 2023.

* Le prénom a été modifié.

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Les Commentaires

1
Avatar de Neverland90
30 novembre 2023 à 20h11
Neverland90
Je pense qu'il faut parfois prendre le recul avec les mouvements militants. Il y a plusieurs choses à dire :
- ce qui se passe en Palestine est absolument horrible mais j'ai vraiment vu des féministes sur les réseaux sociaux dire qu'elles se fichaient des hommes palestiniens tant que les femmes palestiniennes sont sauvées... ce qui est bizarre comme point de vue et déshumanisant pour les hommes palestiniens.
- il y a une espèce d'omerta en France et dans les pays occidentaux des crimes d'Israël surtout de la part des médias et mine de rien ça nourrit l'antisémitisme. Je pense même que c'est l'effet recherché.
- Les gens fonctionnent sur l'émotion et l'empathie et en ce moment même, beaucoup de monde a de la sympathie pour les femmes palestiniennes en raison des évènements récents.
Par contre exclure les femmes juives, c'est complètement ridicule et euh pourquoi en fait? Toutes les femmes sont victimes de sexisme et cumule cette discrimination avec d'autres comme l'antisémitisme et le racisme justement.
Et on voit aussi que l'antisémitisme ressurgit très vite dès que le gouvernement d'Israel fait quelque chose, l'impact sur les communautés juives dans le monde est démesuré. Il y a des personnes juives qui ne sont jamais allées en Israël et qui n'en n'ont pas la nationalité.
C'est quand même grave mais ce féminisme de façade des militantes est vraiment agaçant entre ça et les propos sur les hommes palestiniens, c'est quand même à vomir.
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