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Société

« L’avortement médicamenteux est le dernier recours dans certains états » : aux US, la pilule abortive est en danger

Ce 26 mars, la Cour Suprême américaine ouvre le dossier du mifépristone, le médicament permettant les IVG médicamenteuses, que les ultraconservateurs américains veulent interdire. Mais devant une Cour Suprême marquée à droite qui n’a eu de cesse de détricoter les acquis sociaux, le droit à l’avortement déjà abimé peut-il survivre ?

Sur les coups de 8h30, heure de Washington D.C, une armée de petits robots blancs aux faux airs de Wall-E, s’élancera sur le parvis de la Cour Supreme américaine. Téléguidés à distance, ces petites créatures équipées d’une caméra et d’un autocollant affichant fièrement « Abortion Pills by Mail in All 50 States », distribueront aux passantes des pilules de mifépristone, ce médicament permettant les IVG médicamenteuses. Un happening signé Aid Access, l’organisation de la médecin néerlandaise Rebecca Gomperts qui lutte contre l’interdiction de l’avortement depuis des décennies à travers ses différentes plateformes envoyant des pilules partout dans le monde, qui ne manquera pas d’attirer l’attention sur ce qui se joue aujourd’hui.

Car ce 26 mars, la Cour Suprême doit se pencher sur la législation entourant le mifépristone et fera planer quelques mois la menace d’une interdiction, avant de rendre sa décision autour du mois de juin. Autrement dit, les neuf juges de la Cour Suprême rejouent le coup d’éclat de juin 2022, date à laquelle ils avaient voté la révocation de l’arrêt historique Roe v. Wade, qui protégeait constitutionnellement le droit à l’avortement depuis 1973 et paraissait intouchable. Ce temps est révolu : en 2024, il ne fait plus de doute que la Cour Suprême américaine est capable de tout. 

Des pilules abortives envoyées par la poste

Mais d’où vient l’embrouille ? Le mifépristone est en effet validé par la sacrosainte Food and Drug Administration (FDA) depuis l’année 2000. Il était nécessaire, à l’époque, de se le faire prescrire par un médecin que la patiente devait voir en personne au cours de trois rendez-vous. Depuis 2016 cependant, la FDA a assoupli ces règles, permettant aux américaines d’obtenir le médicament à travers un rendez-vous de télémédecine et de se le faire envoyer par la poste.

Mais cet assouplissement a fait un mécontent : Matthew Kacsmaryk, juge texan nommé par Donald Trump en 2017. Cet ultraconservateur, ancien juriste auprès d’une organisation chrétienne qui lutte contre l’avortement, a imposé en avril 2023 une interdiction de mifépristone, avançant que la FDA n’avait pas le pouvoir d’assouplir la réglementation. Résultat : le dossier se retrouve sur le bureau de la Cour Suprême. Et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. « La Cour Suprême est en majorité conservatrice, et les décisions rendues en 2022 et 2023 sont revenues sur beaucoup d’acquis sociaux », explique Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire de l’Amérique du Nord à la Fondation Jean Jaurès. « Si le revirement sur l’arrêt Roe v. Wade est le plus symbolique, la Cour a aussi restreint les avancées obtenues dans le domaine des armes à feu, de la discrimination, de la santé, de l’environnement, du droit de vote ou de la place de la religion à l’école. » On lui doit entre autre la fin de la discrimination positive dans les universités ou la réduction des capacités d’action de l’agence de protection de l’environnement qui lutte contre le changement climatique.

Parmi les neuf juges que composent la Cour, on retrouve également deux hommes accusés de violences sexuelles, Brett Kavanaugh, nommé en 2018 malgré les accusations de Christine Blasey Ford qui affirme qu’il a tenté de la violer à une soirée en 1982, et Clarence Thomas, nommé en 1991 malgré le témoignage d’Anita Hill relatant des faits de harcèlement. Sans surprise, cette majorité conservatrice est le fait de Donald Trump, qui a nommé trois juges en quatre ans, quand Barack Obama n’en avait nommé que deux en huit ans. 

50 ans de lobby anti-IVG

La décision de la Cour Suprême concernant le mifépristone n’est, en réalité, que la suite d’une longue campagne anti-avortement qui murit depuis des décennies. « La révocation de Roe v. Wade était déjà le résultat d’une stratégie méthodique élaborée depuis 50 ans par la branche la plus conservatrice du parti républicain », reprend Ludivine Gilli. Avec aux manettes la communauté des évangéliques protestants blancs, « une minorité radicale mais très active. »  « Cette stratégie comportait trois volets : des tentatives répétées devant les tribunaux pour limiter autant que possible l’accès et le droit à l’avortement, une pression sur les élus pour qu’ils nomment des juges conservateurs et un effort de repérage et de sélection de juges très conservateurs à proposer comme candidats. »

Alors, comment lutte-t-on contre 50 ans de lobby anti-IVG ? En contournant les lois. C’est ce que font, depuis 2022, des centaines d’américaines. Aujourd’hui, l’avortement est interdit ou inaccessible faute de cliniques dans quinze États, extrêmement limité dans six et restreint dans onze de plus. Ne reste alors que dix-huit États où ce droit est encore protégé. Dans ceux-là (comme le Massachusetts, le Colorado, la Californie, New York) de nouvelles lois, dites « bouclier », ont été créés pour autoriser les médecins à prescrire, à distance, des IVG médicamenteuses à des femmes dans les États où l’accès est compliqué ou interdit.

L’organisation Aid Access se sert notamment de ces lois boucliers : « les médecins qui travaillent avec nous peuvent continuer à envoyer ces pilules dans les 50 États car ils ont des licences des États qui ont adopté ces lois boucliers, cela les protège contre toute action légale de la part des ‘États rouges’ », explique la Dr. Rebecca Gomperts. Si bien que, d’après une étude de l’Institut Guttmacher publié le 19 mars, plus d’un million d’IVG ont pu être pratiquées aux Etats-Unis en 2023. Parmi ces interruptions de grossesse, 63% ont été médicamenteuses, contre 53% en 2020, et 6% en 2001. 

L’avortement, un sujet déterminant pour les élections de novembre

C’est cette possibilité devenue plus que majoritaire qui pourrait disparaitre d’ici le mois de juin en cas d’interdiction du mifépristone. Si la Dr. Rebecca Gomperts assure que son organisation « continuera d’envoyer des pilules dans les 50 États quoi qu’il arrive », les conséquences pour les américaines paraissent dramatiques. « L’interdiction de ce médicament compliquerait encore la situation dans les États où l’accès est limité et où l’avortement médicamenteux est le dernier recours qu’il reste », prévient Ludivine Gilli. Mais aussi dans les endroits où l’avortement est protégé, car si ces États n’ont plus accès au mifépristone, ils seront alors contraints de pratiquer tous les avortements de façon chirurgicale et ne disposeront pas d’assez de cliniques pour répondre à la demande. « Dans le Maine par exemple, seules trois cliniques proposent des avortements chirurgicaux, alors qu’il existe dix-huit centres du Planning Familial habilités à délivrer des IVG médicamenteuses grâce au mifépristone », ajoute Ludivine Gilli.

À sept mois des élections présidentielles, la question de l’avortement est-elle sur le point de faire son retour dans la campagne ? « Électoralement parlant, l’avortement un sujet mobilisateur et favorable aux démocrates, et une décision radicale de la Cour suprême sur le mifépristone renforcerait indubitablement les craintes et la mobilisation de l’électorat, en particulier auprès des femmes, des plus jeunes et des électeurs indépendants », note Ludivine Gilli. Cela, Joe Biden l’a bien compris. Le 18 mars, il déclarait : « ceux qui se vantent d’avoir renversé Roe v. Wade et de soutenir une interdiction de l’avortement n’ont aucune idée de l’ampleur du pouvoir des femmes. »


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