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Jean-Luc Godard contre une grosse caméra
Cinéma

Jean-Luc Godard s’est éteint à 91 ans et son cinéma questionne encore les féministes

Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard, fer de lance de la Nouvelle Vague, vient de s’éteindre le 13 septembre 2022 à l’âge de 91 ans, par suicide assisté, pratique d’euthanasie autorisée et encadrée en Suisse. Retour sur son cinéma et sa vision des femmes.

« La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde », aimait à résumer Jean-Luc Godard. Le cinéaste franco-suisse, fer de lance de la Nouvelle Vague, vient de s’éteindre le 13 septembre 2022 à l’âge de 91 ans. Il a eu recours à un suicide assisté, une pratique d’euthanasie autorisée et encadrée en Suisse, où il réside depuis les années 1970, révèle Libération, citant une personne proche de l’artiste :

« Il n’était pas malade, il était simplement épuisé. Il avait donc pris la décision d’en finir. C’était sa décision et c’était important pour lui que ça se sache. »

Qui était vraiment Jean-Luc Godard, mort le 13 septembre à 91 ans ?

Né à Paris le 3 décembre 1930, Jean-Luc Godard grandit entre des parents protestants, pacifistes et anglophiles, et des grands-parents qui soutiennent Pétain et lisent la presse collaborationniste. Après avoir raté le bac en 1947 (il finit par l’obtenir au troisième essai en 1949), il se passionne pour le cinéma et sa critique, en particulier les textes de Maurice Schérer alias Éric Rohmer.

De là, il écrit ses premières critiques et premiers scénarios au lieu de suivre ses cours d’anthropologie à la Sorbonne. Il fréquente assidument la cinémathèque et le ciné-club du quartier latin, où il copine avec François Truffaut, Jean Gruault, Jacques Rivette, et Maurice Schérer, et ils éditent ensemble La Gazette du cinéma, avant qu’il ne rejoigne Les Cahiers du cinéma de 1950 à 1959.

À bout de souffle, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg
À bout de souffle, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, de Jean-Luc Godard en 1960.

Inspiré par son camarade François Truffaut et ses Quatre cents coups, présenté avec succès au festival de Cannes 1959, Jean-Luc Godard tourne son premier long métrage, À bout de souffle, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Le film sort en 1960 et remporte un grand succès public et critique. Sa carrière de réalisateur lancée, il enchaîne avec Le Petit Soldat, Une femme est une femme, Vivre sa vie, Les Carabiniers, Le Mépris, Pierrot le Fou, ou encore Masculin féminin.

En fait, il signe en moyenne près d’un film par an de 1960 jusqu’en 2018, et s’en affirme généralement comme l’auteur démiurge (à la fois réalisateur, scénariste et dialoguiste). Il a reçu des dizaines de récompenses cinématographiques, multi-primé par la Berlinale, le festival de Cannes, aux César, à la Mostra de Venise, et même un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2010. C’est dire si sa carrière s’avérait prolifique, jusqu’à sa disparition officialisée le 13 septembre 2022. En 1981, il refuse l’ordre national du mérite, déclarant : « Je n’aime pas recevoir d’ordre, et je n’ai aucun mérite » (propos rapporté par le producteur Marin Karmitz, dans ses mémoires Comédies, publiées en 2016).

Jean-Luc Godard et les femmes qui fon(den)t son cinéma

Anna Karina dans Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, 1963
L’actrice Anna Karina dans le film Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard en 1963.

Mais Jean-Luc Godard ne serait rien sans certaines femmes qui ont marqué sa vie et son cinéma. À commencer par l’actrice Anna Karina, qu’il épouse en 1961 et qui devient sa muse pour sept films dans les années 1960.

En fait, les femmes occupent une place particulière dans son œuvre cinématographique, comme le soulignait l’intellectuelle Laura Mulvey, celle qui a conceptualisé la notion de « male gaze » au cinéma (dans Plaisir visuel et cinéma narratif en 1975). Ce regard masculin objective les rôles féminins sous la forme d’icônes fétichisées, objets de désir et de plaisir, rarement sujet. Ce male gaze impose du même coup au public de cinéma d’adopter une perspective d’homme cisgenre, hétéro. Mais Jean-Luc Godard échappe étrangement à la règle, ou plutôt la tord en fonction de ses préoccupations politiques, explique Laura Mulvey dans Fétichisme et curiosité (publié en français en 2019).

Le cinéma de Jean-Luc Godard, « mine d’or pour les théories féministes » ?

Après avoir interrogé le mystère féminin dans ses premiers films, Jean-Luc Godard met ses rôles féminins au service d’une critique marxiste de la société de consommation, éminemment patriarcale, décrypte la critique féministe auprès de France Culture :

« Je suis fascinée par les films de Jean-Luc Godard. Lorsque j’ai travaillé sur Marx (Le Capital) et Freud (Trois essais sur la théorie de la sexualité), je suis revenue aux films de Godard avec un point de vue différent.

Il m’apparaissait alors comme un cinéaste penseur, qui avait parfaitement conscience de la relation entre la fonction de la femme dans la société de consommation et la construction des femmes en tant que marchandises.

Godard a établi une série de maillons formant une chaîne, entre la figure de la femme en tant que consommatrice, la femme qui se construit elle-même en marchandise, et la femme consommée en tant que prostituée.

Dans Une femme mariée, il juxtapose sans cesse des images de pubs et l’aspiration d’une femme à atteindre une perfection de la féminité, qui n’est pas vraiment elle, qui n’est que le désir de la société de consommation.

À mes yeux Godard est brillant, mais il semble qu’il ne se soit jamais complètement libéré de lui-même. À la fin du chapitre que je lui consacre dans mon livre, je conclue que ses films sont une mine d’or pour les théories féministes. »

De là à dire que Jean-Luc Godard était féministe, il y a un grand écart qu’il ne franchira jamais. Mais ses films lui survivent et peuvent donc contribuer à illustrer bien des enjeux du féminisme. À chacune de ses nouvelles vagues.

À lire aussi : Louis Garrel est le Redoutable Jean-Luc Godard pour Michel Hazanavicius

Crédit photo de Une : Capture d’écran YouTube.


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Les Commentaires

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Avatar de Bobbie in the Sky
13 septembre 2022 à 12h09
Bobbie in the Sky
Je trouve les propos de Laura Mulvey intéressants mais je conseillerais plutôt de revenir à l'ouvrage fondateur de Geneviève Sellier, La Nouvelle vague, un cinéma au masculin singulier, qui permet un peu de sortir des problématiques du male gaze, même si c'est bien sûr important, mais je trouve qu'on le sort un peu à toutes les sauces alors que le cinéma c'est aussi plus que ça.
Après je trouve le cinéma de Godard fascinant, je pense que c'était une personne infecte, mais il a su à un moment trouver de nouvelles formes et son héritage massif continue de peser aujourd'hui. Il est vrai aussi qu'il a su ménager une place à part pour ses personnages féminins, entre la fetichisation et ce moment où il laisse les femmes être elles-mêmes. Vivre sa vie reste pour moi un film d'une beauté absolue pour cette raison.
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