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Source : Alex Green
Société

« Je me suis retrouvée dans des situations dangereuses » : Lucie, ex-travailleuse sociale auprès des auteurs de violences conjugales

Au quotidien, les travailleuses sociales qui évoluent avec les auteurs de violences conjugales ont sous les yeux un condensé de violences sexistes et sexuelles. En deux ans, Lucie*, 27 ans, s’est retrouvée émotionnellement et intimement liée à ce travail du care.

À l’issue du Grenelle sur les violences conjugales de 2019, le gouvernement annonçait la création de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) pour prévenir des violences au sein du couple. Dans ces structures, des travailleuses sociales évaluent, suivent et tentent de responsabiliser les hommes qui violentent leur conjointe. Ce travail de responsabilisation, qui met en exergue les violences sexistes et sexuelles, peut modifier la grille de lecture de celles qui l’exercent… et interagir avec leur expérience de femme évoluant dans une société patriarcale.

Lucie est l’une d’entre elles. Pour Madmoizelle, elle raconte comment, au fil des mois, elle a vu son travail auprès des auteurs de violences et sa vision des hommes s’entremêler.

« J’ai voulu traiter le coeur du problème : le passage à l’acte »

« Après avoir travaillé quelque temps avec les victimes de violences conjugales, j’ai eu envie de me tourner vers les auteurs de ces violences. Les victimes étaient trop souvent coincées dans un schéma reproductif et retournaient régulièrement auprès des hommes qui les violentaient, alors j’ai voulu traiter le cœur du problème : le passage à l’acte. C’était excitant, on s’apprêtait à mettre à l’essai un projet innovant, initié par le gouvernement, à travers la création de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Au centre, mon quotidien consistait à mener des évaluations d’entrée dans le dispositif, à animer des stages de responsabilisation et de sensibilisation et à faire des entretiens en centre de détention. On voyait parfois des profils féminins arriver mais les hommes étaient en écrasante majorité.

C’était un boulot hyper enrichissant où je me sentais profondément utile, mais où la violence était évidemment omniprésente. Huit heures par jour, je gérais des mecs qui tenaient des propos horribles sur les femmes, on me manquait régulièrement de respect et je me retrouvais parfois dans des situations dangereuses. Lorsque j’allais auditionner des mecs en détention, je me blindais d’assurance parce qu’une fois sur trois ils refusaient de parler à une femme. Un jour au parloir, un détenu s’est énervé : il s’est levé, m’a hurlé dessus et m’a bloquée, jusqu’à ce qu’un gardien intervienne. J’ai eu vraiment peur, mais en rentrant à l’asso, on m’a annoncé que je n’avais pas d’autre choix que d’y retourner la semaine suivante pour terminer l’entretien. 

« J’étais tiraillée entre une hypervigilance constante et le syndrome de l’infirmière »

Les récits que j’entendais, les comportements violents que je voyais et la violence verbale dont j’étais témoin quotidiennement se sont peu à peu installés en moi au point de me dégoûter des hommes. Je ne parvenais plus à considérer une relation hétérosexuelle comme saine, et j’ai commencé à tout voir sous le prisme de la violence. J’étais survoltée, je surinterprétais tout ce qu’il se passait dans mon couple, jusqu’à me considérer moi-même comme une victime alors que rétrospectivement, ce n’était pas le cas.

Quand je me suis séparée de mon ex et que j’ai recommencé à dater, j’étais tiraillée entre cette hypervigilance constante et le syndrome de l’infirmière. Cette démarche de chercher le meilleur chez les hommes m’est montée à la tête et j’ai commencé à traiter les mecs que je fréquentais comme ceux que je suivais au centre. Je pensais qu’avec mes connaissances tout était possible, je voulais les sauver et éradiquer leurs problématiques, alors je fréquentais des mecs à problèmes. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans des situations anxiogènes, comme cette soirée où un mec que je voyais était avec toute sa bande de potes et où, complètement drogués, ils ont commencé à me toucher sans mon consentement et sans que je puisse me défendre. Ce que j’avais oublié, c’est qu’en dehors de mon taff je n’étais plus protégée.

Après deux ans, j’ai quitté le centre : c’est un travail du care passionnant mais aussi usant, car lourd et énergivore. Le soir, je continuais à penser et parler boulot, et je gardais mon téléphone allumé au cas où il fallait reloger un auteur en urgence. Pendant cette période, je suis passée par plusieurs phases, mais c’est dans mon nouveau travail que j’ai retrouvé un équilibre et de la légèreté. J’envisage de retourner travailler sur des dispositifs d’égalité femme-homme mais de manière plus distanciée, derrière un bureau, là où mon expérience avec les auteurs me sera utile. »

*Le prénom a été modifié.

Violences conjugales : les ressources

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

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Avatar de Neverland90
20 mai 2024 à 14h05
Neverland90
Les travailleuses et travailleurs sociaux sont indispensables, mais je pense que leurs charges de travail devraient être allégées compte tenu des contraintes de ce genre d'emploi.
Je comprends tout à fait ce qu'à traversé la Madz, je travaillais avec une association pour les victimes, c'est très très éprouvants et fatiguants psychologiquement. Faut vraiment apprendre à maîtriser ces émotions, à rester neutre et à ne jamais se projeter. Plus facile à dire qu'à faire. Et encore, je n'ai jamais travaillé avec les auteurs de violence, c'est horrible à dire mais au vu des cas de récidives, ça ne m'est jamais venu à l'idée.
Je suis contente pour la madz si elle trouve une autre place dans le même domaine. J'ai l'impression que le burn out était vraiment proche. Voir déjà là.
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