Le 18 décembre 2019, un youtubeur français a mis en ligne une vidéo qui fait polémique.
Il s’agit de J’ai été un violeur ? (Discussion avec des féministes), publiée sur la chaîne de Demos Kratos.
Je l’ai regardée, et je viens donc te la résumer mais aussi t’offrir quelques réflexions à son sujet.
Qui est Demos Kratos ?
Demos Kratos est un ancien étudiant de Sciences Po qui parle de sujets de société sur sa chaîne YouTube, laquelle compte quelques 88 000 abonnés et abonnées.
Le succès de ses contenus est variable, mais je note quelques pics à plusieurs centaines de milliers de vues : sa vidéo sur les écovillages, une autre autour des gilets jaunes, l’interview d’un CRS lanceur d’alerte…
Il définit sa ligne édito ainsi :
« Sur la chaîne, on veut proposer une réflexion sur les stratégies de lutte contre toutes les formes de dominations et mettre en avant des projets de sociétés alternatifs. »
Tu as peut-être vu Demos Kratos dans la websérie Youtubeurs, les risques du métier créée par France TV Slash et relayée sur madmoiZelle.
J’ai été un violeur ? : résumé de la vidéo de Demos Kratos
Cette fameuse vidéo, la voici. Elle dure 25 min, je te résume son déroulé ci-dessous.
https://www.youtube.com/watch?v=u1t–qEn1F4
Demos Kratos : « J’ai été un violeur »
Demos Kratos commence seul, face caméra, et explique qu’il a été un violeur.
« Il y a quelques années, avec ma copine de l’époque… Je me souviens de moments où elle en avait pas forcément envie, j’ai insisté, ça s’est fait.
Ou elle avait dit non, je prenais ça pour de la rigolade, du jeu, ça se faisait quand même. Je pense qu’elle prenait sur elle pour me faire plaisir. »
Il a conscience que pour beaucoup de monde, ce qu’il raconte ici (insister pour une relation sexuelle avec sa petite amie), ce n’est pas un viol.
Pour lui, pendant longtemps, ça ne l’était pas. Il cite d’ailleurs l’article 222-23 du code pénal, qui définit le viol mais ne mentionne pas la notion de consentement :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
En parlant avec des femmes autour de lui, Demos Kratos a pris conscience que, en gros, soit elles avaient été violées, soit elles avaient peur de l’être un jour.
Il a donc décidé de se renseigner en lisant des ouvrages féministes (King Kong Théorie, Une culture du viol à la française…) et d’inviter des militantes à débattre sur sa chaîne.
Et les femmes qui violent, alors ?
Avant de conclure son intro, Demos Kratos s’adresse à un abonné fictif qui lui opposerait l’argument « les femmes aussi peuvent violer ».
Ce à quoi il répond, avec justesse : oui, c’est vrai, mais l’écrasante majorité des viols commis (sur des femmes comme des hommes) le sont par des hommes.
« Tous les hommes ne sont pas des violeurs mais presque tous les violeurs sont des hommes. »
Voici pourquoi il ne s’appesantit pas sur la problématique des femmes coupables de violences sexuelles.
Demos Kratos reçoit deux militantes féministes
Après cette introduction, Demos Kratos reçoit Leia et Eowyn, deux féministes radicales qui militent à Lyon.
Elles commencent par définir « leur » féminisme, ainsi que quelques concepts-clefs : le patriarcat, la différence entre genre et sexe, l’intersectionnalité des oppressions…
« Tous les hommes sont des violeurs » ?
Demos Kratos leur cite une phrase de Valérie Rey-Robert, autrice d’Une culture du viol à la française : « Tous les hommes sont des violeurs », et leur demande leurs avis sur le sujet.
Leia et Eowyn expliquent qu’elles ne sont pas essentialistes : ce n’est pas parce qu’on est biologiquement un homme qu’on est un violeur.
Cependant, la culture du viol fait que les hommes grandissent dans une société minée par des rapports de domination, qui peut les amener à violer.
Comment lutter contre la culture du viol ?
Demos Kratos se demande comment faire pour arrêter d’alimenter cette culture du viol, et à terme, y mettre fin.
Leia et Eowyn rappellent l’importance du consentement, qui peut être verbal mais aussi physique, et qui s’inscrit parfois dans un contexte de domination (économique, par exemple).
Le trio évoque également le sexisme ordinaire dans le langage courant : pourquoi « se faire baiser » désigne-t-il un acte négatif, et pas simplement une relation sexuelle ?
Les sujets du travail du sexe, de la pornographie et de l’État comme outil du patriarcat sont aussi abordés.
Pour finir, les militantes affirment qu’il est essentiel de nommer les choses pour les comprendre et les déconstruire.
Elles conseillent à Demos Kratos de s’interroger et d’agir, par exemple avec ses amis mecs, s’ils ont des comportements ou propos sexistes.
Elles notent, enfin, l’importance de repenser la sexualité, de sortir de la sacro-sainte pénétration.
Voilà pour le résumé.
Demos Kratos admet-il avoir violé ?
Tu peux te demander si Demos Kratos est vraiment en train d’admettre avoir commis un crime face cam sur YouTube.
C’est un peu plus compliqué que ça.
Il a ajouté après publication le point d’interrogation qui transforme son titre en question, plutôt qu’en affirmation (J’ai été un violeur ?), et a dit dans un commentaire :
« L’intro est une mise en scène qui permet ensuite de parler de la culture du viol. Je n’ai jamais violé personne au sens de la loi. […]
Je mettais en scène une situation que beaucoup de couples ont connu pour parler de la culture du viol. »
Est-ce qu’il parle de quelque chose qui lui est vraiment arrivé, ou est-ce qu’il « invente » ?
Difficile à dire.
En tout cas, je pense qu’il est bon de noter qu’à aucun moment Demos Kratos n’exprime des excuses ou du regret concernant l’acte qu’il a peut-être commis.
Il ne dit pas non plus s’il a échangé avec sa potentielle victime avant d’écrire, de tourner puis de publier cette vidéo.
J’ai été un violeur ? de Demos Kratos fait polémique
Tu t’en doutes, la vidéo fait polémique depuis sa mise en ligne, et a généré beaucoup de réactions.
« Contre » la vidéo de Demos Kratos J’ai été un violeur ?
Certaines personnes, militantes féministes, trouvent la démarche de Demos Kratos honteuse. Selon elles, venir parler publiquement des viols qu’on a commis, « pour faire des vues », c’est irrespectueux.
À l’heure où beaucoup de victimes de viol sont traînées dans la boue lorsqu’elles prennent la parole, ce positionnement leur semble indécent.
« Pour » la vidéo de Demos Kratos J’ai été un violeur ?
Cependant, de nombreuses personnes saluent l’initiative de Demos Kratos, qu’elles estiment pertinente et courageuse.
Parler de ce sujet encore trop souvent tabou, ça permet de lancer une discussion et de faire réfléchir.
Le fait que le youtubeur ait invité deux militantes féministes est aussi noté comme positif.
Critique de la vidéo de Demos Kratos J’ai été un violeur ?
Enfin, j’ai vu quelques commentaires regrettant qu’il n’y ait pas de « contre-argument » dans la vidéo, que tout le monde soit « d’accord ».
Cela dit, le but n’est pas vraiment de débattre, plutôt de faire de la pédagogie.
Inviter des féministes non-radicales, ou des personnes non-féministes, ça aurait fait une autre vidéo — intéressante aussi, mais bien différente !
Les féministes radicales invitées par Demos Kratos s’expriment
Le commentaire épinglé sous la vidéo est une réaction de Leia et Eowyn qui reviennent sur plusieurs points, notamment les critiques que je t’ai expliquées ci-dessus.
Elles disent :
« Nous avons fait part à Démos Kratos – dès le début – de notre appréhension par rapport au titre de la vidéo, à l’intro introspective et aux conséquences que cela pourrait avoir.
Nous avions conscience de la tournure dramatique que pourrait prendre les choses.
Nous regardons aujourd’hui avec tristesse l’engouement engendré par ce procédé, la mise en avant des violeurs en tant que héros et non des victimes.
Donnons la parole aux bourreaux et non aux oppressé.es, c’est hallucinant.
Nous ne soutenons donc absolument pas la tournure des choses. Nous voulions faire une vidéo sur les femmes par les femmes, dans l’espoir de donner de la visibilité et une voix au féminisme radical.
Malheureusement, ce n’est pas ce qui ressort de la vidéo. »
Mon avis sur J’ai été un violeur ? de Demos Kratos
Je cogite au sujet de cette vidéo depuis des heures. Voici mes réflexions.
Les violeurs sont des hommes « normaux »
Tout d’abord, je trouve ça important de parler des hommes qui violent. Car si tout le monde connaît une femme violée, alors tout le monde connaît un violeur.
On sait, par les chiffres du viol, que les abus sexuels ne sont généralement pas commis par des inconnus déséquilibrés dans des parkings souterrains ou des ruelles.
Les violeurs, ce sont en majorité les conjoints, les ex, les amis, les membres de la famille. Et c’est important de le rappeler.
Donc voir un youtubeur prendre du recul sur ses (hypothétiques) actions passées, je trouve ça positif, car ça remet la réalité du viol en lumière.
Réfléchir sur ses agissements, pour lutter contre la culture du viol
Une fois qu’on a compris que le viol n’est généralement pas un crime prémédité commis par « pulsion sexuelle », il est essentiel de réfléchir à nos propres comportements.
D’ailleurs, même si la majorité des auteurs de viol sont des hommes (comme Demos Kratos le rappelle), tout le monde peut se remémorer ses actions passées et en tirer des leçons.
J’en veux pour preuve ce témoignage essentiel paru sur Rockie, le magazine des madmoiZelles qui ont grandi : Ma prise de conscience après MeToo : moi aussi, j’ai agressé des femmes.
Sur madmoiZelle, tu peux aussi lire Cette nuit où j’ai eu peur d’avoir violé mon amant.
La démarche de Demos Kratos semble s’inscrire dans la même lignée, celle d’une prise de recul et d’une remise en question de ce qu’on considère comme « normal » ou inoffensif (par exemple, insister auprès de sa copine pour du sexe).
Inviter des féministes radicales pour parler du viol
Il faut le noter : Demos Kratos a invité deux militantes appartenant au même courant, celui du féminisme radical.
C’est donc une « pensée unique » qui s’illustre dans cette vidéo, ce qu’on peut regretter…
Néanmoins, la promesse n’est pas de faire un tour d’horizon des mouvements anti-sexistes, donc ça ne me dérange pas spécialement qu’il ait choisi deux invitées du « même bord ».
Je suis bien placée pour savoir que toutes les féministes ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes et que ça aurait pu donner des débats sans fin de « mélanger » les courants !
Le féminisme radical n’est pas le plus accessible pour le grand public. Il appelle à une restructuration totale de la société, avec une abolition des rôles genrés et même de l’État, comme l’expliquent Leia et Eowyn.
Il existe cependant et c’est tout à fait le droit de Demos Kratos de le mettre en avant, car encore une fois cette vidéo n’est pas présentée comme une « introduction au féminisme ».
L’intro de Demos Kratos VS le reste de la vidéo
Au final, cette initiative me laisse un goût d’inachevé, de trop-peu.
L’introduction, en mode « réflexion sur moi-même », est percutante et donne son titre à la vidéo. Mais elle n’est plus abordée une fois que l’échange commence.
Les discussions avec Leia et Eowyn portent peu sur des comportements individuels, ce sont plutôt des réflexions politiques à grande échelle.
Ce qui est toujours utile, hein, mais selon moi ça ne correspond pas à la promesse formulée par le titre et l’introduction.
Je ne suis pas sûre qu’un homme s’interrogeant sur ses potentiels comportements problématiques y voit beaucoup plus clair après avoir regardé cette vidéo.
Pour mieux comprendre la culture du viol
D’autres contenus tournant autour du même sujet me semblent mieux réalisés et mieux équilibrés, voici donc quelques recommandations.
Un violeur et sa victime discutent
Probablement l’une des vidéos les plus puissantes qu’il m’ait été donné de voir : une victime de viol et son violeur discutent dans un TED Talk.
Le consentement et la tasse de thé
C’est l’une des vidéos les plus célèbres pour comprendre facilement le consentement ! À diffuser partout.
Des hommes parlent de #MeToo
Justin Baldoni est un acteur (Jane the Virgin) qui réfléchit beaucoup aux questions de masculinité. Il a créé la websérie We Are Men Enough dans laquelle il échange avec des hommes.
Tout un épisode est dédié à #MeToo :
Les hommes coupables de violences conjugales s’expriment
France Culture consacre un podcast à 12 hommes condamnés pour violence conjugale : Des hommes violents.
C’est douloureux, oui, mais c’est aussi essentiel.
La culture du viol sur madmoiZelle
Tu peux bien sûr retrouver de nombreuses ressources sur madmoiZelle :
- Nos articles sur la culture du viol
- Notre rubrique masculinité
- Mon podcast sur les masculinités, The Boys Club
Et tu peux enrichir cette liste dans les commentaires, en plus de me donner ton avis sur la vidéo de Demos Kratos et la polémique qui a suivi !
À lire aussi : Agressée sexuellement par mon ami d’enfance, j’ai décidé de lui en parler
Les Commentaires
Avec un pote, on a tourné une vidéo de réponse en deux temps, d'abord une performance, puis une discussion entre féministes. Je me permets de partager ça ici pour celleux que ça pourrait intéresser.