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Grossesse

Elles racontent l’enfer du premier trimestre de grossesse au boulot

Les conventions disent qu’il faut attendre la fin du premier trimestre pour annoncer sa grossesse au boulot. Pas de bol, c’est souvent la période où l’on est crevée et nauséeuse H24. Alors, comment on gère ça tout en essayant de travailler ?

En lançant mon appel à témoignages sur les réseaux sociaux, je ne m’attendais pas à recevoir autant de messages. Des dizaines et des dizaines de femmes m’ont écrit pour me raconter combien leur premier trimestre de grossesse avait été compliqué à vivre au boulot. D’abord parce que la fatigue, les nausées et autres maux de grossesse ont été compliqués à supporter tout en continuant à travailler, mais également parce que le silence qui entoure ce premier trimestre est difficile à vivre.

Comme le risque de fausses couches est plus élevé pendant les douze premières semaines de grossesse, on conseille souvent d’attendre la première échographie officielle à la fin du premier trimestre pour annoncer l’heureux événement au monde entier, et donc à ses collègues. Mais rien n’oblige les femmes à attendre ce moment précis pour le faire, si ce n’est des conventions sociales et la crainte d’être discriminée.

Cacher sa grossesse pendant trois mois : injonction au silence VS choix personnel

C’est ce qu’explique Judith Aquien, autrice du livre Trois mois sous silence, qui se penche justement sur ce premier trimestre de grossesse.

« On n’explique pas les raisons de cette injonction au silence et les femmes l’appliquent souvent sans trop réfléchir aux conséquences que cela peut avoir, et notamment la solitude qu’elles vont traverser.

Cela devrait être un pur choix personnel éclairé, et cela devient une convenance à tous les niveaux. Aucune aide n’étant prévue pour les femmes enceintes au premier trimestre, elles se retrouvent à devoir cacher des symptômes extrêmement difficiles à vivre et handicapants. »

Cette femme qui préfère rester anonyme m’a par exemple raconté qu’elle faisait un métier éprouvant physiquement et que son premier trimestre de grossesse avait été compliqué à gérer.

« J’ai eu beaucoup de nausées et une fatigue intense. Je passais clairement tout mon temps libre à dormir. J’emmenais des paquets de gâteaux au boulot pour manger toutes les heures, ça diminuait mes nausées. J’étais vraiment exténuée donc j’arrivais au boulot à 8h pile. Mon supérieur m’a fait la remarque « on n’arrive pas à 8h pile le matin » bien sûr, je ne pouvais rien dire.

Bref, je passais clairement pour une flemmarde qui ne pensait qu’à manger. Ça aurait été tellement plus simple si je l’avais dit dès le début vis-à-vis du regard des supérieurs et collègues, mais bon, pour moi je n’avais pas d’autres choix que de le cacher. »

« Je me cache régulièrement dans une salle de réunion vide pour me reposer »

Louise*, 32 ans, attend son deuxième enfant, et cette responsable marketing se planque aussi en attendant la fin du premier trimestre :

« Je me cache régulièrement dans une salle de réunion vide pour me reposer et attendre que les nausées passent… J’esquive les invitations sushis… On me dit régulièrement que j’ai l’air très fatiguée et je prétends que non tout va bien… Je n’ose pas me confier à un collègue de peur que cela se sache trop tôt et que cela impacte un bonus que j’attends… Bref, c’est dur de mentir toute la journée à des gens finalement très proches.

Pendant ma première grossesse, c’était la même chose et cerise sur le gâteau, j’avais eu droit au séminaire avec randonnée… C’est vraiment un grand moment de solitude ce premier trimestre ! »

Comme elle, de nombreuses femmes m’ont raconté leurs stratégies pour atténuer les nausées, leurs siestes improvisées dans des coins tranquilles du bureau, leurs vomissements dans des poubelles ou des sacs à vomi sur le trajet pour venir travailler. Mais aussi cette fatigue intense qui te colle à la peau et cette peur d’être repérée parce qu’on a changé ses habitudes alimentaires, qu’on ne boit plus d’alcool ou qu’on a le ventre qui commence à s’arrondir.

Annoncer sa grossesse au boulot… et être victime de discriminations

Plusieurs femmes m’ont expliqué qu’elles n’ont pas souhaité annoncer leur grossesse au boulot avant trois mois révolus par crainte de faire une fausse couche : pas envie de devoir ensuite affronter les regards et maladresses des collègues (ni même des amis ou de la famille) pendant cette épreuve, pas envie non plus d’être discriminée « pour rien ».

Comme Louise qui attend son bonus pour parler de sa grossesse, les femmes qui dissimulent leur grossesse pendant les trois premiers mois s’achètent ainsi un peu de sursis avant d’être étiquetées « enceinte » pour obtenir des promotions ou des garanties concernant leur carrière.

Théoriquement, les femmes enceintes ne peuvent pas être discriminées à l’embauche ou en poste. Leur emploi est protégé puisqu’elles ne peuvent pas être licenciées (sauf faute grave) à partir du moment où elles annoncent leur grossesse et jusqu’à dix semaines après leur retour de congé maternité. Elles sont aussi censées retrouver le même niveau de poste et de rémunération.

Dans les faits, les salariées précaires peuvent être pénalisées à partir du moment où leur grossesse est annoncée : non-renouvellement de CDD ou de contrat d’intérim, rupture de période d’essai, etc. C’est ce qui est arrivé à cette lectrice de Madmoizelle qui préfère rester anonyme et je vous préviens : en lisant son témoignage, vous allez avoir envie de péter des genoux. Lorsqu’elle est tombée enceinte mi-novembre 2020, cette jeune femme venait de commencer un nouveau boulot.

« Les symptômes étaient assez pénibles à gérer, entre nausées toute la journée et vomissements plusieurs fois par semaine. J’ai réussi tant bien que mal à tenir en ayant toujours de l’eau citronnée et un paquet de biscottes que je mangeais discrètement à portée de main. Mais ce qui a rendu la période vraiment difficile à vivre, c’était la gestion grossesse et covid : je n’avais aucun télétravail (malgré des tâches largement télétravaillables), et les gestes barrières n’étaient pas respectés dans l’open space. Donc je vivais dans l’angoisse permanente de choper le Covid on était alors en pleine deuxième vague, et de mettre ma grossesse en danger. 

J’ai donc contacté la médecine du travail, et après discussion il a semblé que le mieux était d’en parler à mes managers, pour voir si du télétravail était possible. Je redoutais un peu l’annonce, mais sur le moment, il l’a très bien pris et nous avons vu comment aménager mon poste au mieux. Malheureusement, deux heures après cette discussion, on m’envoyait la lettre de rupture de période d’essais…  Je n’ai à peu près aucun doute sur les raisons de cette rupture, puisque mon travail avait l’air de les satisfaire jusque-là… »

« Tu me mets dans l’embarras »

On comprend que dans ces conditions la plupart des femmes redoutent d’annoncer leur grossesse au boulot. La crainte d’être discriminée, mais aussi de se manger des réflexions désagréables de la part des collègues peut pousser à retarder l’annonce.

Judith Aquien m’explique ainsi que la protection dont bénéficient les femmes enceintes ne les empêche pas d’être harcelées à coup de petites phrases comme « Tu me mets dans l’embarras ».  

« Il faudrait former les managers à comprendre ce qui se passe dans le corps des femmes, à avoir de l’empathie ou au moins à ne pas prononcer certains termes violents ou discriminants, et à ne pas les mettre au placard. La grossesse gèle souvent toute possibilité d’évolution de carrière. Je ne connais d’ailleurs pas de femmes enceintes qui ont osé demander une augmentation. » 

Moi non plus, et pourtant, je connais plein de femmes enceintes qui font du très bon boulot ! Par contre, des femmes pour qui l’annonce de leur grossesse a déclenché l’hostilité de leur manager, je n’ai pas assez de mes deux mains pour les compter. Cette avocate de 35 ans explique par exemple que lorsqu’elle a annoncé sa deuxième grossesse à son boss avec qui elle travaillait depuis six ans, et qui avait lui-même eu des enfants récemment, il a extrêmement mal réagi.

« Je lui ai annoncé à un mois de grossesse pour ne pas le prendre en traître. Le mec a été choqué, ne m’a plus parlé pendant trois jours, j’ai même dû lui dire en rigolant (parce que c’était grotesque) que ce n’était pas lui le père, hein. Il m’a reproché que bon, dans huit mois, c’est demain, on va être dans la merde quand même, on n’a pas le temps de se retourner.

D’ailleurs, j’ai dû bosser pendant mon congé mat, parce qu’avec le Covid, ben évidemment, personne n’a pu me remplacer (en même temps, il n’avait pas cherché). Et le pire ? Il ne se rend absolument pas compte du caractère très problématique de son comportement. »

Serrer les dents enceinte au boulot… quitte à se mettre en danger

Comme elle, par conscience professionnelle ou par crainte d’être vue comme moins performante, moins fiable ou des « traîtresses » (c’est pas moi qui le pense hein, c’est Jean-Mi Manager), certaines femmes se tuent à la tâche pendant leur grossesse, au risque de mettre leur santé en danger…

Une histoire m’a particulièrement marquée. Cette prof TZR (donc sans poste fixe dans un lycée) a dû survivre à un premier trimestre de grossesse avec un emploi du temps très étalé (8h-18h) et 10km de marche par jour environ pour se rendre dans les deux lycées où elle donnait cours.

« Le soir, il fallait bosser pour préparer les cours des élèves à distance, et avec la fatigue du premier trimestre, c’était intenable. Je faisais des petits malaises, je devais donc m’asseoir au bureau régulièrement, ce qui fait qu’avec le masque, les élèves ne m’entendaient pas. J’ai lutté, je ne voulais pas m’arrêter, les élèves avaient déjà pas mal souffert de l’année version Covid, mais ça a été vraiment infernal. Je subissais toute la journée et ensuite je partageais mon temps entre les toilettes et le lit en rentrant. »

La jeune femme doit s’absenter pendant une heure de cours pour aller faire sa première écho, et son chef d’établissement lui fait payer cette absence (pourtant tout à fait légale) en la mettant d’office de surveillance des oraux blancs.

« J’ai fini par avoir des contractions violentes avec perte de sang. Je me suis rendue aux Urgences, et j’ai été arrêtée. Mon bébé avait un retard de croissance (résorbé depuis l’arrêt, mais quand même…). Si c’était à refaire, je l’annoncerais direct, et j’accepterais de m’arrêter plus tôt. »

Un système sexiste et patriarcal à repenser

Pour l’autrice Judith Aquien, ce silence entretenu pendant le premier trimestre de grossesse n’est pas sans conséquence et s’inscrit dans un système patriarcal.

« À la faveur de ce silence, la douleur des femmes n’est pas entendue et n’est pas diagnostiquée correctement. Le suivi d’ordre social, médical, RH ne se fait pas. Si on libérait la parole sur ces trois premiers mois de grossesse et la fausse couche, on pourrait permettre aux femmes de pouvoir faire leurs examens médicaux sans se planquer, et elles n’auraient plus à se cacher pour s’endormir d’épuisement sur la cuvette des toilettes. »

En finir avec le tabou de la fausse couche en annonçant sa grossesse dès le début au travail ne suffira pas à résoudre tous les problèmes rencontrés par les femmes enceintes salariées. Il y a aussi un énorme travail de pédagogie à faire : oui, la grossesse n’est pas une maladie, mais elle peut rendre sacrément malade.

La preuve avec le témoignage de cette assistante d’éducation dans un collège, enceinte de dix semaines.

« Je souffre de nausées et vomissements qui me font particulièrement souffrir. N’ayant pas encore de médicaments pour le traitement, j’ai beaucoup de mal au boulot. Seule technique qui fonctionne à peu près, manger peu et constamment. Sinon, dès que mon estomac se vide, je suis malade… J’en suis arrivée à avoir un sachet pour caca de chien dans la poche toute la journée, au cas où j’ai besoin de vomir (sachant que le bureau de vie scolaire est loin des toilettes…). Mes collègues me soutiennent dans mes nausées, mais ne les comprennent pas, donc c’est difficile d’expliquer à quel point ça impacte mentalement. »

Avant d’expérimenter soi-même les nausées de grossesse ou cette fatigue poisseuse qui empêche de fonctionner normalement, il peut être effectivement difficile de se représenter les conséquences que cela peut avoir sur le quotidien. Et puis, comme Judith Aquien le note, il y a une part de misogynie dans la manière dont la douleur des femmes est prise en compte, ou pas.

« Un homme qui a une gastro ou une migraine, on va compatir avec lui. Une femme enceinte qui se plaint d’avoir mal va plutôt être dénigrée : « prends sur toi », « ne t’écoute pas trop », « c’est pour la bonne cause ». Autant de manières de dire « ferme-la ! »».

Pour l’essayiste, il est urgent de changer de regard sur la grossesse, mais aussi de repenser les modes de travail (coucou le télétravail !) et l’aménagement des bureaux. Plutôt qu’une salle avec un babyfoot, est-ce qu’un canapé confortable au calme, dans une pièce qui ferme ne serait pas une meilleure idée pour permettre à tout le monde de se reposer discrètement, et notamment pour les personnes enceintes ou qui ont des règles douloureuses ?

*Le prénom a été modifié

À lire aussi : Il est temps de libérer la parole autour des fausses couches !


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.

Les Commentaires

11
Avatar de carabee
22 juin 2021 à 10h06
carabee
J'ai passé un premier trimestre compliqué et j'avais tendance à faire des petites chutes de tension au boulot (bouffées chaleur, point noir devant les yeux...).
Par la force des choses je l'ai annoncé rapidement à mes collègues car ils s'inquiétaient et dans la foulée à ma direction.
A partir de ce moment là c'était à peine si j'avais le droit de me baisser pour ramasser un stylo au sol.
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