Le grand plan contre l’infertilité, sur lequel le gouvernement a annoncé travailler, est-il nécessaire et promet-il d’être efficace ? Faut-il lancer une grève des ventres pour faire reconnaître le droit à disposer de son corps comme on le souhaite ?
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Plongée dans un univers dystopique
En utilisant le terme de « réarmement démographique », Emmanuel Macron a sciemment pioché dans le champ sémantique militaire, aux accents réactionnaires. Laisserait-il entendre par là que les corps des Françaises sont des outils mis à disposition de la nation ?
« En tant que soignants, on ne se positionne pas du tout en faveur de ce terme » expose Manon Marmouset de la Taille, gynécologue médicale à l’hôpital Pierre Rouquès – Les Bluets, et responsable de l’hôpital de jour spécialisé en fertilité et pertes de grossesses à répétition. « Le corps des femmes leur appartient et nous sommes là pour les accompagner dans leurs choix, quels qu’ils soient. Il ne devrait y avoir en aucun cas une injonction sociétale et politique à procréer, d’autant plus sur le registre militaire. »
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« On n’est pas encore dans un remake de The Handsmade Tale. » avance de son côté Fiona Schmidt, journaliste et essayiste féministe, autrice de « Lâchez-nous l’utérus ! » et « Vieille peau ». « Mais le fait que le président du Sénat Gérard Larcher, et d’autres élu.e.s de l’extrême droite et de la droite conservatrice, refusent de voir le droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) inscrit dans la Constitution est très inquiétant. Larcher considère que « la Constitution n’a pas à être le catalogue des droits sociaux et sociétaux » : ça signifie qu’il considère que l’IVG, donc la liberté pour la moitié de l’humanité de disposer de son corps et de sa vie n’est pas un droit fondamental. C’est grave. »
« D’autant plus grave dans un contexte de recul inédit des droits reproductifs aux États-Unis et en Europe, comme en Pologne, en Hongrie, et désormais en Italie, où le gouvernement d’extrême-droite mène une propagande nataliste intensive. C’est le pire moment de l’histoire pour nous reposer sur nos acquis en termes de droits sociaux ! » poursuit-elle.
Un appel à la grève des ventres ?
La France a connu par le passé plusieurs appels à la grève des ventres, au XIXᵉ siècle, pour protester contre la production capitaliste de « chair à canon » et de « chair à patron ». Ou plus récemment, en 1974, lorsque l’autrice et militante écoféministe Françoise d’Eaubonne appelait à la grève des ventres dans Charlie Hebdo, pour réguler la démographie d’une planète déjà surpeuplée.
Faudrait-il une nouvelle fois appeler à la grève des ventres, cette fois dans un esprit de rébellion face au discours gouvernemental ? « J’espère que les projets de parentalité ou de non-parentalité des Français.e.s ne sont pas influencés par les déclarations du chef de l’État : quels qu’ils soient, ces projets de vie ne devraient pas être des projets de réaction, mais de réflexion, sereine et libre », déclare Fiona Schmidt. « Mais il est très difficile de faire le choix serein de ne pas avoir d’enfant, quand les injonctions à la maternité viennent de partout, y compris du plus haut sommet de l’État. »
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« Les injonctions en matière de parentalité m’ont toujours profondément dérangée, quelles qu’elles soient. Et je ne suis pas sûre qu’une grève des ventres ait le moindre effet sur la politique du gouvernement en matière de parentalité et de petite enfance, qui est le cœur du problème. On veut des congés parentalité vraiment égalitaires, pour que la maternité ne pénalise plus professionnellement et économiquement les femmes, on veut des places en crèche, la revalorisation des conditions de travail des personnes qui s’occupent des jeunes enfants, et qui se trouvent être, comme par hasard, des femmes. Une grève générale des professionnel.le.s du secteur de la petite enfance, je me dis que ce serait plus efficace, pour tout le monde. » ajoute la journaliste.
« Je ne sais pas si les femmes seraient dans une démarche militante de grève des ventres, parce que ce serait aussi reconnaître qu’on accepte de rentrer dans un bras de fer avec la politique, alors que personne n’a de droits sur notre corps », rappelle Manon Marmouset de la Taille. « Mais il est important de continuer à militer, ce discours nous fait prendre conscience que nos droits ne sont pas acquis. Cela envoie le symbole qu’aux yeux du président le corps des femmes appartient à la société et aux hommes. Ce n’est évidemment pas du tout le cas, mais en 2024 le message n’est toujours pas clair, nous ne sommes pas des utérus. »
Un plan contre l’infertilité inadapté
Parmi les idées évoquées par le gouvernement pour lutter contre le recul de la natalité, on trouve un bilan de fertilité à réaliser à l’âge de 25 ans. « Il faudrait que cela reste une option, mais actuellement aucune nomenclature de la sécurité sociale ne permet aux femmes de faire un bilan de fertilité remboursé », rappelle la gynécologue. « Et avant de parler de « réarmement », il y a d’autres choses que les pouvoirs publics peuvent faire. »
Parmi les sujets prioritaires, il faudrait améliorer l’accès aux soins, le remboursement, et mieux communiquer auprès des femmes sur leurs droits, afin qu’elles puissent choisir si elles veulent avoir des enfants ou non, sans obstacles.
« Actuellement, l’accès à la cryoconservation ovocytaire est toujours très restreint. Les centres sont déjà débordés par l’activité de PMA (procréation médicalement assistée) standard, il y a un décalage entre la loi « PMA pour toutes » et la réalité sur le terrain, avec un délai de 2 ans d’attente en moyenne. C’est un vrai enjeu sociétal », alerte la Dre Marmouset de la Taille. « Il y a aussi une énorme pénurie de dons d’ovocytes en France, encore plus lorsque l’on sort des phénotypes occidentaux, il y a une vraie inégalité à ce niveau-là. »
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« Au niveau de l’IVG également, il faut une meilleure politique d’information. Beaucoup de femmes sont confuses et ne savent pas où se diriger, elles ne connaissent pas leurs droits. Il y a une inégalité sur le territoire, avec des « déserts IVG » par endroits. Et la double clause de conscience des praticiens est problématique. Nous aimerons qu’elle soit supprimée, que l’IVG soit dans la formation initiale des praticiens et que la pratique se fasse sans distinction déontologique », ajoute-t-elle.
« Il faut donc travailler sur ces trois grands axes de travail : les bilans de fertilité, l’IVG et la cryoconservation. Il y a trop de dichotomie entre IVG et PMA, il faut prendre en charge les patientes dans leur globalité de vie de femme, on ne peut pas séparer la question de la fertilité de celle de l’IVG, tout ça, c’est la santé de la femme, en fonction de ses moments de vie et de ses besoins. On peut aussi décider de faciliter l’accès aux spermogrammes pour les hommes, de développer la contraception masculine, et de mieux accompagner les femmes qui ont des pertes de grossesse à répétition ou de l’endométriose, avant de se focaliser sur la démographie. »
En somme, proposer un bilan de fertilité dans de bonnes conditions à celles et ceux qui le souhaitent, pourquoi pas, « mais il est dommage que cela s’inscrive dans un « réarmement démographique », avec l’arrière-pensée de pousser les femmes à faire de petits citoyens, et ne pas le faire pour le droit fondamental des femmes », conclut Manon Marmouset de la Taille.
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