Depuis le lancement de Rockie, en janvier 2019, des centaines de femmes nous ont écrit pour partager des tranches de vies, touchantes, drôles ou douloureuses. Parmi elles, plusieurs ont ressenti le besoin de nous confier l’histoire de leur(s) fausse(s) couche(s), en regrettant de ne pas avoir pu lire ou entendre ce genre de témoignages auparavant.
Pourtant, une femme sur quatre sera concernée au cours de sa vie par une fausse couche, qu’elle soit précoce (avant 12 semaines d’aménorrhée) ou tardive (entre 12 et 25 semaines d’aménorrhée). Selon les estimations, entre 10 et 25% des grossesses se terminent par une fausse couche.
On ne parle donc pas d’expériences minoritaires, mais bien d’un problème collectif qui devrait être plus abordé dans les médias et mieux pris en charge par notre société.
Commençons déjà par questionner l’expression communément utilisée pour parler de ces interruptions spontanées de grossesse.
Le terme « fausse couche » me met mal à l’aise, parce qu’il contient une notion d’échec ou d’erreur. Une racine que l’on retrouve aussi en anglais, où miscarriage me fait instantanément penser à mistake (erreur).
Pourquoi les fausses couches se vivent-elles souvent dans le silence ?
Au-delà de ce choix lexical questionnable, je suis surtout marquée par le silence qui pèse sur les couples qui vivent des fausses couches.
De nombreuses personnes font en effet le choix de ne pas annoncer la grossesse avant la fin du premier trimestre, moment où le risque de faire une fausse couche diminue fortement.
Un choix que je comprends et respecte, mais qui implique ensuite une grande solitude face à une éventuelle fausse couche.
Est-ce un moyen de se protéger ? De protéger son entourage ? Est-ce la peur de remuer le couteau dans la plaie à chaque fois que l’on doit annoncer que la grossesse s’est arrêtée ? Ou est-ce une honte plus insidieuse liée à cette notion d’échec contenue dans le terme fausse couche ?
En tout cas, le résultat c’est que les fausses couches se vivent derrière des portes closes, et qu’on peut avoir l’impression d’être la seule à traverser cette épreuve dans son entourage.
Parler de sa fausse couche pour libérer la parole
Plusieurs femmes m’ont d’ailleurs confié avoir découvert que les femmes autour d’elles avaient fait des fausses couches, au moment où elles-même en ont vécu une et en ont parlé.
Comme si le fait de parler de sa fausse couche permettait de libérer la parole des autres, à l’image de ce qu’a vécu Pauline.
« J’avais beaucoup parlé de ma grossesse autour de moi et ai donc du annoncer l’arrêt de celle-ci à tout mon entourage. Et là, à ma grande stupeur, j’apprends que ma grand-mère a eu une fausse couche, que la nounou de mon fils en a eu deux, et que deux de mes copines très proches ont eu une expérience exactement similaire à la mienne. »
Échanger avec des femmes qui ont vécu la même chose permet alors de se sentir moins seule et d’emmagasiner de la force pour faire face à d’autres réactions pas toujours adaptées de l’entourage. Comme le raconte cette lectrice de Rockie, âgée de 27 ans, qui a préféré rester anonyme.
« Certaines personnes sont très maladroites lorsqu’elles essayent de réconforter, en disant des trucs du style : « c’est rien, ce n’était pas un bébé »… Globalement, j’ai constaté que parler de mes fausses couches met souvent les gens très mal à l’aise. »
Le sentiment de culpabilité après une fausse couche
Plusieurs femmes m’ont expliqué avoir également ressenti un fort sentiment de culpabilité après leur fausse couche, comme Pauline.
« Il s’agit d’une expérience très douloureuse, au cours de laquelle on culpabilise énormément, on en veut à son corps et on s’en veut d’en avoir parlé. J’ai beaucoup cherché des raisons : encore aujourd’hui, je crois que c’est mon angine qui l’a tué. Tous nos projets se sont effondrés : je suis passée d’enceinte à plus rien en quelques secondes. C’est très soudain et très perturbant. »
Ce sentiment de culpabilité est nourri par le fait de ne pas savoir précisément pourquoi on a fait une fausse couche. En effet, il n’y a généralement pas de recherches entreprises par le corps médical pour comprendre les causes d’une fausse couche précoce isolée. Il faut souvent attendre la troisième fausse couche pour que des facteurs explicatifs soient recherchés.
Et l’idée de vivre trois débuts de grossesse puis trois arrêts avant de trouver des explications, me fend le cœur.
Très souvent, les fausses couches précoces sont liées à une anomalie génétique isolée qui rend l’embryon non viable. Parfois, elles peuvent aussi s’expliquer par des problèmes au niveau de l’utérus, être liées à un déficit hormonal, à une infection ou à d’autres facteurs environnementaux…
La réalité c’est que la recherche est loin d’avoir fait le tour des facteurs impliqués dans les fausses couches précoces, et notamment de ceux qui peuvent venir du côté du géniteur.
La fausse couche vue par les conjoints
Plus globalement, les conjoints (et les conjointes) sont complètement oubliés dans les représentations autour des fausses couches. Leur chagrin et leur deuil sont encore moins abordés ou pris en charge que ceux des femmes qui voient leur grossesse s’interrompre.
Les partenaires doivent pourtant également faire le deuil d’un bébé rêvé qui ne vivra jamais, même s’ils ne vivent pas la grossesse dans leur corps et ne connaissent pas les souffrances physiques liées à la fausse couche.
Souvent, ils ont tendance à faire passer le chagrin de leur compagne avant le leur, afin d’être présents pour elle, à l’image du compagnon d’Emma.
« Il s’était moins projeté mais a été très touché par cette fausse couche, un peu pour la perte de l’embryon mais surtout par ma détresse. Il a été très présent et soutenant mais comme dépassé par l’ampleur de ma tristesse et s’est du coup un peu effacé pour m’aider.
Il n’a pleuré que deux fois par exemple, une fois avec moi et une fois en annonçant la grossesse et sa fin à sa sœur. J’ai beaucoup regretté ensuite de n’avoir pas pu lui laisser plus de place pour exprimer les choses. Par la suite, c’est lui qui m’a donné un électrochoc qui m’a menée à consulter une thérapeute, en me disant qu’il ne pouvait plus se noyer avec moi. »
Une fausse couche ne démarre pas forcément par des saignements
Quand on n’a jamais vécu de fausse couche, on se la représente souvent comme démarrant par des saignements importants et des maux de ventre qui amènent à se rendre aux urgences gynécologiques. Mais cette représentation est loin de correspondre à toutes les fausses couches.
Certaines femmes découvrent en effet lors d’une échographie précoce que le développement de l’embryon s’est arrêté, que le cœur ne bat plus ou qu’il s’agit d’un œuf clair (le sac embryonnaire est là, on a des symptômes de grossesse et des prises de sang qui correspondent, mais dedans, aucun embryon ne s’est développé).
Elles savent alors que la grossesse s’est arrêtée, mais leur corps n’a pas encore commencé l’expulsion. Et ce moment d’attente peut être très difficile à vivre, comme l’explique Adrienne, qui a dû patienter plusieurs longues semaines entre l’échographie et les premiers saignements.
“Pour moi, c’était impossible de faire mon deuil tant qu’il était encore dans mon ventre.”
La réalité de la fausse couche
Avant de travailler sur cet article, je n’avais aucune idée d’à quel point une fausse couche pouvait être douloureuse physiquement et mentalement. Que l’on pouvait saigner pendant des semaines ou vomir de douleur au moment de l’expulsion.
Cette lectrice de Rockie âgée de 31 ans et qui préfère rester anonyme en parle mieux que moi :
« Pour moi, le tabou n’est pas tant que les femmes font des fausses couches. Le tabou, c’est comment se déroule une fausse couche. Comment concrètement peuvent se passer toutes les semaines qui entourent la fausse couche précoce. Ça, personne ne le dit. Ni les médecins, ni les femmes qui l’ont pourtant vécu.
Et quelque part je comprends pourquoi. C’est rude. C’est gore. Ça te fout la honte en tant que femme. Oser dire aux autres comment et de quelle manière ton propre corps a défailli… C’est dur. »
Médicalement, il existe plusieurs manières de gérer une fausse couche : laisser les choses suivre leur cours naturellement (avec le risque que cela prenne du temps ou que tout ne s’évacue pas), prendre un médicament pour provoquer des contractions et déclencher l’expulsion (à combiner avec des antidouleurs pour ne pas trop souffrir), ou pratiquer une aspiration sous anesthésie générale (avec les risques habituels d’une opération sous AG).
Quel que soit le choix que l’on fait, il ne faut pas hésiter à changer de praticien si on a le sentiment de ne pas être correctement accompagnée ou de ne pas avoir assez d’informations pour comprendre ce qui est en train de se passer.
Après une fausse couche, quel impact sur une future grossesse ?
Selon l’avancée de la grossesse et la façon dont la fausse couche survient, on ne va pas forcément la vivre de la même manière.
Au-delà des impératifs médicaux qui nécessitent parfois d’attendre quelques semaines ou mois avant de se relancer dans des essais bébé, certains couples ont besoin de plus de temps pour faire leur deuil et se projeter dans une nouvelle grossesse.
Après deux fausses couches précoces, cette lectrice de Rockie âgée de 31 ans, a décidé de faire une pause dans les essais bébé avec son conjoint.
« J’ai besoin de temps pour faire mon deuil et me remettre moralement. On a besoin de vivre autre chose avec mon conjoint, car ces six derniers mois ont été hyper éprouvants. On prend du temps pour nous et pour la suite on verra. J’ai besoin de reprendre confiance en moi et mon corps. »
Tomber enceinte après une fausse couche
Une autre lectrice anonyme de Rockie est, elle, à nouveau enceinte après avoir vécu deux fausses couches qui lui ont fait perdre son insouciance sur le sujet.
« Je suis en permanence sur mes gardes. Je ne suis pas sûre de pouvoir encore être de nouveau sereine un jour dans ma grossesse. Mes deux fausses couches m’ont volé ça. Je ne sais que trop qu’il peut arriver un événement dramatique à tout moment. »
Emma, enceinte de presque six mois, a elle aussi ressenti pas mal d’inquiétudes lors de sa grossesse. Mais la fin du premier trimestre lui a permis de les apaiser un peu et de réfléchir à la suite.
« Je pense encore souvent à ces bébés qui n’ont pas vécu, mais la tristesse qui y est liée s’est apaisée. Je me pose maintenant la question de comment les intégrer à notre histoire familiale, comment faire en sorte qu’ils aient existé aux yeux de notre futur petit bout… Sans que ce soit lourd pour lui.
Je ne veux pas en faire un tabou, mais je ne veux pas non plus qu’il pense avoir « remplacé ces enfants là. » J’ai heureusement encore du temps pour mûrir la question ! »
- Tu peux aller lire sur la plateforme Cairn l’article passionnant écrit par les psychologues Natalène Séjourné, Stacey Callahan et Henri Chabrol : « La fausse couche : une expérience difficile et singulière ».
- Tu peux aussi découvrir le témoignage de la députée française Paula Forteza qui a fait une fausse couche cet été à presque 4 mois de grossesse et qui se demande comment la société peut mieux prendre en charge les femmes qui traversent cette épreuve.
Merci à toutes celles qui ont partagé leurs histoires de fausse couche avec moi en amont de cet article. Elles m’ont été très précieuses. Si tu as envie de réagir à l’article ou de venir à ton tour partager ton vécu, tu peux venir le faire dans les commentaires. Et j’envoie beaucoup de force et d’amour aux parents qui doivent faire le deuil de leur enfant à naître.
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