Vous en avez marre des tendances qui habillent les années 2020 d’atours venus de l’an 2000 ? Ce n’est encore que le début. Après le string qui dépasse du taille basse, revoici le caleçon qui resurgit du baggy.
Le retour en grâce d’un phénomène né en prison
Sauf qu’en regardant vers le rétro pour habiller le présent, on se met également à réhabiliter des gimmicks à l’histoire plus compliquée. Le jean taille basse sauce Y2K en tant que tel, c’est marrant. Sauf que son retour en grâce contemporain peut également s’accompagner aujourd’hui d’une glamourisation du sagging.
Ce terme anglais renvoyant à l’idée d’affaissement désigne le fait de laisser volontairement ou non son pantalon descendre sur ses hanches au point de laisser apparaître son sous-vêtement.
Dans les États-Unis des années 1990, ce phénomène se retrouvait beaucoup chez des personnes afro-américaines anciennement détenus, ou en clin d’œil à ce qu’on peut voir en prison où le pantalon d’uniforme imposé était alors à taille unique et sans ceinture, pouvant donc dévoiler largement le caleçon.
Forcément, aperçu principalement sur des hommes noirs et latinos pouvant sortir de prison, le sagging a rapidement eu mauvaise réputation au point que la plupart des établissements scolaires étasuniens et français ont commencé à interdire et sanctionner le caleçon qui dépasse sur le popotin des garçons.
S’il était compliqué de rendre cette pratique illégale dans l’espace public (ce n’est pas faute d’avoir essayé dans plusieurs États au pays de l’oncle Sam), au nom de la liberté d’expression, c’est quand même devenu un prétexte à la répression policière excessive à l’encontre d’hommes racisés. À tel point que le New York Times titrait le 30 août 2007 : « Est-ce que votre jean s’affaisse ? Aller directement à la case prison. »
Près d’une trentaine d’année après l’émergence de ce détail vestimentaire, l’industrie de la mode tente de le réhabiliter avec plus ou moins de sensibilité ou d’opportunisme.
Sur les podiums, le caleçon qui dépasse du pantalon redore son blason
Fondée par un couple à la ville et au studio, composé de Lisi Herrebrugh, néerlandaise, et Rushemy Botter, né à Curaçao (une petite île qui est un État autonome du royaume des Pays-Bas, situé au large du Venezuela) avant d’arriver en Europe à 2 ans, la marque Botter en a présenté une version prenant en compte la charge politique de ce geste tant criminalisé à l’encontre des hommes racisés, le co-fondateur étant lui-même concerné.
Plusieurs pantalons étaient portés avec le caleçon qui dépasse, parmi les silhouettes de la collection Botter automne-hiver 2021-2022 pleine de référence à la mer, à la plongée, et aux coraux (ils viennent d’ailleurs de créer une pépinière de coraux sous-marins au large de Curaçao, et un pourcentage des bénéfices des ventes de leurs collections vont à la préservation de ces éléments essentiels à la biodiversité).
Dans ce choix de stylisme subtilement exécuté par Botter de laisser dépasser un caleçon de pantalons de costume pourtant bien taillés, le fondateur de Black Fashion Fair (sorte d’encyclopédie en ligne des créatrices et créateurs afro-descendants) Bibby Gregory voit une forme de retournement du stigmate, comme il le tweetait le 23 janvier 2021 :
Même geste de célébration sur les podiums chez le jeune créateur latino-américain Willy Chavarria pour sa collection printemps-été 2022 qui vient d’être présentée à la New York Fashion Week. Travaillés comme des jupes de bal bouffantes au volume digne de la haute couture, avec une taille haute arrivant jusqu’au plexus solaire, les pantalons qui ont ouvert le défilé offraient quand même à voir des caleçons, tel un geste aussi poétique que politique.
Seulement, d’autres marques s’essayent à ce même gimmick sans dégager autant de sincérité. On pense au placide Simon Porte Jacquemus, dès sa première collection masculine pour le printemps-été 2019 baptisée Gadjo (dans la culture romani, un gadjo est une personne qui n’a pas de Romanipen, donc n’appartient pas à la communauté romani), qui frôle la caricature du streetwear porté par certains hommes à Marseille, ce qui passe notamment par des silhouettes avec du sagging. Rebelote pour sa collection été 2020, automne-hiver 2020-2021, et l’automne-hiver 2021-2022.
Le sagging intégré de ce survêtement Balenciaga passe mal sur les réseaux, mais se vendra sûrement
Mais ce qui agite les critiques mode de Twitter actuellement, c’est un jogging à sagging intégré, d’une maison de luxe : le « Sweatpants trompe l’oeil » de Balenciaga, vendu 975€ sur le site de la marque. Et c’est bien connu, tout ce qui fait plus que 5 retweets sur Twitter amène certains médias en quête de buzz à grossir le trait et parler d’accusations en appropriation culturelle sans citer de sources des soi-disant procès d’intention, puisque les internautes déplorent plutôt le mauvais goût de la démarche qui quémande de l’attention.
Soit toujours le même schéma dont sort à chaque fois gagnant Demna Gvasalia, directeur artistique de la maison Balenciaga, coutumier du fait qui s’offre alors une pub gratuite, sur les réseaux, dans les journaux, et améliore en prime son SEO.
Sa recette ? Réinterpréter des codes des jeunesses populaires et marginalisées pour les projeter en version prêt-à-s’encanailler sur les podiums, à destination d’une clientèle aisée en manque de grand frisson qui n’a plus qu’à piocher ce genre de ready-made comme si on pouvait s’acheter une street-cred (ou la blanchir). Et attendre que le buzz fasse de la promo à Balenciaga. Pendant que les pantalons s’affaissent, ses ventes sont donc loin d’être en baisse.
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Crédit photo de Une : © Courtesy of Willy Chavarria
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