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Des femmes se sentent obligées d’allaiter au sein, et si on arrêtait avec les injonctions ?

L’allaitement est en plein boom depuis 25 ans, et ses bienfaits sont régulièrement mis en avant. Mais les injonctions sont parfois telles que des femmes se sentent obligées de continuer malgré les douleurs aux seins ou l’épuisement.

« Ah, l’allaitement, c’est un grand sujet, mais c’est touchy ! », estime Mélanie Boutin, psychologue clinicienne, ancienne psychologue de maternité accompagnant des femmes en post-partum.

« Parce que tout le monde se sent un droit de regard sur le corps des femmes, dès la grossesse, et de manière générale d’ailleurs. »

« Il y a une double injonction en fait », renchérit Mélodie Exbrayat, sage-femme libérale. « D’un côté, la population générale pousse à l’allaitement, mais en face, l’accompagnement n’est pas optimal. »

Le retour en force de l’allaitement

Pourtant, les mères entendent partout que nourrir son bébé au sein est ce qu’il y a de mieux. En 2016, une étude publiée dans The Lancet énonçait les bienfaits supposés de l’allaitement (en cas de prématurité et pour la protection contre certaines maladies notamment), énoncés aussi par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui recommande un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois, puis un allaitement partiel jusqu’à 2 ans.

L’étude était reprise dans Le Monde, qui s’essayait à des généralisations problématiques, dénoncées dans une tribune par Titiou Lecoq et d’autres personnalités féministes. Elles estimaient qu’il s’agissait de culpabilisation des femmes qui nourrissent au biberon et qu’il y avait des biais d’analyse – notamment une non-contextualisation des données – dans les études qui vantent les bienfaits de l’allaitement dans la population générale. Les recommandations de l’OMS sont tout à fait questionnables, comme l’indique Titiou Lecoq :

« Comment peut-on mettre sur un pied d’égalité une femme qui accouche dans un pays pauvre avec un environnement insalubre et une femme d’un pays développé avec un accès facile non seulement à l’eau potable, mais aux soins médicaux en général ? »

Ces recommandations sont donc à mettre en perspective.

Les femmes allaitent de plus en plus

La tendance est plutôt à l’allaitement au sein. D’après la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), entre 1995 et 2017, le taux d’allaitement moyen à la naissance est passé de 45,6% à 67,6%. Charles Heriot, sage-femme libéral titulaire d’un DIU allaitement, estime qu’il monte à 90% à Paris, et pointe que les tendances ne sont donc pas les mêmes selon les milieux.

Mélanie Boutin constate que cet engouement autour de l’allaitement, après une génération qui l’avait un peu laissé de côté, « s’inscrit dans un retour vers le “naturel”, dans un mouvement de “réappropriation” face au médical qui a peut-être beaucoup envahi nos vies », constate-t-elle.

« Mais ces mouvements exercent parfois un peu de pression. »

Mélodie Exbrayat observe par exemple :

« En cours de préparation à la naissance, les femmes qui ne souhaitaient pas allaiter se mettent presque à s’excuser. »

On vante tant les supposés bienfaits que les femmes qui n’allaitent pas se considèrent comme des mères défaillantes.

Allaiter malgré les soucis de santé

Elle a aussi rencontré des mères qui s’obligent à continuer, même quand ça se passe « dans la douleur ». « Il n’y a plus de joie », remarque-t-elle.

Des propos qui font écho à ceux de la sociologue Illana Weizman, quand elle était invitée dans le podcast Le Tourbillon. L’autrice de Ceci est notre post-partum (Marabout, 2021) explique avoir « allaité exclusivement pendant huit mois » et n’avoir « pas aimé ça les trois derniers mois » :

« Je me suis forcée en me disant que c’était bien. Ça a été hyper délétère. »

Certaines préfèrent laisser leur santé de côté pour être sûres d’allaiter. Charles Hériot indique :

« C’est marginal, mais la question de la compatibilité entre allaitement et certains traitements peut se poser, par exemple pour des cas d’épilepsie. »

Il explique qu’il faut alors en discuter avec la patiente, qui fera son choix… Mais privilégier sa santé : « Il est arrivé qu’on ait dû dire à une patiente que ce n’était pas possible de continuer à allaiter », se rappelle-t-il. « Son épilepsie était trop dangereuse pour qu’elle abandonne son traitement. »

Par ailleurs, l’allaitement peut aller de pair avec de nombreux petits soucis, détaille Mélodie Exbrayat :

« Les crevasses, par exemple, ça peut être extrêmement douloureux et difficile à vivre. Ou encore les mastites, l’engorgement… c’est très désagréable. En plus rare, il y a les vasospasmes (quand le sang n’atteint pas l’extrémité du mamelon, qui blanchit, et que la femme ressent comme une brûlure, ndlr). »

Elle précise que dans certains cas, il y a des solutions assez simples pour régler ces problèmes rapidement :

« Mais il faut faire la différence entre celles qui veulent continuer, et celles qui sentent qu’elles doivent le faire, parce que la société, la famille, leur disent “c’est bon pour ton bébé” […] Il y a tout un travail psychologique, il faut voir si c’est un choix de leur part. »

Mélanie Boutin a aussi eu des patientes qui se sentaient obligées d’allaiter car leur mari le souhaitait :

« Il y a cette panoplie de la mère parfaite qui est encore très présente, dans la tête des femmes mais aussi des hommes, des grands-mères, des belles-mères… »

Elle explique que nourrir son bébé au sein peut être source de stress, surtout quand cela ne se passe pas bien :

« Cela touche à un idéal, certaines femmes s’étaient imaginées des paillettes, et finalement sont un peu perdues, ou se sentent seules. »

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(© Pexels/Helena Jankovičová Kováčová)

Allaiter jusqu’à l’épuisement

S’ajoute souvent à cette pression psychologique la fatigue, explique Mélodie Exbrayat :

« Il y a des bébés très demandeurs, qui tètent 4 à 5 fois la nuit. Et les femmes continuent, alors qu’elles sont épuisées. »

Charles Heriot ajoute que pour certains bébés, la tétée est plus fastidieuse que pour d’autres, et que toutes les mamans n’allaitent pas “juste” pendant 40 minutes toutes les 3 heures :

« Quand il faut tirer son lait, donner le lait qu’on a tiré, parfois avec une pipette, on peut arriver à des sessions de 2 heures. Les femmes sont alors dans un état de fatigue extrême. »

Dans ces cas-là, il conseille de « tronquer » un peu avec des sessions biberons.

« Ce n’est pas toujours facile car des patientes ne veulent pas du tout avoir recours au biberon, parfois sur la base de fausses informations. Pourtant, ça leur ferait gagner du temps, et leur apporterait du repos. »

La chaîne YouTube Apasdemoa, dédiée à l’allaitement long, a publié une vidéo sur la fatigue, pour répondre à des questions de ses abonnées. Les commentaires témoignent de mères épuisées, dont une qui explique qu’elle allaite son bébé 10 fois par nuit, et qu’elle trouve cela plus difficile depuis qu’il fait ses dents.

Malgré une bienveillance dans le ton, la youtubeuse encourage tout de même à s’accrocher, à essayer d’oublier un peu la fatigue, ou à « ne pas s’y attarder ».

Une internaute lui répond en commentaire : « On peut s’y attarder… quand ça bouffe le couple et que ça mine la santé… » Mais l’influenceuse semble être partisane du « quoi qu’il en coûte » : dans une vidéo sur les crevasses, elle concède que si cela devient trop difficile, on peut considérer de suspendre l’allaitement, mais seulement temporairement. Et il faudra alors « tirer son lait, à la main ».

Mieux accompagner pour ne pas y perdre sa santé

Mélodie Exbrayat plaide plutôt pour un accompagnement au cas par cas, « personnel et adapté à chacune ». « Ce qui importe, c’est le choix des femmes », martèle-t-elle. « Le problème, c’est qu’en maternité, on donne les mêmes conseils à tout le monde. On ne prend pas le temps, parce qu’il y a trop de patientes, aussi parce qu’on a fermé des maternités », ajoute Charles Heriot.

Mélanie Boutin observe que sur certains territoires, « on manque un peu de professionnels pro-choix » :

« Soit la femme est entourée de gens qui considèrent que le biberon est mieux, donc on ne les accompagne pas, soit de sage-femmes et auxiliaires de puériculture pro-allaitement qui n’écoutent pas les doutes ou peuvent être très jugeantes. »

Elle se rappelle d’une patiente en tout début d’allaitement, qui faisait un baby blues et « se forçait un peu » à continuer alors que c’était compliqué :

« Elle n’avait pas assez de lait, et n’avait pas confiance en elle. Elle a pris la décision d’arrêter, et finalement, c’était un soulagement. »

Pour Charles Heriot, il faut refuser cette injonction à l’allaitement :

« Il vaut mieux une maman qui va bien et un enfant qui trouve une réponse à ses besoins affectifs, qu’une maman au fond du trou qui l’allaite. »

Ce que Mélodie Exbrayat aime résumer en ces termes : « Il vaut mieux un biberon donné avec le cœur qu’un sein donné à contre-cœur. » Ou dans la douleur.

À lire aussi : Faut-il laisser pleurer les bébés ? On fait le point dans Débats de parc, notre nouvelle rubrique !

Image en une : © Wendy Wei/Pexels


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Les Commentaires

11
Avatar de stl44
25 octobre 2022 à 21h10
stl44
Accroche toi à ton ressenti, moi je savais depuis toujours que je ne voulais pas allaiter, j'ai entendu des trucs atroces, mais au final sois en sûre, mon fils a 8 mois et on a un super lien, ça sera ton cas aussi. Et puis, je ne connais pas ton histoire, mais moi j'ai trouvé ça sympa (et reposant) que le père puisse aussi nourrir son fils.
Pour le lait : pour ma part Hipp bio a été le meilleur lait pour mon fils, ça l'a aidé avec ses coliques.
Oh merci pour ton commentaire et pour ton conseil pour le lait à choisir. C'est vrai que pour l'instant j'ai pas trop d'idée de quel lait infantile pourrait convenir à mon petit bébé. Je vais me renseigner sur celui que tu me conseilles ! Merci
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