Le ministre de la santé Olivier Véran vient d’annoncer ce 11 mai 2022 la fin du port du masque obligatoire dans les transports en commun à partir du lundi 16 mai. Une bonne nouvelle pour certaines personnes, tandis que d’autres comptent bien continuer à le porter. Pour continuer à protéger les plus vulnérables, parce que cela leur procure un sentiment de sécurité, que cela gomme un complexe, ou encore apaise leur anxiété sociale. Elles nous confient leurs raisons d’aimer ce morceau de tissu qui protège non seulement du Covid-19, mais aussi du regard des autres.
« Le monde entier est-il amoureux de moi ? »
Pour Kalindi, les premières semaines de vie masquée ont été une période étonnante : la jeune femme s’est d’un coup sentie désirée par le monde entier.
« Tout a commencé à l’occasion d’un rendez vous chez un chiropracteur : pendant une heure, j’ai eu l’impression qu’il me faisait du gringue. Et puis, je suis sortie dans la rue, et j’avais l’impression que TOUT LE MONDE me faisait du gringue : le caviste, la caissière de chez Franprix, et même mes collègues ! »
Quand elle s’interroge sur ce qui l’a rendue irrésistible, elle réalise que la réponse est juste… sur son nez :
« J’ai compris que c’était simplement le port du masque qui forçait les gens à communiquer avec moi, non plus seulement par le prisme de la parole, mais aussi du regard.
Avoir un masque sur le bas du visage oblige les gens à se regarder de manière un peu plus soutenue pour se comprendre et à mon sens, c’est TRÈS agréable. J’adore ça, et j’ai l’impression de matcher bien plus qu’avant avec les gens qui croisent ma vie, et surtout les commerçants.
D’ailleurs, depuis le Covid et le port du masque, je me suis liée d’amitié avec tous les restaurateurs et autres vendeurs de ma rue : j’ai l’impression que ma vie est plus ouverte sur les autres. »
« Le masque m’aide à moins complexer »
Sans partager l’obsession de Kalindi pour la séduction, Myra est elle aussi attachée au port du masque. Travaillant dans un commerce alimentaire, il lui a fallu un moment pour accepter que son quotidien allait désormais se faire avec un morceau d’étoffe sur le bas du visage. Mais les mois passant, son rapport à la chose a évolué :
« Je me suis habituée à ce bout de tissu sur mon visage, grâce auquel j’ai fini par me sentir protégée. Pas vraiment du Covid, même si c’était l’objectif premier ; le masque est devenu une barrière entre les autres et moi, derrière laquelle je pouvais me cacher et vivre presque incognito.
Je me sentais protégée du regard des autres, que j’ai d’habitude tant de mal à supporter.
Etant complexée par mon nez et mon sourire, le masque est finalement venu cacher les défauts que je vois sur mon visage, ne laissant apparaitre que mes yeux, que j’aime bien. C’est devenu alors beaucoup plus facile pour moi de me trouver jolie. »
À cette période, Myra se fait draguer par des clients pour la première fois de sa vie. Si elle commence par penser que c’est parce que ces personnes ne peuvent voir que ses yeux, elle comprend rapidement que la réalité est tout autre :
« Avec le recul je pense que c’est aussi parce que, libérée du regard des autres sur mes “défauts” cachés par le masque, j’ai bien plus confiance en moi, je me trouve plus jolie, alors je “rayonne” plus, et les gens me remarquent. C’est une prophétie autoréalisatrice classique ! »
« J’appréhende le moment où le masque ne sera plus obligatoire »
Le masque devient alors un rempart contre les complexes de Myra, qui raconte :
« Je me retrouve à porter mon masque le plus longtemps possible. Je suis la dernière à l’enlever, et la première à le remettre quand je mange avec des collègues par exemple.
En temps normal, je n’aime pas aller chez le coiffeur car c’est trop désagréable pour moi de faire face à plusieurs miroirs si longtemps : je finis toujours avec le moral dans les chaussettes. J’y suis retournée récemment, et le masque y étant obligatoire, j’y ai pris beaucoup plus de plaisir !
J’appréhende le moment où le port du masque ne sera plus obligatoire. »
Mais là où le port du masque lui a facilité la vie sur certains points, elle réalise toutefois que ses effets à long terme n’ont pas été que positifs.
« Finalement, le port du masque n’a fait que fragiliser encore plus mon estime de moi, et j’ai l’impression de devoir recommencer à zéro tout le travail que j’essaye de mener sur moi pour arriver à me regarder avec un regard bienveillant.
Mais j’ai aussi réalisé que c’était super agréable de se trouver belle, et que finalement la beauté est aussi une histoire d’attitude et de confiance. Si je me trouve jolie, si j’ai confiance en ce que je suis, c’est plus facile pour les autres de me trouver jolie !
J’essaye de garder ça en tête dans les moments où je dois enlever mon masque, et même si c’est loin d’être gagné, j’espère petit à petit arriver à changer mon regard sur moi même.
En attendant, je profite du masque, je l’apprécie, j’espère pouvoir le porter encore longtemps, mais je m’oblige parfois à l’enlever (dans les situations qui le permettent) pour perdre l’habitude et le plaisir de vivre cachée. »
Le masque peut alléger l’anxiété sociale
Édouard confie lui aussi apprécier couvrir le bas de son visage, qui le fait complexer. Mais ce que raconte le jeune homme, c’est que le port du masque soulage avant tout son anxiété :
« Le port du masque a beaucoup joué sur mon anxiété sociale. J’ai tout le temps peur du regard ou du jugement des autres, de faire un faux pas… Or, le masque m’a allégé de réflexions parfois irrationnelles : qu’on me regarde de travers ou que j’aie quelque chose sur le visage par exemple.
Ça aide aussi à se fondre dans la masse. On a le droit de n’être personne, on se pose moins de questions, c’est un soulagement. »
En plus de l’impossibilité d’interpréter les expressions du visage des autres, son quotidien est adouci par l’impossibilité qu’on interprète les siennes : dans une société où la perception des masculinités non-blanches est ancrée dans un imaginaire raciste, ne pas être perçu comme agressif quand on est un homme noir peut impliquer une surveillance de soi constante, désormais atténuée par le port du masque pour Édouard.
« Parce que je suis un homme noir, grand, dans le contexte d’une ville assez violente, les gens présument de moi une forme d’agressivité constante ou d’hostilité, quand mon visage est simplement neutre.
Quand je porte un masque, on présume moins de choses de mon visage. C’est une charge en moins pour moi, de ne pas devoir faire attention sans cesse à ce que je peux renvoyer, à ce qui pourrait être mal interprété. Ne pas avoir à se surveiller en permanence, c’est un bénéfice bien plus important que les inconvénients d’en avoir toujours un sur soi, ou que ça tiraille derrière les oreilles. »
Dans l’espace public, une impression d’être un peu plus inaperçue
Pour Élise aussi, le masque est un objet rassurant. Non seulement parce qu’il protège des maladies, mais aussi parce qu‘en tant que femme cela lui donne parfois l’impression de passer un peu plus inaperçue dans l’espace public, notamment face au harcèlement de rue.
« Je me sens un peu plus incognito avec le masque : parfois, je le porte, et j’ai l’impression que personne ne me calcule dans la rue ou dans les transports en commun. C’est vraiment très agréable, notamment quand je rentre tard le soir.
Mais cela reste très ambivalent : parfois, j’ai aussi l’impression que le masque intrigue certains mecs qui vont me fixer encore plus… Ce qui m’énerve encore plus. »
Sans masque, une vulnérabilité exacerbée
Pour Adeline, ce sentiment de protection que lui confère le masque découle immédiatement de la protection sanitaire qu’il offre :
« À force d’associer le masque à la sécurité sanitaire dans les espaces où il y a du monde, je crois que j’ai fini par m’y habituer et par ressentir aussi une sécurité individuelle plus générale. Quand je suis entourée par des inconnus ou dans des lieux de passage, j’ai beaucoup de mal à accepter de l’ôter : cela me fait me sentir plus vulnérable. »
Un sentiment de vulnérabilité partagé par Édouard, qui abonde :
« Aujourd’hui, mon anxiété est exacerbée quand je ne porte pas de masque. J’ai l’impression d’être à nu, et qu’on va faire beaucoup plus attention à ce que je dis, ce que je fais ou à ma manière de rire…
J’ai l’impression d’être hyper exposé : à la fois au regard des autres, et au risque sanitaire. »
Un rapport à soi et aux autres qui change
Et si la gestion du risque sanitaire reste évidemment l’urgente priorité, il se trouve aussi un enjeu d’importance dans le regard que nous portons sur nous-même depuis les débuts de la pandémie. C’est ce que rappelle Karen Demange, psychologue clinicienne :
« On a trop peu de recul pour constater les effets à long terme de cette pandémie sur notre fonctionnement. Mais ce qu’on constate, c’est qu’il y a eu une explosion de la chirurgie esthétique depuis les confinements et les appels ou réunions en visio.
Nos rapports à nous, aux autres, et à la communication ont changé. En consultation, je constate que les images de soi, ou qu’on renvoie aux autres sont des questions qui arrivent sur le tapis un peu plus vite qu’auparavant. »
C’est tout d’abord la manière dont nous communiquons avec les autres que le masque transforme.
L’experte explique en effet que pour les personnes voyantes, une grande partie des informations se transmet par la communication non verbale et visuelle. Être privé de certains sourires ou de certaines micro-expressions va nous obliger à accorder plus d’importance à la communication verbale et, dans certains cas, à parler avec plus de sincérité.
Elle explique par ailleurs que pour certaines personnes, le masque crée un vrai sentiment d’altération de leur rapport à autrui : pour elles, il crée de la distance et entrave leurs relations.
Le masque comme désinhibiteur social
Mais parce que chaque phénomène résonne différemment en fonction du vécu et de l’histoire de celui ou celle qui la vit, le masque peut aussi avoir l’effet inverse, et jouer le rôle d’un désinhibiteur social :
« Pouvoir se dire qu’avec le masque, on n’est pas vu tel que l’on est puisqu’on est pas vu intégralement peut aider certaines personnes aux tempéraments plus timides, ou des personnes qui n’ont pas confiance en elles par exemple. Être dissimulé peut aider à se sentir plus à l’aise dans le rapport à autrui, comme lorsque l’on porte un déguisement. »
C’est le cas de certaines personnes qui témoignent ici de leur attachement au masque. Karen Demange rappelle toutefois que si celui-ci était amené à devenir une barrière dans le rapport aux autres, il ne faut pas hésiter à entamer un travail sur soi :
« Si, d’objet favorisant les interactions sociales, le masque était amené à devenir handicapant (notamment pour les personnes qui ont peur du moment où il faudra l’enlever), il est possible de commencer à travailler sur soi ou de consulter un ou une thérapeute dès aujourd’hui.
Car en réalité, le masque n’est qu’un support sur lequel va se greffer une question plus générale : celle du rapport avec soi-même, de la timidité, de l’inhibition… Après tout, cette situation est transitoire, et que nous nous retrouverons tous et toutes confrontées à notre image de nous-même un jour. »
À lire aussi : Les masques vont-ils entrer dans la mode et la culture occidentale ?
Crédit photo : Cottonbro / Pexels
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Les Commentaires
Mis à part au travail où ça peut être pénalisant, tu peux le porter comme tu veux partout.
Plein de gens vont le faire pour se protéger ou protéger leurs proches (les gens qui sont immunosup ou ont certaines maladies ont besoin qu'on porte encore le masque. Sinon ça les condamne au ffp2).
Je vais pas me gêner en tout cas, j'ai la trouille de refiler le covid à mes parents et j'apprécie d'avoir mon acné caché.