Article du 18 février 2012
Pendant le mois d’août, j’ai visité l’Europe grâce à un truc super qui s’appelle le Pass Interrail. Durant mon périple, j’ai fait une étape à Cracovie, d’où j’ai pu prendre un bus pour rejoindre un lieu dont on connaît tous le nom, sans savoir qu’il s’agit d’une ville : Birkenau.
Cet été, je me suis rendue à Auschwitz, le plus grand camp de concentration et d’extermination du monde. Récit écrit le soir même, après une déstabilisante visite guidée.
À lire aussi : 5 séries historiques sur les femmes pendant la Seconde Guerre Mondiale
Visite du camp d’Auschwitz
Nous avons pris le bus tôt ce matin. Dans l’accueil du musée, nous croisons une foule de personnes de toutes nationalités. Forcés d’attendre une visite en français, ce n’est qu’à midi que nous rencontrons notre charmante guide polonaise, qui dicte dans nos casques audio les règles des deux camps.
En effet, par respect pour les personnes mortes ici au camp d’Auschwitz et pour les autres visiteurs, les visites se font à voix basse, avec un casque. Cela permet aussi à chacun d’ôter son matériel pour visiter en silence ou de s’isoler du groupe tout en profitant des explications.
Nous visitons d’abord Auschwitz, où se trouvent l’hôpital, la prison et plusieurs autres baraquements aménagés en musée. Sur les murs de chaque salle, on voit des photos de détenus à leur arrivée puis à la Libération, des vêtements, des plans, images expliquées au fur et à mesure par notre guide.
Une photo me marquera : celle d’un prisonnier politique polonais qui pose la tête haute devant un mur, le seul de son groupe à ne pas transpirer la misère et la peur. Une dignité face à la mort qui lui rend son humanité, malgré la bestialisation dont il est physiquement et moralement victime.
Au cours des deux heures de visite, notre guide, douce enseignante effectuant les visites sur son temps libre, nous décrira pas moins de onze façons différentes de mourir.
Les chiffres du camp me restent en tête : 1,4 millions de morts, 69 000 juifs venus de France et 690 venus dans un train depuis Oslo. Les nombres sont si immenses que mon imagination est dépassée. Comment pourrait-elle ne pas l’être ?
Je n’en prends réellement conscience que lorsque nous visitons un dernier bloc où s’entassent des centaines et des milliers de lunettes, chaussures, valises, brosses à dent, boîtes de cirage, retirés aux hommes et femmes descendant du train. On y trouve même des prothèses, des jambes de bois ou un pot de crème Nivea.
Plus loin, la pièce la plus choquante, dans laquelle beaucoup perdent leurs moyens. Trois tonnes de cheveux retirés des cadavres au sortir de la chambre à gaz pour les vendre à une usine de couvertures.
Trois tonnes de cheveux. La véranda de ma maison ne pourrait les contenir tous. Et derrière chaque mèche, une femme, une adolescente, brune ou blonde, juive, chrétienne, communiste, capitaliste, tzigane, riche ou pauvre, unique.
Comment fonctionnait le camp de concentration d’Auschwitz Birkenau
Après une pause, nous retrouvons la guide devant la navette qui nous emmène à Auschwitz II Birkenau.
Sur la route, nous longeons les voies de chemin de fer, où sont passées des milliers d’être humains et sur lesquelles personne ne fera de voyage retour.
Ce « Terminus Absolu » me rappelle d’ailleurs une vieille chanson. (Oui, c’est du Jean Ferrat et oui l’instrumentale est pourrie, mais ces paroles méritent un peu d’attention)
Arrivés à Birkenau, nous entrons par l’unique porte, celle par où passaient les trains.
Mises à part les voies, nous ne voyons que des grilles surmontées de barbelés et des cheminées autour de nous. Des centaines de cheminées émergeant des champs. Ce sont les seuls vestiges de la plupart des baraquements de bois, ces anciennes écuries importées d’Allemagne où dormaient et (sur)vivaient les détenus. Seuls une poignée d’entre eux sont encore debout.
Là, la guide prend le temps de nous livrer son explication sur la non-intervention des habitants voisins et des gouvernements, justifiant sans accuser. Elle évoque avec pertinence la collaboration, la peur, le refus d’y croire, et les expériences de Milgram.
C’est une femme sensible et intelligente, qui parle avec respect en un lieu dont elle pense qu’il doit être considéré comme un cimetière.
Dans les latrines, lieu de mort (la maladie, les personnes trop faibles qui tombent dans les fosses, les odeurs) et lieu d’espoir (l’organisation de troc durant ces rares instants sans surveillance), elle nous parle d’évasion et de résistance. Des Justes, d’Irena Sendler et des 2500 enfants qu’elle sauva.
Enfin, devant les ruines de la chambre à gaz n°5, elle nous explique la difficulté de garder ce lieu dans l’état de repos que les victimes méritent sans empêcher les générations actuelles de faire acte de mémoire.
Le musée a pris le parti de laisser libre accès aux lieux, aux photos, aux objets « témoins », tout en évitant le « musée des horreurs » qui attiserait une curiosité malsaine.
C’est pourquoi nous ne voyons pas de photos des morts, que les différents « recyclages » du corps humains ne sont pas évoqués (hormis les cheveux), et que les chambres à gaz ne font pas partie de la visite.
C’est les larmes aux yeux que je l’ai écoutée dire que seule la conscience de chacun permet d’éviter l’horreur, et qu’il serait facile de blâmer les populations de l’époque en oubliant que l’oppression des peuples n’a pas fini d’exister, évoquant les Tutsis, les Afghans, rappelant que la Pologne n’est libre que depuis 20 ans.
L’Homme et le bourreau, le double visage d’Auschwitz
Être ici, parcourir ces pièces où des centaines d’humains furent tués à l’insecticide, voir les murs d’exécution, les témoignages d’humiliations, les cellules de punition, les photos de tris arbitraires et de déplacements massifs (est-ce un train de la SNCF que je vois ici, déversant ses flots d’humains venus de Paris pour se faire massacrer ?).
Tout cela est saisissant. Cela amène à la conscience que l’Homme peut devenir bourreau, que personne n’est à l’abri de devenir un tortionnaire un jour.
Car qui est Homme, entre celui qui vit dans une écurie, un numéro tatoué sur le bras, transportant des gravats à longueur de journée, et celui qui sous-alimente des enfants dans le but d’observer les dégâts causés à leurs organes internes ?
Il est déjà 16h quand je remonte dans le bus. J’essaye en vain d’écouter de la musique : quand je prête attention aux paroles, trop de chansons me paraissent futiles.
Je ne me sens pas traumatisée ou bouleversée, j’ai simplement le sentiment que je n’oublierai jamais le visage de cet homme digne dans son pyjama rayé. Je sens la pleine conscience de l’animalité de l’Homme. Évidemment, cette pensée s’amenuisera avec le temps, mais je pense qu’avoir vu Auschwitz m’a rendue, à jamais, un peu plus humaine.
À lire aussi : Un ancien néo-nazi devenu pacifiste répond aux questions des Redditors
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Et je ne pense pas.
En bonne alsacienne, j'ai fait chaque année la visite d'un "simple" camp de concentration, le Struthof. Et à chaque fois, je n'ai pas supporté. Je me suis évanouie près des fours, j'avais l'impression d'entendre les prisonniers souffrir et crier, c'était affreux.
Il y a aussi un musée qui retrace l'histoire du nazisme et celle du camp. Il y a une pièce spéciale dédiée à la montée du nazisme, avec lampes rouges, vidéos partout, discours diffusés. Je crois que le but est de nous mettre à la place des Allemands en 1933 : étouffés par les discours sur la rôle supérieur de l'Allemagne, prenant par physiquement, via le salut nazi, à cette "gloire" allemande. Musique pompeuse, marche militaire fière. A ce moment-là, je me suis dit : on a dressé l'Allemand contre les autres et pour sa propre gloire. Et c'était diablement efficace. Je suis restée 5 minutes dans cette pièce, ça m'a suffit. Je n'ose pas imaginer les effets sur les jeunes Allemands qui l'ont vécu pendant 12 ans.
(En fait, c'est complètement HS :shifty