L’autre jour, alors que je naviguais en toute insouciance sur un magazine féminin en ligne, je suis tombée sur un article qui énumérait quelques règles d’or pour réussir un pique-nique « gourmand et parfait ».
Entre deux giboulées de mars à retardement, j’étais justement en train de profiter d’une accalmie climatique afin d’organiser moi-même un pique-nique parfait pour le lendemain. Je me questionnais violemment sur le choix du fromage qui devait accompagner ma gourmande salade melon-avocat-tomates-olives noires. En plein dilemme – féta ou mozzarella ? Deux écoles s’affrontent – mon index a vivement double-sauté sur le papier en question.
L’article ne m’a nullement aidée dans ma quête du pique-nique parfait : la journaliste recommandait par exemple de choisir un cadre sympathique pour déjeuner (« un parc loin du périph » par exemple – sans blague, moi j’adore bruncher en bordure de nationale, la pollution relève le goût de mes mets gourmands, pas vous ?), de servir du kir en apéritif accompagné de brochettes mangue-gambas, le tout devant être présenté dans des assiettes de porcelaine afin de ne pas sacrifier le confort au style…
J’ai alors compris que nous n’avions pas la même définition d’un pique-nique réussi et je me suis sentie en devoir de rétablir certaines vérités.
Historique du déjeuner en plein-air
Il n’y a qu’un pas et quelques siècles qui séparent le casse-croûte des paysans forcés de manger dehors par leur travail agricole des pique-niques bourgeois de la noblesse en pleine partie de chasse qui faisait « mettre la table » (il fallait monter des tréteaux sur une planche pour y disposer les plats) en pleine nature. Le pique-nique s’est popularisé au cours des siècles : pour se rapprocher de la nature, pour revendiquer sa liberté à occuper l’espace que l’on désire, par souci d’économie ou simplement parce que le plein air est le seul lieu assez vaste pour se regrouper.
Il y a quantité de bonnes raisons pour pique-niquer et une foultitude de manières différentes d’organiser son escapade gastronomique, des panières en osier aux glacières seventies à allume-cigare intégré.
L’environnement extérieur
Si, comme moi, vous habitez en ville et qu’il est impossible de déjeuner face à l’immensité des montagnes, dans la fraîcheur d’une forêt isolée ou sur une belle aire d’autoroute bucolique, il reste une option agréable : l’occupation des jardins publics.
Les jardins publics et leurs lots de dragueurs solitaires, de chiens errant entre les arbres et d’enfants en bas âge pleurant pour réclamer des esquimaux au chocolat (je vous déconseille de déjeuner dans un parc un mercredi midi, sous peine d’y perdre un tympan et l’envie de procréer jusqu’à la ménopause). En ces périodes de fin d’année scolaire, j’ai éprouvé la joie d’entamer l’apéro dans le calme et la tranquillité et de finir mon verre sous le mugissement d’un gang de collégiens affamés qui déchiraient des paquets de chips au vinaigre en se jetant de la Vittel fraise au visage – une scène horrifique.
Un peu plus loin de moi, un rassemblement de femmes à poussettes campait sous un arbre, armées de glacières et de piscines à bulles ; elles semblaient discourir sur des sujets fascinants mais bien trop éloignés de mes préoccupations nullipares.
Une autre fois, je me suis retrouvée dans le même entourage qu’une bande de jeunes chevelus armés de didgeridoos. Je ne sais pas si vous avez déjà passé deux heures à côté de quelqu’un qui souffle péniblement dans un morceau de bois creux sans que ce bruit ne semble produire le moindre intérêt musical. Moi je l’ai vécu, et depuis ce jour je boycotte tout ce qui s’apparente à de la musique de rue. Notez que si les gens jouaient du piano sur le trottoir cela m’agacerait tout autant ; heureusement il existe des catégories d’instruments non-portatifs que même un iPhone en haut-parleur ne peut remplacer.
En somme, faites-bien attention à votre proche voisinage : un crew de jeune armés de sandwichs au pâté et d’oeuf dur mayonnaise peut rapidement ruiner le doux parfum de votre déjeuner gourmand.
Une ambiance champêtre et bucolique
La nature est impitoyable, c’est que nous apprend
Bear Grylls chaque jeudi sur Discovery Channel depuis des années : à trop vouloir se la jouer hippie décontracté on finit par crever minablement comme dans un film de Sean Penn. Moi je me méfie de l’environnement, je ne trouve pas que les insectes aient quoi que ce soit de sympathique ni d’utile, les moustiques me filent de l’urticaire avant même de me piquer, les fourmis qui viennent picorer le fond de ma compote me débectent, les oiseaux qui discutent en piaillant pendant des heures, ça m’agace plus que ça ne m’enchante. Je devrais pique-niquer dans ma cave pour être pleinement satisfaite du décor, mais dans ma cave il y a des araignées et pas de soleil, ce qui ne m’agrée guère.
Je recommande donc vivement le port de la bombe anti-moustique à la ceinture, la nappe comme rempart aux agressions rampantes et le self-control envers les gros insectes volants, car il n’y a rien de pire que de gérer le stress d’une copine qui gesticule dangereusement en criant « AH UN BOURDON OH MON DIEU JE VAIS MOURIR » – ne pas bouger, ne pas respirer, faire du stoïcisme sa philosophie de vie.
Le sandwich trois étoiles
Il y a les social-traîtres du pique-nique, ceux qui vont s’avachir dans l’herbe en mangeant du McDo, du Subway, du sandwich triangle acheté au Monoprix du coin : partisans du moindre effort, ils sont seulement à la recherche d’un cadre sympa pour faire une pause dans leur journée fatiguante.
Nous, nous ne sommes pas de cette race – nous sommes des champions du pique-nique trois étoiles. On ne va pas aller jusqu’à préparer des brochettes mangue-gambas ni des feuilles de vignes farcies, mais dans nos bentos et nos boîtes à lunch on se donne quand même un peu de mal pour réaliser de chouettes salades composées, des sandwichs aux recettes improbables qu’on ne trouve pas dans le commerce (mais on se cogne complètement de sacrifier le style au confort d’une assiette en carton du moment que ce qu’on mange est bon). On a seulement l’ambition de passer un chouette moment au soleil, pas forcément celui de pouvoir jouer comme figurants dans une pub Ricoré ou sur un tableau de Manet.
Alors on oublie la robe en mousseline blanche sur laquelle s’épongera le cidre et nos doigts grassouillets : soyons pratiques et toujours munies d’un couteau suisse à tire-bouchon intégré, seul allié contre les bouteilles de vin récalcitrantes et les parts de cake à découper.
Sur ces bons conseils je vous souhaite des pique-niques festifs, gourmands et amusants. Je m’en vais explorer des contrées lointaines et peut-être même en profiter pour déjeuner de chichis, de chouchous et de beignets – à la pomme, à l’abricot, au chocolat ! – sur un terrain sablonneux et humide.
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