Titanic n’est pas seulement le film préféré d’Alice Creusot. Sorti en 1998, il est aussi le long-métrage à avoir fait le plus d’entrées au box office jusqu’en 2019, avant d’être dépassé par Avatar puis Avengers Endgame. De quoi marquer la pop culture, et les générations qui s’en sont abreuvées !
Et on doit beaucoup à Titanic, puisque c’est en revoyant le film pour la dixième fois (au moins) et en y redécouvrant des degrés de lecture qu’Alice Creusot a eu l’idée de lancer le podcast Cinérameuf.
« Je me suis dit : ce film a fait un des plus gros nombre d’entrées dans le monde pendant longtemps, il a coûté énormément d’argent et d’investissement humain, et je crois qu’il est fondamentalement féministe.
Peut-être pas volontairement, mais c’est quand même un film sur les inégalités. C’est un bateau dans lesquels les gens sont répartis selon leurs classes sociales, où les privilèges sont apparents même face à la mort, et je crois qu’il n’y a rien d’anodin à ce que Cameron choisisse une femme pour personnage principal. Une femme privilégiée, qui subit aussi des inégalités au sein de sa propre classe.
Je me suis dit qu’on en parlait pas assez, et j’ai eu envie de le faire ! »
Elle se lance grâce à un concours de podcast Deezer qu’elle remporte, et qui lui permet d’obtenir des fonds pour sa première saison, ainsi qu’un accompagnement dans la production.
Les classiques du ciné sous l’œil du féminisme… et celui de la recherche
La jeune femme l’explique : sa passion pour le cinéma est ancienne, et intimement liée à sa conception du monde.
« Les films ont toujours été mon meilleur moyen pour évaluer mes rapports avec les autres. C’est dans les films que j’ai cherché des réponses à des questions comme : c’est quoi l’homme parfait ? C’est quoi, l’amour ? À quoi doivent ressembler les relations avec les autres ?
Quand on a commencé à parler de féminisme dans le cinéma, ça a fait écho chez moi parce que je me suis rendu compte que je m’identifiais profondément à la manière dont toutes ces choses étaient représentées à l’écran. Et qu’il y avait largement matière à déconstruire. »
Alors que sa culture féministe s’étoffe, elle voit dans les films de nouvelles dimensions à comprendre et interpréter, mais aussi un vecteur accessible et important permettant de parler de lutte pour l’égalité des genres.
« L’idée de prendre des films accessibles et que tout le monde a vu comme objets d’analyse, ça rend accessible un discours féministe et militant.
Ça permet aussi de vulgariser le savoir des chercheurs et chercheuses qui étudient ces questions depuis des années. Ce n’est pas pour rien que je n’invite que des gens qui sont dans la recherche : j’ai envie de rendre hommage à ces personnes qui dédient leurs vies à ces études comparatives, ces colloques, ces thèses dans lesquelles elles créent, manipulent des concepts très importants — celui de female gaze par exemple, mais pas seulement.«
Pour Alice Creusot, c’est aussi une manière de faire évoluer le débat féministe et de l’élever.
« C’est important de pouvoir dire : avec ce film, on peut comprendre la mécanique des violences sexuelles, ou on peut analyser des tabous.
Parler de Thelma et Louise, ça permet de rappeler que le film a eu un succès énorme, mais a aussi été lourdement blâmé par certains critiques, qui avaient peur que les femmes prennent les armes et tuent des hommes. On disait que c’était trop extrême, que cela desservait la cause… Un tabou de la violence féminine qui existe encore aujourd’hui, presque dans les mêmes termes ! «
Interroger les films cultes, et ce qu’ils disent de notre société
C’est donc aux côtés de chercheuses telles qu’Héloïse Van Appelghem, Alice Pember ou encore Sabrina Bouarour que la podcasteuse décortique ces classiques du monde occidental, en allant chercher ce qu’ils racontaient de leur époque et ce qu’ils racontent de la nôtre.
Les cinq premiers épisodes analysent tour à tour Thelma et Louise, Virgin Suicides, Titanic, Dirty Dancing et Les Demoiselles de Rochefort. Et même pour ceux de la liste qu’on pense connaître par cœur, il y a des choses à découvrir.
Sans vous spoiler d’une écoute de qualité, chaque épisode fait résonner ces films presque anciens avec les enjeux quotidiens du féminisme actuel. Alice Creusot développe ainsi :
« Thelma et Louise, ça parle de la difficulté d’aller porter plainte après des violences sexuelles, d’absence de confiance en la police ou de sororité, entre autres.
Les Demoiselles de Rochefort, la première fois que je l’ai vu, j’ai cru qu’il parlait d’histoires d’amour. Mais on y voit un féminicide, et les œillères que la société se met face à cette problématique, et des modèles de masculinités multiples et différents. La figure du “bon père de famille” est absente, la masculinité hégémonique est moquée… Et c’est un film qui date des années 60 !
Dirty Dancing, c’est un film dont personne n’avait prévu le succès, et dans lequel la scène d’avortement clandestin est centrale : sans elle, le film n’a pas le même sens. Et pourtant, le sponsor du film a tenté de la faire enlever… «
Et puis, il y a Virgin Suicides, un film qui a profondément heurté la jeune femme. Elle confie que l’épisode à ce sujet a d’ailleurs été le plus difficile à réaliser pour elle :
« Je ne me doutais pas du tout de ce que j’allais découvrir en étudiant Virgin Suicides. Ce film met en scène des adolescentes enfermées dans une narration, dans ce qu’on projette sur elles : des objets de tentation pour les hommes et les garçons de leur entourage, et que leurs parents essaient de les protéger de manière toxique, en les enfermant à la maison.
C’est un film qui parle de la sexualisation des enfants et des adolescentes, de l’enfermement qu’on peut ressentir quand on est une femme. De la pratique répugnante de sexualiser les enfants, qui est reprise dans le porno, dans Playboy, et dans la construction d’un imaginaire sexuel qui objectifie les filles, puis les femmes.
Je crois que l’esthétique du film, à laquelle l’œuvre de Sofia Coppola est souvent réduite, ne vient pas d’un hasard. Elle porte une dimension politique consciente ou non, parce qu’elle reprend celle du photographe pédocriminel David Hamilton, qui photographiait des enfants et des adolescentes. Tout ça, je l’ai appris grâce à mon invitée, Anna Backman Rogers et son essai : Sofia Coppola, The politics of visual pleasure. »
Remettre les films dans leur contexte passé et actuel
D’épisode en épisode, on redécouvre ainsi ces classiques qui ont rempli les salles. D’ailleurs, la réalisatrice raconte souvent recevoir des messages qui lui disent « Je n’avais pas vu ce film comme ça ». Une réaction qui la met en joie, car c’est exactement ce qu’elle souhaite faire :
« Je ne suis pas dans une idée révisionniste, mais plutôt dans l’idée de dire : aujourd’hui, avec les outils intellectuels dont la recherche dispose, on est capable d’analyser un film, ses intentions conscientes ou inconscientes, sans pour autant prétendre parler à la place de l’auteur.
On peut remettre un film dans son contexte historique, mais aussi mettre en avant ces nouvelles lectures : qu’est-ce que ça dit de la société, ce qui est transmis dans ces films ? Qu’est-ce qu’on voit, quand on nous montre des clichés parfois mis à distance et tournés en ridicule, d’autres fois portés aux nues comme des exemples ?«
Porter un regard féministe, sur des films réalisé par des hommes
En choisissant ce sujet, la créatrice de contenu s’est rapidement heurtée à un questionnement : presque tous les films de la première saison ont été réalisés par des hommes.
« Mon pitch, c’était : parler de films grand publics, cultes, qui avaient fait beaucoup d’entrées. Et malheureusement, ce sont des films qui ont majoritairement été réalisés par des hommes.
Je me suis dit “Ah bah génial, la meuf est féministe, mais elle va parler que de films réalisés par des hommes”, alors que je ne veux absolument pas invisibiliser le travail de plein de toutes les femmes très talentueuses qui ont réalisé des œuvres importantes… Mais qui ont été moins mises en avant, moins oscarisées. »
Toutefois, au gré de ses recherches, elle réalise que nombre de ces films cultes ont été écrits par des femmes :
« Mais en y regardant de plus près — et ça, je l’ai appris en faisant des recherches — nombre de ces films cultes ont été écrits par des femmes !
Thelma et Louise a été scénarisé par Callie Khouri, mais elle ne trouvait aucun producteur pour la suivre tant qu’elle était à la réalisation. Quand Riddley Scott, qui croyait en son scénario, a été nommé comme réalisateur, les propositions de production ont suivi.
Même chose pour Dirty Dancing, par exemple. C’est aussi révélateur de l’époque, et j’essaie d’en parler dans le podcast. Ça laisse l’occasion d’aborder le cinéma dans toute sa complexité, parce qu’un film, ce n’est pas que la personne qui le réalise. C’est le travail de plusieurs personnes différentes, c’est le jeu des acteurs et actrices.. Mais à l’avenir, c’est très important pour moi de parler de plus de femmes réalisatrices.«
Cinérameuf nous permet d’affuter notre regard avec Alice Creusot sur ces œuvres cultes, mais aussi d’explorer différentes questions féministes qui se croisent, s’interrogent les unes et les autres face à leurs contradictions.
Et si vous bingez les cinq premiers épisodes en quelques jours, sachez que la suite est en préparation… Mais on ne vous spoilera pas ce podcast éclairant qu’on vous recommande chaudement !
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