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Société

Comment l’homophobie m’a empêchée d’embrasser la fille qui me plaît

Mathilde a eu un date avec une femme qui lui plaît. Alors que celui-ci touchait à sa fin, elle s’est demandé si elle devait l’embrasser. L’homophobie ambiante l’en a dissuadée, mais elle ne renonce pas.

Le 17 mai 2020, comme chaque année, c’est la journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie, la biphobie et la lesbophobie.

Sur madmoiZelle, à l’occasion de cette journée de sensibilisation et de lutte pour la cause LGBT, plusieurs articles comme ce témoignage seront repartagés.

Publié le 16 novembre 2018

Paris, fin 2018.

À la terrasse d’un bar, je discute avec une femme qui me plaît. Je ne sais pas vraiment si c’est un date, mais je passe un bon moment. Je ne suis pas contre que ça aille plus loin, entre nous.

Un date lesbien à une terrasse de Paris

J’ai bu plusieurs verres, ça fait déjà un moment que nous sommes là. J’essaie doucement de me rapprocher, mais je suis maladroite, je ne sais pas trop comment m’y prendre. Je ne sais pas comment draguer une femme.

Autour de nous, il y a pas mal de monde : le trottoir est étroit et les fumeurs nombreux. J’essaie de créer une bulle qui nous enveloppe.

Finalement, elle doit partir. Elle est déjà en retard, une amie l’attend, elle devrait y être depuis plusieurs dizaines de minutes. Je me dis que c’est bon signe, cela signifie qu’elle a passé un bon moment avec moi.

Juste avant qu’elle parte, je me prépare à oser, à sortir de ma zone de confort, à tenter de l’embrasser.

Puis, d’un coup d’un seul, je rétrograde.

Embrasser une femme dans la rue, un acte dangereux ?

Alors qu’elle s’éclipse quelques minutes avant de s’en aller, je sens que l’ivresse retombe tout à fait. Je ne sais plus s’il fait froid ou si mon sang s’est glacé.

Soudainement, je me rappelle qu’à Paris, en 2018, les personnes lesbiennes, gay, bi, trans, ou qui d’une manière ou d’une autre sortent du cadre ne sont pas bienvenues.

Je me souviens violemment de la recrudescence d’agressions homophobes, ces derniers temps, en France et à Paris.

Dans mon esprit apparaissent toutes les images de visages tuméfiés, accompagnés de légendes à glacer le sang, de victimes de ces agressions. Pour avoir osé aimer dans l’espace public.

Le pire, c’est que lorsque je vois cela dans mes réseaux, je me dis qu’« au moins, ces gens n’ont pas été séquestrés ou tués ». Le pire, c’est que je sais pertinemment que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Le pire, c’est que la tendance est en hausse, puisque le rapport annuel de SOS Homophobie affirme que sur l’année 2017 :

« le nombre d’agressions physiques à caractère LGBTphobes connaît une augmentation de +15 % »

Lequel avait déjà augmenté en 2016.

Et, pour ne parler que de la violence verbale, seulement 4% des victimes d’injures à caractère homophobe portent plainte, comme l’explique un rapport de l’observatoire national de la délinquance de 2017.

En sachant tout cela, je me dis que ce n’est pas juste moi qui suis parano.

Est-ce que je vais embrasser cette femme ? À quels risques est-ce que je m’exposerais, en faisant ça ?

Si je l’embrasse, vais-je ensuite rentrer chez moi, ou finir sur un brancard parce qu’un type pas net aura décidé de me péter la gueule ?

Dois-je prendre ce risque et aimer envers et contre tous, ou avant tout penser à nous, nous protéger, nous préserver de cela ?

La recrudescence des agressions homophobes me fait peur

Ce qui est dingue, à ce moment-là, c’est que ma plus grande inquiétude devrait être de savoir si mon envie est réciproque ou non. Pas de mesurer le risque que je prendrais à embrasser cette femme qui me plait.

J’ai toujours été moi-même, toujours aimé librement. Mes proches se moquent bien de mon orientation sexuelle, qui n’a jamais vraiment été un problème dans mon quotidien. Du moins, ceux et celles pour qui ça l’a été ne sont plus mes proches.

Mais là, je bloque.

Habituellement, je me serais dit que je m’en fous, que si je m’en prends une j’irai porter plainte, mais qu’au moins le baiser aurait valu la peine.

Sauf que j’ai peur de ne pas être soutenue par l’État. Puisque j’ai vu qu’il ne considère pas comme discriminatoire le fait d’interdire la P.M.A. aux couples de femmes, je m’inquiète quant à ce que je peux espérer de sa part…

J’ai peur d’exagérer. J’ai encore plus peur de ne pas exagérer.

Être une femme et lesbienne, c’est avoir appris à ne pas « provoquer »

Alors que ces informations défilent dans mon esprit, je sens un autre frein qui me retient d’oser embrasser cette femme.

Et puis je comprends.

Depuis petite, parce que je suis une femme, on m’a appris à être gentille, à ne pas faire de vagues.

Mon éducation a modelé mon inconscient, et avec, ma manière d’agir. Au fond de moi, une petite voix me dit de ne pas agir de manière « provocante », car si je me fais emmerder suite à cela, c’est que « je l’aurai bien cherché ».

La société dans laquelle j’ai grandi m’a appris à préférer nier ma personne que de sortir du moule. Autrement, c’est à mes risques et dépens, et que je ne m’attende pas à ce que qui que ce soit vienne me soutenir.

On ne m’a pas non plus appris à me battre. C’est une double peine : je ne peux ni me défendre, ni espérer qu’on vienne me défendre. Cerise sur le gâteau, s’il arrive quelque chose, ce sera probablement de ma faute.

J’ose pas vraiment me l’avouer, mais j’ai peur.

L’homophobie m’a privée d’un baiser, mais ne m’empêchera pas de vivre

J’ai honte d’avoir peur. D’autant plus qu’il y a peu, une artiste que j’admire énormément a fait son coming out sur scène, dans le même contexte de recrudescence des actes homophobes. Je l’ai remerciée pour avoir fait cela.

J’aurais voulu être comme elle. J’aurais voulu me voir comme une femme forte qui n’a pas peur, qui montre l’exemple et tient la main de sa meuf dans la rue pour que ça devienne normal, pour que les petites filles et les petits garçons, et tous les autres qui voudraient faire pareil le fassent, sans se poser de questions.

Pour que mes potes qui ne sont pas out et aimeraient le devenir osent sortir du placard. Pour que la sexualité ou l’identité de genre ne soient plus des risques, des potentielles sources de danger.

Je voudrais embrasser des meufs partout, tout le temps, parce que j’aime ça et parce que j’en ai le droit.

Je voudrais leur dire que je les aime, et si un jour cela devient d’actualité, je voudrais les demander en mariage, les voir porter nos enfants, ou pas, mais je veux avoir le droit de choisir.

Je voudrais coucher avec elles sans me soucier des I.S.T., parce qu’on m’aura expliqué ce que sont des digues dentaires, par exemple, et que j’en aurai facilement à me disposition.

J’ai pas ce luxe, alors je veux que ma petite sœur, mon filleul, mes cousines l’aient si elles souhaitent un jour en profiter.

Être non-hétérosexuelle en 2018, c’est encore un combat

Elle est revenue, on s’est dit « au revoir ». On s’est pas embrassées.

J’aurais aimé que ce soit juste parce que j’ai pas osé. On se serait revues, et cette fois-là, j’aurais tenté.

Je me dis que je tenterai, la prochaine fois.

Je rejoins mes collègues, installées plus loin, qui me demandent comment ça s’est passé. J’élude, je reprends un verre, je rentre dans leurs conversations loufoques.

Je me sens un peu à part. L’une d’entre elles est avec son mec, une autre rejoindra son mari, ensuite. Elles peuvent embrasser la personne qu’elles aiment dans la rue sans problèmes. Je les envie.

Je me dis que parmi toutes celles qui sont là, parmi toutes les personnes dans ce bar, il y en a probablement d’autres qui ne rentrent pas dans les cases.

J’espère qu’elles ont moins peur que moi, en ce moment. J’espère qu’aucune d’entre elles ne sera insultée, tabassée, rejetée, niée, pour avoir l’audace d’être celle qu’elle est.

Je me souviens de la chance que j’ai d’être entourée de personnes qui m’acceptent comme je suis. Qui me soutiennent et m’encouragent. J’ai envie d’enlacer fort tous ceux et toutes celles qui n’ont pas cette possibilité.

Si toi t’es dans ce cas, je suis avec toi, du fond du cœur.

Et, je te le dis, à toi. La prochaine fois, je l’embrasse.

Suite à la publication de ce témoignage, j’ai été contactée par une journaliste de Libération.

Le 18 décembre 2018 est sorti son papier, un dossier sur l’homophobie directe et plus latente, dans lequel j’évoque cette histoire. Pour lire son article, il te suffit de cliquer ici !

À lire aussi : Comment surfer sur ta non-hétérosexualité ? — PETITIPS

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Les Commentaires

38
Avatar de Mathilde Trg
18 mai 2020 à 12h05
Mathilde Trg
Hihi, merci @Couettecouette ! Contente de savoir que mon travail te plaisait

Effectivement @skippy01 , toutefois s’exposer sur Internet provoque un risque moins « immédiat » de violence physique à mes yeux. Avec ma meuf, on est sur Instagram (réseau plutôt bienveillant en plus, comparé à Twitter par ex.) sans trop de problèmes, mais selon où on se promène par exemple, on ne se tient pas toujours par la main (et les baisers sont toujours rares). Tout dépend du contexte.

D’ailleurs, on a lancé le compte @malicedu75 au moment où je m’apprêtait à démissionner, ce qui nous a permis d’avoir une discussion avant le lancement avec moins d’« enjeux » : j’allais a priori être moins visible sur le site madmoiZelle et ses réseaux, les implications pour ma meuf étaient donc moins « potentiellement dangereuses ». En réalité, très rapidement après l’article, j’ai décidé de dépasser cette peur (c’est un peu la conclusion du papier, d’ailleurs), ça ne l’empêche pas d’exister. Mais j’ai choisi de me montrer, aussi pour tous les « baby queers » qui se sentent encore beaucoup en danger, parce que moi-même je me sens si fière et admirative quand je vois deux meufs se tenir la main dans la rue, par exemple !
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