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Culture

Séries, ciné… À qui profite la dystopie matriarcale sur les écrans ?

Avec Des gens bien ordinaires, série diffusée depuis le 6 juin dernier sur Canal + Décalé, la réalisatrice Ovidie remet au goût du jour un genre des représentations féministes sur les écrans : l’inversion des rapports de force entre femmes et hommes.

Adaptée du court-métrage Un jour bien ordinaire écrit par Ovidie en 2019, la série Des gens bien ordinaires (8x15min) nous plonge dans le milieu du porno, au début des années 90. On y suit les premiers pas de Romain (Jérémy Gillet), jeune étudiant en sociologie en rébellion contre la société. Tout dans cette série d’auteur intimiste respire le réalisme, si ce n’est que Romain évolue dans une société matriarcale, où les femmes détiennent le pouvoir et se comportent comme les hommes

Un outil de dénonciation et de pédagogie 

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©Canal+

Pour dénoncer la violence patriarcale à l’œuvre dans tous les interstices de notre société, Ovidie a choisi d’utiliser un outil narratif efficace : le renversement du pouvoir genré. Romain découvre le milieu objectivant du porno, mais subit aussi un sexisme ordinaire et des violences conjugales. Il peine à s’extirper d’une relation sous emprise avec une femme plus âgée (Agathe Bonitzer). Dans un effet miroir, sa trajectoire éclaire la condition des femmes dans notre société contemporaine.

Les fictions qui reposent sur cette inversion genrée existent depuis toujours, mais paradoxalement, elles ne sont pas si nombreuses. Preuve qu’elles contiennent quelque chose de profondément dérangeant. Ce procédé en appelle à l’empathie de son public, en particulier masculin. Habitués à des représentations culturelles qui les placent en situation de supériorité, les hommes sont invités à ressentir le désarroi du protagoniste masculin par identification, et ainsi à prendre conscience de la condition des femmes, voire à réfléchir à leur propre comportement problématique… En théorie du moins. Le fait de voir un personnage masculin et non pas féminin subir ces violences psychologiques ou physiques crée a contrario un recul pour le public féminin, visuellement préservé d’images potentiellement traumatisantes. Ce qui n’est pas le cas des dystopies comme la série The Handmaid’s Tale, accusée de verser dans le trauma porn

La dystopie matriarcale dans l’histoire de la pop culture 

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©Gaumont

Ce type de dystopies a d’abord été imaginé en littérature, dans le genre de la SF : dans les romans Sultana’s dream de Rokeya Hussain (1905), Les hommes protégés de Robert Merle (1975) ou La Question de Seggri de Ursula K. Le Guin (1994), les femmes objectifient les hommes ou les utilisent à des fins reproductives. Au cinéma, c’est la réalisatrice Alice Guy (voir le documentaire Be Natural : The Untold Story of Alice Guy- Blaché de Pamela Green, 2019), qui propose la première fiction de ce genre. Dans Les résultats du féminisme (1906), les hommes s’adonnent à des tâches domestiques, et se font harceler par des femmes qui boivent, fument et forment des boys club.

Ce court-métrage satirique porte en germe les caractéristiques de ce qu’on peut appeler le genre de la dystopie matriarcale, sociétés imaginaires sombres qui reposent sur un rapport de sexisme inversé. Il éclaire sur la condition des femmes, notamment lors de scènes de harcèlement de rue sur des bancs publics. 

Pour créer un contraste saisissant et provoquer le rire, Alice Guy accentue les stéréotypes de genre. Le recours à la comédie est fréquent sur ce type d’œuvre, comme s’il fallait absolument faire passer la pilule par une bonne dose d’humour. Ou qu’un récit dans lequel les femmes détiennent le pouvoir prête forcément à sourire. Dans Jacky au royaume des filles (2014), Riad Sattouf met en scène la « République populaire et démocratique de Bubunne », société dictatoriale où les hommes sont socialement infériorisés et portent le voile. Pour créer ce monde imaginaire burlesque, le réalisateur s’est inspiré des cultures musulmanes, occidentales et des systèmes communistes.

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©Pandastorm Pictures

Dans Je ne suis pas un homme facile (Eleonore Pourriat, 2018), Vincent Elbaz incarne un macho des temps modernes plongé dans une société matriarcale où il subit les comportements qu’il infligeait auparavant aux femmes (le kharma !). Cette gentille comédie post Me Too a tout de l’outil pédagogique pour homme contemporain. Damien en passe par la séance d’épilation à la cire forcée, histoire de dénoncer les injonctions esthétiques qui pèsent sur les femmes. Une scène similaire est présente dans la saison 3 de Plan Coeur (2022, Netflix), qui possède aussi son personnage de macho à éduquer, Maxime (Guillaume Labbé). Sur le papier, les intentions sont louables. Mais à l’écran, le recours à une forme de comédie bon enfant a tendance à minimiser la portée du message féministe. Probablement consciente de cet écueil, Ovidie adopte un ton plus réaliste dans sa série et place Romain dans des situations qui ne prêtent pas à rire. Il fait face à une réalisatrice âgée au comportement de prédatrice sexuelle, et subit un viol conjugal.

Récupérations masculinistes et limites narratives 

Chargées politiquement, ces dystopies matriarcales ont tendance à apparaître dans le sillage de nouvelles vagues féministes. Le court-métrage d’Alice Guy a vu le jour au début du 20e siècle, en plein mouvement des suffragettes. Son titre fait expressément référence au féminisme. Il peut être interprété au premier degré, comme un brûlot anti-féministe ou comme une satire qui se moque de ceux qui ont peur du féminisme.

Dans les années 70 et 80, alors que les mouvements de libération sexuelle sont passés par là, la comédie Calmos (Bertrand Blier, 1976) ou le nanar SF Sexmission (1984, Juliusz Machulski) imaginent des hommes persécutés par les femmes. Dans Calmos, Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort n’en peuvent plus des “bonnes femmes”. Ils partent s’installer entre hommes dans un village perdu et redécouvrent les plaisirs de la vie. Son intrigue n’interroge pas la notion de domination masculine, et a même de quoi séduire les masculinistes de tous poils. Les femmes y deviennent de véritables “féminazies”. Pris dans son contexte historique post-deuxième vague, Calmos a des airs de backlash antiféministe.

On atteint les limites d’un genre qui repose par essence sur le patriarcat, l’hétéronormativité et qui a tendance à donner une image faussée des sociétés matriarcales. Et puis qui dit qu’en situation de pouvoir, les femmes l’exerceraient de la même façon que les hommes ? Hormis quelques exceptions, comme le récent roman Le Pouvoir de Naomi Alderman (2016), ces œuvres ont du mal à s’extraire de leurs prémices de départ contraignantes, pour proposer autre chose que de la gender comedy. Alors, le renouveau fictif féministe ne se trouve-t-il pas plutôt du côté des utopies ? Elles ouvrent un champ des possibles créatif excitant et imaginent des récits féminins libérés du système patriarcal.

À lire aussi : Ovidie revient sur l’affaire du « viol au 36 » dans un nouveau documentaire diffusé ce soir


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Les Commentaires

1
Avatar de Sophie L
30 juin 2022 à 22h06
Sophie L
J'aime bien cette idée de carharsis, de réponse à la violence par la violence.
Interroger les hommes comme ça : ça vous ferait quoi, de vous retrouver en position de soumission ?
Le féminisme a plein de cordes à son arc. Choquer l'agresseur en montrant la possibilité, réelle ou imaginée, de notre violence, en fait partie.
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