Mon père, je ne le connais pas très bien. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lui de quand j’étais petite.
Il est drôle, il dit tout le temps « Tout va bien » même quand tout va mal pour lui. Ma sœur, mon frère et moi, il nous a longtemps appelés « ses cadeaux ». À dix ans, tu trouves ça mignon comme surnom.
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Une lettre bouleversante pour la relation père/fille
Et à mes dix-huit ans, tout s’est effondré.
Mes parents m’ont écrit une longue lettre. J’y ai appris que mon père était stérile. Et que nous avions été conçus dans un CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme) grâce à des dons de sperme.
Quand on était petit•es, c’était toujours une blague, genre « Je vais trop te vexer en te disant » :
« T’as été adopté•e de toute façon. On t’a trouvé•e dans une poubelle, nananère ! »
Et puis il y a eu cette lettre. Et une grande remise en question.
Quand j’ai fini de la lire, mon premier réflexe a été de me regarder dans le miroir. Tout mon entourage me répétait depuis toute petite que j’étais le « portrait craché de mon papa ». Les mêmes lunettes que lui, la même couleur de cheveux, le même humour un peu naze…
Et en deux minutes, tout cela s’est effondré. J’ai vu dans le miroir des différences terribles. Je ne me reconnaissais plus du tout, et j’ai eu l’impression d’être une moitié d’être humain. J’ai complètement rejeté mon père.
En France, on ne peut pas retrouver le donneur. C’est pourtant ce que j’ai voulu les premiers temps : connaître mon passé, à tout prix
. Sans but particulier. Je ne voulais pas vraiment connaître mon géniteur, mais je me focalisais sur des détails bizarres comme les maladies génétiques, etc.
Un père courageux
Ensuite, j’ai compris un truc qui semblait évident pour tout le monde : mon père, il était déjà dans ma vie depuis dix-huit ans. Il a été le premier à voir mes yeux s’ouvrir sur le monde, il a voulu me donner le biberon, il m’a accompagnée partout dans toutes mes activités et lubies extra-scolaires.
Ma vision de lui a changé. Pendant toute mon adolescence, j’étais en grand conflit avec mes parents, et nous ne nous parlions presque plus. Surtout avec mon père. Il expliquait ça comme ça :
« Mais toi, t’es comme moi. Tu arrives pas vraiment à relancer les conversations. On dit l’essentiel sans vraiment parler. »
On se passait donc un coup de téléphone de dix minutes de temps en temps. Je crois qu’à cette époque, il m’était indifférent.
Et puis cette lettre m’a fait prendre conscience de son courage. Car du courage, il en faut pour accepter de se faire opérer au cas où ce qui cloche est réparable. Il en faut pour accepter la stérilité. Il en faut pour l’annoncer à la famille. Et – même si beaucoup lui reprochent cela – il en faut une tonne pour élever ses enfants sans leur dire vraiment la vérité.
Il en faut aussi pour écrire :
« J’avais peur que votre regard change et que vous ne m’appeliez jamais papa. »
Et maintenant ?
Aujourd’hui, j’ai vingt-trois ans. Je ne parle toujours pas énormément à mon père, mais on partage des choses, on se conseille mutuellement des livres, on parle de musique.
De mes deux parents, il est le plus calme et celui qui, même si c’est très rare, sait dire quand il est fier de moi. C’est d’ailleurs la seule personne qui me touche et que je crois en entendant ces mots.
Je ne le connais toujours pas très bien. Il continue à dire que tout va bien alors que tout va mal : il porte ma mère à bout de bras, il est un peu un pilier. Et même si aucun de nous deux ne sait relancer une conversation, j’espère pouvoir continuer à apprendre de lui.
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