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On vous explique la sauce entre Sézane et le Mexique, qui veut poursuivre la marque pour racisme

Des autorités mexicaines veulent poursuivre la marque Sézane pour « atteinte à la dignité » d’une femme âgée zapothèque à Oaxaca, traitée comme dans un « safari » d’après un compte Instagram lanceur d’alerte.

Sézane et tremblements : la marque française, bientôt poursuivie par le Mexique pour racisme ?

Le drama international n’aura pas le temps d’avoir lieu pour Sézane. Le 8 janvier 2022, une partie de l’équipe de la marque française a habillée d’un gilet vert de sa propre griffe une femme âgée zapotèque (population indigène du Mexique) de Teotitlán del Valle, un petit village à Oaxaca (capitale de l’État du Mexique) pour la prendre en photo contre 200 pesos (environ 8,63€). Des photos que vous ne verrez sous aucun abribus.

Un pull vert Sézane sur une femme indigène d’Oaxaca insurge le Mexique

Le compte Instagram dédié à la valorisation des savoir-faire textiles locaux @lienzos.extraordinarios s’en est publiquement indigné en publiant une vidéo de la scène, suivie de plusieurs diapositives de textes, avec en légende :

« Si nous ne pouvons pas plagier, utilisons les peuples autochtones comme capital culturel. Les cultures indigènes traitées comme une vitrine dans laquelle vous pouvez piocher et vous nourrir. Sans respect. Aucune éthique. Je ne sais même pas quoi ressentir. Ils ne portent même pas de masque [de protection respiratoire étant donné la pandémie de Covid, ndlr]. »

Dans cette même publication diaporama datée du 8 janvier 2022, @lienzos.extraordinarios déroule ainsi sa réflexion :

« Pourquoi nous sentons-nous mal à l’aise lorsque des marques étrangères se présentent à Oaxaca pour développer leurs créations, leurs campagnes ou leurs collaborations ?

Il ne suffisait pas de dénoncer Isabel Marant ; maintenant c’est la marque française Sézane qui débarque à Oaxaca avec une grosse cuillère. Elle s’empare de la ville, de ses environs et de ses habitants.

Vous ne pouvez ressentir que des frissons lorsque vous regardez cette vidéo. L’équipe de Sézane pensait qu’il serait facile de filmer une femme âgée du marché de Teotitlán Del Valle. Même s’ils avaient convenu avec le canton qu’ils laisseraient les gens tranquilles.

Sézane s’en fichait, et presque comme si la femme était un accessoire, ils ont habillé la femme (le pull qu’elle porte fait partie de leur collection) et l’ont faite danser en lui offrant 200 pesos (environ 10 dollars étatsuniens).

Sera-t-elle présentée comme une inspiration ? Les gens diront-ils qu’ils sont fiers de voir le Mexique représenter une marque internationale ?

ASSEZ. ASSEZ. ASSEZ

Les cultures originelles du Mexique ne sont pas un zoo. Nous ne sommes pas des accessoires. Nous ne sommes pas un catalogue ouvert de designs. NOUS NE SOMMES PAS AU SERVICE DES MARQUES INTERNATIONALES. »

« Atteinte à la dignité des communautés autochtones et renforce les stéréotypes racistes » selon les autorités mexicaines

Environ dix heures après la publication de cette tribune d’indignation relayée sur Instagram, Sézane a officialisé sa volonté d’annuler son projet de campagne publicitaire shootée à Oaxaca (où la femme âgée aurait potentiellement figurée), informe @lienzos.extraordinarios dans un autre post daté du 9 janvier 2022.

Bien que le projet de campagne a été annulé, et ne verra donc jamais le jour, de plus en plus de comptes ont commencé à relayer la scène la plus malaisante de cette histoire : quand l’équipe occidentale de Sézane regarde la femme âgée zapothèque danser. Comme s’il y avait encore besoin de le voir pour le croire que des relents racistes et colonialistes subsistent, en particulier dans ce genre de situation…

Si bien que même les autorités mexicaines se sont saisies de l’affaire (et ce n’est pas la première fois qu’elles demandent des comptes à des puissances de la mode occidentales). L’Instituto Nacional de los Pueblos Indígenas (INPI), organisme gouvernemental de défense des peuples indigènes du Mexique, a tweeté un communiqué officiel le 11 janvier 2022 :

« Le comportement des représentants de la marque porte atteinte à la dignité des communautés autochtones et renforce les stéréotypes racistes […].

“Nous allons ouvrir un dialogue avec les autorités de Teotitlán et les personnes lésées pour entreprendre une action en justice, conformément à la loi. […] Cessez d’exploiter les peuples indigènes comme capital culturel […] Ce ne sont pas des objets de déguisement, mais des citoyens de droit qui possèdent un vaste patrimoine culturel”. »

Morgane Sézalory, fondatrice de Sézane, présente de longues excuses

Face l’indignation croissante et les menaces de poursuites judiciaires, la fondatrice de Sézane, Morgane Sézalory, a présenté ses excuses au nom de la marque, moins de quatre jours après l’éclatement de cette sale histoire.

Bupu Cortés, derrière l’Instagram @lienzos.extraordinarios, a aussitôt relayé sur son compte les excuses de l’entrepreneuse française le 12 janvier :

« Je vous écoute sincèrement et souhaite vous exprimer mes excuses les plus profondes pour mes erreurs de ne pas avoir suffisamment géré la situation afin qu’elle puisse témoigner de tout l’immense respect, admiration et désir éprouvés pour votre communauté locale. Mon nom est Morgane Sézalory, je suis la fondatrice de Sézane.

J’espère que vous pourrez croire que je n’ai jamais souhaité blesser quiconque ou manqué de considération à qui que ce soit. Ma seule intention depuis que j’ai commencé à voyager et créer a toujours été de faire les choses de la façon la plus belle et juste possible, avec tout mon coeur et ma passion. Et de toujours rendre et œuvrer à améliorer les choses par des actions concrètes.

Depuis plus de quinze, quand un endroit du monde inspire mon travail, je souhaite plus que tout exprimer mon admiration pour combien cela a pu me faire grandir, contribuer à mon appréciation de la beauté, et me donner encore plus envie de préserver et soutenir l’artisanat.

Je conçois toujours une collaboration entre ma marque et les communautés locales qui nous accueillent en les soutenant concrètement via Demain, notre programme de charité. C’est quelque chose que j’ai toujours fait, à Taroudant, Marseille, New York, Madrid, Gorée, et partout ailleurs. »

Une partie du message d'excuse de Morgane Sézalory
Une partie du message d’excuse de Morgane Sézalory. © Capture d’écran Instagram.

« Je ne me cherche pas d’excuses, je veux seulement vous expliquer combien je ne voulais pas faire de mal, mais que c’est arrivé en dépit de mes intentions. J’en suis vraiment triste et surtout soucieuse de savoir comment réparer mes erreurs.

Je suis quelqu’un de sensible, avec les pieds sur terre et beaucoup d’amour. J’ai été élevée à ne pas faire de distinction entre les cœurs, vu que mes quatre grands-parents viennent de quatre pays/communautés/milieux différents. »

« J’ai commis une erreur en n’écoutant que mon cœur »

Après ce long laïus, Morgane Sézalory de Sézane en vient enfin aux faits :

« Les photos avec des personnes locales ont été faites pour moi et non pour la marque lors de mon traditionnel repas de dernier jour. Elles n’ont pas été faites à des fins commerciales mais pour partager mon voyage.

Le photoshoot [réalisé pour la vraie campagne] avait déjà été fait contre des murs unis dans des maisons privées et des hôtels, ainsi qu’en pleine nature durant les trois jours précédents.

J’ai rencontré cette belle femme sur mon temps personnel tandis que je me promenais et contemplais sa rue, accompagnée par une fille de la production locale. Le vert de son mur m’a tapé dans l’œil, elle était dans son jardin et m’a vue. On s’est souri, elle m’a invité à rentrer. On a eu une vraie connexion pleine de joie. Il n’était pas question de où nous étions nées, mais d’une rencontre entre deux cœurs. Il avait de la musique chez elle alors nous avons dansé.

C’est vraiment ce que j’ai ressenti. Je suis quelqu’un de très spontanée, alors j’ai demandé si je pourrais revenir deux jours plus tard pour faire de jolies photos, que je pourrais lui donner et aussi ajouter à mon journal. C’est ce qu’on a fait. J’ai encore ressenti cette connexion humaine souriante et je lui ai demandé son consentement pour la prendre en photo.

Je voulais également partager ce souvenir avec mon équipe de design et de production qui n’avait pas pu voyager avec moi. Je voulais partager [à cette femme] mon travail alors qu’elle me partageait son monde.

La production locale m’a aidée à organiser une nouvelle rencontre avec sa fille et on a fait de belles images d’elle, ainsi que d’elle et sa fille.

Désolé pour mon long message mais je souhaite exprimer ma sincérité. Je comprends maintenant que je n’avais pas les connaissances pour agir comme je l’aurais dû. J’ai voulu faire les choses bien mais je dois avouer que je les fais avec mon coeur et que je comptais sur l’équipe de production locale pour m’avertir de ce que je pouvais faire ou non.

Je n’étais pas au courant de la somme d’argent qui a été donnée car c’est l’équipe de production qui s’en est occupée et je pensais qu’elle serait aussi généreuse/juste que moi.

Je vais faire de mon mieux pour concrètement exprimer et montrer tout mon respect. N’hésitez pas à me dire ce que vous pensez et ce que je pourrais faire. Morgane. 

P.S. : J’adorerais vous inviter à Paris pour vous montrer combien mon coeur est mon seul guide, et comment j’essaye chaque jour de faire de mon mieux. Je vous ai vraiment écoutés et comprends que j’ai commis une erreur, mais pas mon équipe et mes partenaires. Je suis là pour écouter, apprendre, et corriger tout ça de tout mon coeur. S’il vous plaît, n’utilisez pas l’arme des réseaux sociaux pour tuer le travail de tant de formidables personnes. J’ai commis une erreur en n’écoutant que mon cœur. »

Les « larmes blanches » de Sézane ne peuvent éteindre le brasier

Malgré tant de pathos, la réponse de @lienzos.extraordinarios est restée formelle mais tout aussi longue :

« Morgane, merci d’avoir écrit. À l’heure actuelle, le contenu de votre message s’apparente à ce qu’on appelle dans mon pays des “larmes blanches”.

Premièrement, je souhaite clarifier que ce n’est pas auprès de moi que vous devez vous excuser mais auprès de cette femme et de la communauté de Teotitlán del Valle et de l’équipe mexicaine de production qui vous soutient. Vous devez des excuses à cette communauté pour avoir empiété sur son espace et sa sécurité (votre équipe ne portait même pas de masques !) comme si de rien n’était. Vous devez aussi des excuses à l’équipe mexicaine pour avoir ignoré ses suggestions et l’avoir ballotée entre la peste et le choléra, puisqu’elle a dû choisir son gagne-pain malgré l’impolitesse de votre équipe de production à chaque lieu visité. À l’instar du vôtre, plein de projets venant des États-Unis et d’Europe sont venus à Oaxaca pour venir « s’inspirer » (un mot qui ne veut plus rien dire).

Je n’ai aucune raison de douter de ce que vous avancez dans votre message […]. Toujours est-il, Morgane, que votre situation et celle de Teotitlán del Valle sont tellement éloignés que votre message touche à l’impolitesse. En particulier la partie où vous parlez de votre programme de charité. […]

Un programme de charité ? Excusez-moi ? Comment pouvez-vous utiliser les mots “collaboration” et “charité” dans la même phrase en parlant d’une communauté indigène ? […] Nous n’avons pas besoin de votre charité. On a besoin de compensations pour les lieux que vous avez utilisés, que vous payez les personnes instrumentalisés au même tarif que vous payez habituellement vos mannequins, et que vous respectiez les consignes sanitaires. Et surtout, on a besoin que vous cessiez d’extraire du capital culturel de communautés indigènes comme si de rien n’était. »

« Les communautés indigènes du Mexique ne sont pas un safari »

Le diaporama de texte se poursuit pour rappeler combien les communautés locales ont malheureusement l’habitude de voir leurs coutumes traditionnelles pillées, en particulier par la mode qui vient y prendre des photos pour « s’inspirer » (pour ne pas dire plagier) des tissages, motifs, broderies, et associations caractéristiques.

@lienzos.extraordinarios pointe également combien il est déplacé de désigner des personnes comme des « cœurs » et non des êtres humains (« c’est comme si vous cherchiez à effacer toutes disparités, de racisme, de classisme, pour mieux ommettre votre privilège »).

L’activiste avance aussi que des personnes du village se sont plaintes à plusieurs reprises auprès des équipes de Sézane qui ne portaient pas de masque et manquaient de respect. Sans succès. @lienzos.extraordinarios conclut enfin :

« Comment pouvez-vous me demander de ne pas utiliser le pouvoir des réseaux sociaux ? On a enduré des siècles d’extraction de nos terres et de notre culture sans moyen de la dénoncer. Cet âge de la communication ouverte est l’opportunité de réclamer la dignité de nos luttes. […]

Apprécier la beauté n’est pas une raison pour se cacher ou ignorer de tels abus. […] Les communautés indigènes du Mexique ne sont pas des studios ni des boutiques de souvenir où s’émerveiller comme dans un safari. »

Loin d’être close, cette histoire navrante montre combien les dynamiques coloniales qui imprègnent les relations entre pays du Nord et pays du Sud, particulièrement saillantes dans l’industrie de la mode si mondialisée, continuent de peser.

Cela illustre également combien certains réseaux sociaux peuvent servir de contre-pouvoir pour s’exprimer, trouver une caisse de résonance publique, et exiger réparation. Plutôt que de parler de « cancel culture », épouvantail tant agité par l’extrême droite, c’est bel et bien la culture de la responsabilisation qui commence à devenir tendance dans la mode et au-delà.

À lire aussi : C’est l’histoire d’une joaillière qui change le fiel grossophobe d’une journaliste en velours…

Crédit photo de Une : capture d’écran Instagram.


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Les Commentaires

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Avatar de BravoCharlie
14 janvier 2022 à 12h01
BravoCharlie
@Lqool globalement tu peux aller sur le générateur de marque Marqu'Iz (ici) je pense que tu trouveras ton bonheur parmi un ensemble de marques bien bien plus éthiques que Sézane (qui en plus est hors de prix pour une qualité et un processus de fabrication... qui ne le justifient pas, à mon avis)
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