Depuis quelques jours, vous n’êtes pas sans ignorer que la France s’offusque de voir disparaître un de ses plus fameux ambassadeurs aux États-Unis, le bien nommé Pepe Le Pew, icône du charme à la française, personnage bien connu des Looney Tunes.
Pepe le putois, supprimé de Space Jam 2
Pepe le putois, qui en fait est une mouflette (mais ce n’est pas le sujet), ne sera pas dans le film Space Jam 2 qui doit sortir en juillet 2021. La décision de la Warner Bros intervient après la publication d’un blogueur du New York Times tout début mars, montrant à quel point le mammifère coche toutes les cases de la culture du viol :
« 1. il attrape/embrasse une fille/inconnue, de façon répétée, sans son consentement et contre sa volonté. 2. Elle lutte pour s’enfuir, mais il ne la lâche pas. 3. Il ferme la porte pour l’empêcher de s’échapper. »
Et dire qu’on a longtemps montré ça à des enfants sans voir qu’il y avait un petit problème et que ce personnage de dragueur invétéré est en fait… un horrible harceleur.
https://twitter.com/CharlesMBlow/status/1368200161558663168?s=20
Pepe le putois n’a qu’une scène dans le film en live-action qui met en scène le basketteur LeBron James et les Looney Toons. La séquence montrait l’animal flashant sur une femme dans un bar et l’approchant pour l’embrasser sur le bras. La femme le repoussait alors, le giflait et versait son verre sur lui.
Un peu plus tard, Pepe le putois annonçait à Bugs Bunny et au basketteur qu’il a reçu une interdiction d’approcher de la part de Penelope, ce à quoi LeBron James lui répond qu’il n’a pas à attraper un autre Tunes sans son consentement.
Supprimer plutôt que dénoncer le comportement de Pepe le putois
L’échange en question était donc une occasion en or de parler du respect du corps des autres, et de la notion de consentement à hauteur d’enfants. Avec cette scène finalement supprimée, c’est le comportement problématique de Pepe qui disparait tout entier, et en même temps une séquence dans laquelle un personnage féminin se défend légitimement quand un homme la harcèle, ainsi qu’une figure sportive respectée affirmer qu’on ne touche pas une personne sans y être autorisé. Dommage, non ?
Greice Santo est l’actrice qui jouait la cible de Pepe le putois dans cette scène. Elle-même regrette que cette séquence ait disparu de Space Jam 2 et l’a fait savoir par son porte-parole :
« Cette scène coupée, elle n’a plus le pouvoir d’influencer le monde à travers les jeunes générations qui regarderont “Space Jam 2”, de faire savoir aux petites filles et aux petites garçons que le comportement de Pepe est inacceptable. »
Enlever purement et simplement la scène supprime le problème mais aussi la réponse proposée. La production a-t-elle voulu éviter toute forme de message politique, à l’heure où la question des violences sexuelles est incontournable ? A-t-elle décidé qu’il était trop tôt pour l’adresser à des enfants, même dans un but pédagogique, et que Space Jam 2 est avant tout un divertissement ?
Au lieu de supprimer, et si on expliquait ?
L’annonce de l’absence de Pepe aux côtés des autres Looney Tunes dans le nouveau Space Jam a été globalement traitée comme une énième polémique, une du même acabit que celle autour des jouets Patate, désormais dégenrés. À croire que toutes les occasions sont bonnes pour crier à la cancel culture…
Une fois de plus, on passe à côté des questions de fond : comment voir aujourd’hui des dessins animés qui ont longtemps propagés des images stéréotypées des femmes, ont participé à normaliser et romantiser des comportements violents ? Comment les montrer aux enfants sans minorer certains aspects problématiques chez les personnages ou dans leurs actions ?
Chez Disney, on a par exemple opté pour un message pédagogique concernant les œuvres contenant des stéréotypes racistes, notamment les dessins animés Peter Pan ou Dumbo : elles sont désormais accessibles seulement via les profils adultes. Depuis quelques mois, la plateforme a aussi choisi d’informer les spectateurs que les films en questions contiennent « des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes et des cultures ».
Elle ajoute :
« Plutôt que de supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaître son influence néfaste afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, d’engager le dialogue et de bâtir un avenir plus inclusif, tous ensemble. Disney s’engage à créer des histoires sur des thèmes inspirants et ambitieux qui reflètent la formidable diversité de la richesse culturelle et humaine à travers le monde. »
Ce travail de contextualisation et de sensibilisation devrait être aussi possible pour bien d’autres œuvres, pour continuer à les voir, pour continuer à les apprécier, tout en cessant de banaliser les comportements qui s’apparentent à du sexisme.
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