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Société

« Lorsqu’ils apprennent qu’il existe un moyen de se soigner, ils sont très contents » : ces lieux qui réparent les mineurs isolés étrangers

Souvent invisibles ou stigmatisés, les mineurs non-accompagnés peinent à avoir accès aux soins psychologiques. À la Maison de Solenn et au centre MSF de Pantin, des spécialistes sont formés pour les prendre en charge. 

Le grand bâtiment vitré semble tout juste sorti de terre. Flambant neuf. « On a de la chance », lâche Sevan Minassian, pédopsychiatre à la Maison de Solenn – la maison des adolescents de Cochin (AP-HP).

Le bureau de l’accueil est planté au milieu d’une vaste salle lumineuse où la statut imposante d’une vache fait grimacer le spécialiste qui s’engage vers l’escalier menant au sous-sol. Dans une salle d’attente clairsemée, quelques jeunes patientent sans rien dire, parfois escortés d’un adulte.

« Depuis dix ans, on a une consultation spécifique pour les mineurs étrangers. L’idée est de les prendre en charge au plus près de la réalité », raconte à Madmoizelle le jeune médecin, tout en installant quelques chaises pour préparer la prochaine consultation.

Sevan Minassian gère avec Fatima Touhami, psychologue clinicienne, le programme mineurs isolés du service. La plupart du temps, les mineurs non-accompagnés (MNA) – qui sont très majoritairement des garçons – sont envoyés ici par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). En 2020, 23 461 mineurs isolés ont intégré les dispositifs de protection de l’enfance selon un rapport d’information du Sénat rendu en septembre 2021.

Une approche transculturelle pour aider les mineurs étrangers isolés

Quand ils arrivent en France, ces jeunes sont soumis à un processus de tri : une évaluation de minorité chapeautée par le conseil départemental. À Paris, les employés de la Croix-Rouge mènent les entretiens. Les jeunes refusés – qui ont la possibilité de former un recours – sont laissés à la rue, tandis que les autres sont aidés par l’ASE. « Quand nos collègues de l’ASE estiment que certains d’entre eux vont mal, ils viennent nous voir », souligne Sevan Minassian qui compte une quinzaine de patients par mois.

« Nous sommes au carrefour de la question de l’adolescence et des pathologies en lien avec l’expérience de la migration. »

Sevan Minassian, pédopsychiatre à la Maison de Solenn

Lors d’une consultation, le mineur est entouré par un interprète et un éducateur qui le connaît, une présence qui vise à rendre l’échange plus fluide :

« Parfois, on peut être tenté de plaquer nos propres connaissances, c’est pourquoi des erreurs sont possibles. »

Pour les accompagner, le spécialiste préconise une approche transculturelle – soit l’importance de prendre en considération la culture des jeunes :

« Dans notre travail, nous sommes au carrefour de la question de l’adolescence et des pathologies en lien avec l’expérience de la migration. »

Les mineurs non accompagnés – auparavant appelés mineurs isolés étrangers (MIE) – ont longtemps été invisibles et leur accès aux soins reste difficile. La langue, l’isolement, ou encore leur extrême précarité les écartent par définition des dispositifs classiques de prise en charge.

« Les jeunes passent de foyer en foyer. Parfois, ils sont expulsés ou exclus. Il faut instaurer une forme de continuité tout en essayant de s’adapter à la discontinuité », confie Sevan Minassian.

Alors que leur nombre a augmenté, la Maison de Solenn estime qu’il est important de former les autres établissements qui les prennent en charge. Notamment pour éviter certains écueils :

« On peut se retrouver pris par des représentations. Certains spécialistes vont faire raconter aux jeunes leurs parcours en étant fascinés par ce récit… Souvent, cela risque de leur faire du mal. Des réminiscences arrivent et ce n’est pas anodin de raconter des événements traumatiques. » 

Le psychotraumatisme concerne un tiers des jeunes pris en charge à Pantin  

La Maison de Solenn travaille en collaboration avec d’autres structures à l’instar de la maison des adolescents d’Avicennes – qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Un autre lieu fait aussi office de point de chute pour les mineurs refusés par l’ASE et en recours devant le juge des enfants  : le centre d’accueil de jour de Pantin géré par Médecins Sans Frontières.

L’établissement voit le jour en 2017  et propose aux jeunes isolés différents types d’accompagnement : juridique, médical, social et psychologique. Une salle de repos est aussi mise à leur disposition ; ils peuvent y charger leur téléphone et s’y mettre au chaud.

A 9 heures du matin, les premiers mineurs se pointent à l’accueil. L’un d’eux est un habitué et présente directement son petit livret carré qui regroupe la liste de ses rendez-vous. Anorak vert et masque sur le visage, le jeune homme attend une réponse sur sa minorité depuis des semaines.

Sans hésiter, il se dirige directement au premier étage où sont répartis les différents pôles. C’est ici que se trouve le spacieux bureau de la référente santé mentale du centre, Mélanie Kerloc’h.

Mélanie Kerloc'h donne une interview à Médecins sans frontières.
Mélanie Kerloc’h, interviewée par Médecins Sans Frontières

En ce moment, son cabinet tourne à plein régime. Les jeunes qui souhaitent s’entretenir avec elle ou ses trois autres consœurs doivent s’inscrire sur une liste d’attente. 

Entre décembre 2017 et juin 2021, 2 359 MNA ont été inclus au centre d’accueil. « Parmi eux, on s’est entretenus avec 700 jeunes et 400 qui sont devenus nos patients réguliers », affirme Mélanie Kerloc’h, précisant que tous les mineurs isolés ne développent pas de troubles.

Le processus est le suivant : une première séance collective est organisée à l’issue de laquelle les jeunes peuvent s’inscrire pour un entretien individuel. La spécialiste se lève de sa chaise pour s’emparer d’un maigre fascicule coloré. « C’est la bande dessinée utilisée pour leur expliquer notre métier. Souvent, ils ne connaissent pas le rôle des psychologues », rapporte-t-elle.

Sur les 400 patients réguliers, un tiers souffre de psychotraumatisme.

« Cela apparaît lorsque la personne vit un ou plusieurs événements qui la confronte à la question de la mort. Par exemple, on peut englober les violences intra-familiales, la traversée de la Méditerranée… »

Dans la vie post-migratoire, les difficultés persistent. Au total, 50% de ces mineurs souffrent de troubles réactionnels à la précarité, selon le rapport La santé mentale des mineurs non accompagnés – effets des ruptures de la violence et de l’exclusion, rédigé par Médecins Sans Frontières et la Comède publié le 9 novembre.

« Lorsque les jeunes apprennent qu’il existe un moyen de se soigner, ils sont très contents. Cela fait des mois qu’ils sont hantés. »

Mélanie Kerloc’h, RÉFÉRENTE SANTÉ MENTALE DU CENTRE de Pantin

Les jeunes reçus au centre de Pantin vivent très souvent dans la rue – une errance qui peut être entrecoupée de quelques nuits à l’hôtel pour les plus chanceux. Chez certains, la violence de leur accueil peut constituer une nouvelle source d’anxiété. « 95 % des enfants qu’on suit découvrent la rue en France », indique Mélanie Kerloc’h.

A cela s’ajoute le parcours administratif chronophage mal compris par ses bénéficiaires. La procédure peut durer entre un mois et vingt-deux mois – un temps pendant lequel le jeune n’est pas mis à l’abri. Une précarité qui n’entrave pas le bon déroulé des soins qui restent précieux pour les mineurs, conclut la psychologue :

« Lorsque les jeunes apprennent qu’il existe un moyen de se soigner, ils sont très contents. Cela fait des mois qu’ils sont hantés, leur âme est distordue. »

Toutes les actions de Médecins Sans Frontières en France

À lire aussi : « On ne dort pas dans la rue, mais ici rien n’est facile » : le quotidien de Sarah, sans-papiers, hébergée par le Samusocial de Paris

Crédit de Une : MSF, Dailymotion


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Les Commentaires

2
Avatar de eLLuLa
7 décembre 2021 à 10h12
eLLuLa
J'aurais aussi trouvé intéressant d'avoir plus d'informations sur les troubles psychologiques qu'ils développent, la manière dont ils sont suivis et les résultats que cela peut éventuellement donner.
@Ariel du Pays Imaginaire Après recherche (très rapide je l'admets) il semble qu'il y ait désormais à peu près autant de femmes qui d'hommes qui migrent du fait d'un processus d'individualisation, mais les femmes sont plus souvent protégées que les hommes (demandes de visas et de demandes d'asiles plus nombreuses). Chez les mineurs, les filles sont apparemment ultra-minoritaires (5% recensées en 2018 par le Conseil général des affaires sociales), mais on n'est pas sûr que certaines ne soient pas très rapidement et malheureusement intégrées dans des réseaux de traite.
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