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Le délit de maternité, ou quand les entreprises nous font payer nos grossesses

La grossesse et la vie professionnelle sont malheureusement souvent mal appréhendées, voire carrément bafouée par les entreprises.

Il y a 6 ans, j’ai annoncé ma première grossesse à ma supérieure. Notre relation professionnelle, qui était très bonne jusque-là, a tout de suite viré au cauchemar : critiques incessantes de mon travail, humiliation devant mes collègues, coups de pression par mail et téléphone, non-respect de mon arrêt de travail… Il m’a fallu du temps pour comprendre que, comme 1 femme sur 4, j’étais victime de discrimination ou harcèlement au travail, en raison de ma maternité[1]. Pourquoi ce schéma destructeur est-il aussi fréquent ? Comment agir lorsque l’on en est victime ?

Qu’est-ce que le délit de maternité ?

Le délit de maternité, c’est l’audace de vouloir devenir mère alors qu’une femme devrait bien évidemment dédier sa vie à son travail ! C’est en tout cas, peu ou prou, ce que certains managers semblent penser. Refus d’embauche d’une femme enceinte – voire même d’une femme susceptible de le devenir –, harcèlement pendant la grossesse, mise au placard au retour de congé maternité, pression sur une personne en parcours PMA, le délit de maternité peut prendre plusieurs formes.

Laura a subi du harcèlement de la part de son employeur, pendant sa troisième grossesse. Déjà habitué à jouer avec le droit du travail, son supérieur a passé un nouveau cap après l’annonce de sa grossesse.

« Je lui ai demandé si je pouvais bénéficier d’un aménagement du temps de travail, il a refusé et a, au contraire, modifié mes horaires pour me faire terminer encore plus tard, en arguant « Ici c’est moi le chef, c’est moi qui décide », ce qui m’empêche de voir mes enfants avant leur coucher. Parmi d’autres choses, il s’amuse aussi à me demander de venir le voir à l’autre bout de l’entreprise pour me dire ensuite « ah ben trop tard ». J’étais épuisée et à bout nerveusement après des mois de ce traitement, et depuis que je suis en arrêt de travail, il me reproche de causer du tort à l’entreprise, et me prête déjà l’intention de ne pas revenir après mon congé maternité. »

Roxanne, vendeuse en magasin, a, elle, subi des difficultés à son retour de congé maternité, ce qui l’a menée en dépression. Elle avait prévenu en amont sa supérieure qu’elle souhaitait prendre un congé parental partiel.

« Peu avant mon congé maternité je lui en ai reparlé pour connaître mon planning de reprise et ainsi pouvoir chercher une nounou avec qui ces horaires colleraient. Elle m’a dit qu’elle n’en savait rien, ni même dans quelle boutique je travaillerais, mais qu’elle me tiendrait au courant avant mon accouchement. Sans nouvelles, je la relance un mois après la naissance. Elle m’annonce alors que je boucherai les trous dans plusieurs magasins, qu’il me sera impossible de connaître mes horaires plus d’une semaine à l’avance maximum, et que mes jours off changeront tout le temps. La nounou que j’avais trouvé a évidemment refusé ces conditions. J’ai proposé à ma boss de revenir à temps plein pour avoir un planning fixe, mais elle est restée sur cette idée de planning bouche-trou imprévisible. Sans mode de garde possible, j’ai été forcée de prendre un congé parental total, et mon médecin m’a mise sous anti-dépresseurs, cette situation m’a causé beaucoup trop d’anxiété. »

Pourquoi y a-t-il autant de cas de harcèlement et de discrimination ?

Dans notre société où le travail tient une place de choix, il n’est pas étonnant de voir de telles dérives arriver si fréquemment. Les femmes enceintes sont théoriquement protégées par le droit du travail français, mais dans les faits cela ne permet pas suffisamment de prévenir les discriminations. 

1 mère sur 4 subit une discrimination ou du harcèlement au travail, en lien avec sa maternité. Ce mécanisme est ultra-fréquent : l’employeur se sent trahi par son employée qui s’absentera pendant plusieurs mois, et ressent le besoin, conscient ou inconscient, de la punir pour cette absence à venir.

Pourtant, la société se charge déjà de punir les mères qui travaillent : selon la sociologue américaine Michelle Budig, le salaire d’un homme augmente en moyenne de 6 % quand il devient père, tandis qu’une femme perd 4 % de ses revenus à chaque enfant.

Non contente de perdre en revenu et en avancement dans sa carrière, la mère doit également subir, dans certains cas, des conditions de travail dégradées, des responsabilités qu’on lui retire, ou une pression amplifiée.

L’employeur craint également l’après : les jours enfants malade, le refus d’assister à des réunions à 18h, les mercredis chômés. Pourtant ces enfants ont également souvent un deuxième parent. Vivement le jour où tous les parents seront traités de la même façon par leur employeur, car ils seront tous autant susceptibles de prendre, indistinctement de leur sexe, un congé parental, un temps partiel ou des jours enfants malades.

À lire aussi : J’ai fait un déni de grossesse pendant mes études, et aujourd’hui tout va bien

Que faire si cela m’arrive ?

La femme enceinte a souvent une certaine vulnérabilité mentale liée à la grossesse puis au post-partum, et n’a pas toujours l’énergie et le recul nécessaires pour se défendre. Pourtant, cette situation lui vole des instants de grossesse, fait chuter son estime de soi, sa confiance en ses capacités professionnelles, et aggrave le risque de dépression du post-partum ou d’anxiété du post-partum. Ces cas répétés de discrimination alimentent également la défiance que les femmes peuvent avoir envers leur hiérarchie.

Pour rappel, les salariées enceintes – et les salariées ayant déclaré bénéficier d’un traitement de procréation médicalement assistée –, sont protégées du licenciement, sauf faute grave ou raison économique. Selon les professions, cette protection court jusqu’à 4 à 10 semaines après la fin du congé maternité.

Si cela vous arrive, vous pouvez saisir le Défenseur des droits, qui mènera une enquête. Dans les 5 ans suivant la discrimination, vous pouvez également saisir les prud’hommes, et porter plainte dans les 6 ans. Pensez à conserver toutes les preuves écrites de la discrimination que vous subissez : mails, SMS, historique d’appels, témoignages écrits de collègues.

Vous pouvez également vous rapprocher du CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) de votre département pour solliciter des conseils gratuits de juristes. Et vous avez la possibilité de solliciter un rendez-vous auprès de la médecine du travail, dont le rôle est de veiller à votre bien-être au travail et à votre état de santé.

Enfin, pensez à préserver votre santé mentale. Ce qui vous arrive n’est pas normal, et ce n’est pas de votre faute, vous êtes légitime à vous préserver, vous et votre bébé. Un accompagnement psychologique est souvent souhaité dans ce genre de situations. La médecine du travail a d’ailleurs un psychologue du travail dans ses locaux.

[1] Selon un sondage CSA pour la Halde mené en 2010.


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Les Commentaires

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Avatar de Banane Pouet
9 août 2022 à 10h08
Banane Pouet
@Banane Pouet Je pense que l'intérêt c'est de les pousser vers la sortie, c'est-à-dire de les amener à démissionner d'elles-mêmes avec toutes les pratiques citées dans l'article (mise au placard, etc) vu que ça peut être compliqué de renvoyer une femme qui vient d'avoir un enfant.
Sûrement que les entreprises en question espèrent embaucher à la place une femme qui n'a pas d'enfants, ou un homme (avec ou sans enfants, parce que c'est bien connu un homme qui a des enfants ça n'a pas d'impact sur sa vie unno: ça marche que pour les femmes apparemment)
Bref c'est un cycle (merdique) sans fin
Oui ça doit être ça mais ça reste quand même une mauvaise stratégie à mon avis, ou alors ça dépend des secteurs. Il y a beaucoup d‘entreprises en ce moment qui ont du mal à recruter. Si en plus il faut que ce soit une femme sans enfant ou un homme. Sachant qu‘un nouvel employé doit aussi être formé avant d‘être vraiment opérationel. Au final l‘entreprise perd beaucoup de temps pour rien.
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