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Santé mentale

Je me suis forcée à aimer les jeux de guerre, pour prouver… quoi, au juste ?

Le jour où on a dit à cette passionnée de jeux de société que certains titres n’étaient « pas pour les filles », elle a décidé de faire mentir le cliché. Quitte à se sacrifier.

Le 4 août 2021

« Non mais… C’est pas pour les filles ! »

Cette phrase, c’est celle de garçons que je trouvais pourtant sympas et qui lisaient les mêmes bouquins que moi. Ils l’ont prononcée quand j’avais douze ans ; j’avais demandé, sans trop me poser de question, si je pouvais me joindre à leurs parties de Warhammer. Je ne pratiquais pas le jeu mais cette histoire de bataille nains contre hommes-lézards avait l’air indubitablement cool. (Faut-il le préciser ? J’étais déjà en route pour devenir la geek que je suis aujourd’hui.)

Sauf que, comme pas mal de petites phrases qui n’auraient pas dû avoir d’importance, celle-ci s’est imprimée à l’arrière de mon crâne et a agi comme un petit néon. Du coup, pendant plusieurs années, j’ai mis un point d’honneur à jouer à tout. Même à des jeux que je n’aimais pas.

Un petit tour chez les « poilus »

Le milieu du jeu de société n’est pas l’un des plus sexistes que l’on puisse imaginer… mais il est loin de ne pas l’être du tout. Dans les illustrations, dans les conversations, la sexualisation des femmes a encore de beaux jours devant elle, entre autres stéréotypes.

Je me suis par exemple retrouvée embarquée dans des débats du genre « Il n’y a pas de bon auteur de fantasy qui soit une femme, elles gâchent tout avec des histoires de sentiments ». Et j’ai découvert que les jeux de société complexes, on les appelle « velus » : des trucs de « vrais poilus ».

Croyez-moi, ça n’a rien à voir avec les vétérans.

Une idée en particulier est encore malheureusement répandue dans le milieu du jeu de plateau : les femmes aimeraient les petits jeux simples et mignons, s’il y a une figurine d’animal kawaii on peut leur vendre n’importe quoi ! Les expériences complexes, qui demandent de la stratégie par exemple, ce n’est pas censé être leur truc.

À l’époque, les forums étaient pleins de threads demandant « Quels jeux pas trop agressifs pour convaincre ma copine de jouer ? ». Et moi, pour contrer cette image, je me devais de pratiquer tout ce qu’on me proposait surtout si c’était compliqué, surtout si c’était sanglant.

Petit souci cependant. Comme j’ai eu l’occasion de le découvrir entre mes douze ans et aujourd’hui, les jeux d’affrontement direct… me défrisent. Se taper sur la tronche, le plaisir de dessouder les unités adverses, que ce soit à coup d’arc elfique ou de fusil d’assaut, pour moi ce n’est ni plaisir d’offrir, ni joie de recevoir.

J’aime les jeux coopératifs (qui malheureusement font appel aux fameuses « qualités féminines » comme nous les vante le CAC40) ou les mécaniques de gestion avec des tonnes de ressources où l’on se bloque de façon feutrée. Pas moins de neurones engagés, donc !

Et pourtant, j’avais peur de ce qu’on pouvait penser de moi si j’assumais de ne pas aimer les jeux de guerre. Pour devenir cette « bonne féministe » que je rêvais d’être, il fallait que je puisse démontrer à ces messieurs qu’une femme pouvait leur mettre la pâtée à n’importe quoi.

La défense du genre

Une des hypothèses qui explique la vocalisation du sexisme paternalisant dans les milieux ludiques est celle exposée dans la thèse de Jessica Benonie-Soler sur les jeux vidéo : la chercheuse estime que le sentiment d’avoir été discriminé, notamment étant jeune, en tant que « geek » peut venir à l’encontre de la prise de conscience d’autres oppressions.

J’irai un cran plus loin : cette survirilisation, notamment par le sexisme, peut être un mécanisme de défense par rapport à un stéréotype dévirilisé du joueur.

Le cliché du groupe de rôlistes gringalets pratiquant Donjons et Dragons au lieu de faire du sport, et donc renonçant ainsi à leur potentiel de séduction, nous est encore souvent renvoyé (pas merci, The Big Bang Theory). Par ailleurs, l’idée qu’il existe des jeux complexes s’adressant aux adultes n’est pas évidente à faire exister notamment dans les médias généralistes.

Question de défense de l’image des geeks, donc, d’insister sur le fait que « les vrais » sont ceux qui aiment les jeux de stratégie, lesquels sollicitent des caractéristiques socialement perçues comme masculines.

Évidemment, ça n’excuse pas qu’on puisse m’accueillir d’un « À poil ! » dans le milieu professionnel ludique. Mais ça permet de comprendre un peu ce qu’il se passe dans la tête des joueurs… comme des joueuses : sous cet angle, je ne faisais au final pas beaucoup mieux, en m’attachant à ce que je percevais comme la défense de mon genre, plutôt que d’assumer mes goûts en tant qu’individu.

Pas mon genre ?

Dans ma tête, aimer les jeux de guerre, c’était vraiment une question féministe. Je devais démontrer par l’exemple que les femmes ne répondaient pas à l’image qu’on pouvait en avoir, m’opposer au stéréotype afin de permettre qu’il s’affadisse. Ne pas déparer, ne pas faillir, jusqu’à ce que « C’est pas pour les filles » ne puisse plus être prononcé.

Que je le fasse dans l’inconfort de passer des heures sur des jeux que je n’aimais pas était peut-être la cerise sur le gâteau de « souffrir pour la cause ». Je l’admets, ce n’était pas bien malin…

En plus, j’ai fini par me demander si mon but dans cette histoire n’était pas complètement autre chose, de bien moins glorieux. Et si ce que je cherchais à faire, avant tout, c’était ne pas « avoir l’air d’une fille » ? De me détacher de mon genre en laissant vivants tous les clichés sur « les autres filles » ?

Un peu comme si je riais aux blagues sexistes pour faire partie d’un groupe, en confortant ses membres dans l’idée que cet humour ne pose pas de problèmes — en l’occurrence, en laissant persister l’idée que les « vrais joueurs » aiment les gros jeux et la castagne.

Mais ce n’est pas à moi (ni à vous, du coup !) de défendre l’honneur « des femmes », comme si une telle masse uniforme existait. Se forcer à être en opposition à un stéréotype revient à lui donner de la force en acceptant d’être toujours définie par rapport à lui.

Du coup, il y a aussi peu de raisons de commander une bière si vous avez envie d’un cocktail, quitte à devoir jeter un regard méprisant à qui vous dira que c’est bien une boisson de nana, que de commander un cocktail si vous avez envie d’une bière sous prétexte que ça fait « mauvais genre ».

Si je peux me permettre le conseil que j’aurais aimé recevoir : assumez vos goûts, assumez qui vous êtes, et surtout lâchez-vous la grappe au quotidien : conservez des forces pour le combat politique du féminisme.

À lire aussi : Les jeux de société racontés par Léa, de l’association « Terre de jeu »

Crédit photo : Jack B / Unsplash

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Les Commentaires

13
Avatar de adita
8 août 2021 à 00h08
adita
On pardonne à la fille, au moins on ne lui dit pas qu'elle est nulle ; finalement c'est un cliché sexiste plutôt gentil. Dire de quelqu'un qu'il est nul, "sans l'excuse de son sexe" est tout aussi dévalorisant. Une fille nulle en math ira facilement en littéraire ou en commercial, un garçon nul en math est un cancre et devrait se réorienter vers une filière technique bien moins valorisante dans l'imaginaire collectif. Je balance des clichés et des généralités que je ne partage pas, hein.
Mais pour le coup, dans les attentes scolaires, les garçons sont pas mieux lotis que les filles.

Je suis absolument pas d'accord avec ton commentaire, déjà on ne pardonne absolument pas aux filles, on a même pas le droit d'être moyennes.
Et c'est absolument pas un cliché sexiste "gentil" que de penser que les femmes sont nuls en maths/science
C'est un cliché sexiste hyper devalorisant qui fait que quoi qu'on fasse y'aura toujours quelqu'un qui cherchera la petites bêtes dans nos résultats scolaires pour se prouver que ses clichés de merde sont vrais + c'est un cliché qui éloignent les filles des études scientifiques et même qui ne leur donne pas l'intérêt puisque de facto "elles seront nulles".
Quand on fait des études dites "de garçons" où y'a énormément de mecs on a pas le droit d'être juste moyenne (comme la majorité des gens) déjà parce que à la moindre mauvaise note y'a des chances qu'on se fasse descendre parce que de toute façon c'était évident vu qu'on est une meuf et que "les meufs ça sait pas coder" (Déjà entendu :lol et en plus on représente par là tout notre genre donc pas le droit à l'erreur sinon c'est tout notre genre qui prends. Par contre bizarrement quand on est bonnes on est des exceptions
Alors on va me dire oui mais c'est pas tout les mecs qui pensent comme ça oui sauf que sur des promo avec un grand nombre de mecs et peu de meufs y'a des grandes chances que y'en ai quelques uns qui fassent ce genre de remarques, et ça peut aller jusqu'au harcèlement (et que se faire dévaloriser constamment c'est pas ce qui aide à avoir une scolarité sereine et ni quand on bosse), et avec peu de meufs dans les promotions y'a de grandes chances que ça tombe sur notre pomme.
Et c'est pas forcément mieux dans le monde du travail (pas du tout même).
Édit: je viens de voir que tu te genres au masculin du coup ton commentaire est beaucoup moins "étonnant" si tu es un homme cis mais je le trouve tellement triste (et complètement déconnecté surtout).
5
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