Quand j’étais petite, ma maman était malade. Je vivais avec elle depuis sa séparation d’avec mon père, mais régulièrement, je devais aller chez mes grands-parents parce qu’elle n’était pas en capacité de s’occuper de moi. Mon père, lui, était souvent en déplacement à cause de son métier et donc moins présent dans ma vie.
Très tôt, on m’a dit « mûre pour mon âge », « responsable », « sérieuse ». Tous ces mots qui veulent aussi dire « triste » sans qu’on ose vraiment le dire à une petite fille.
Malgré tout il y avait de beaux moments de joie, des souvenirs merveilleux. J’ai donc vécu une enfance en demi-teinte, avec quelques tâches de belles couleurs vives.
Et puis un jour, Maman est morte
Et puis, un jour, Maman est morte. J’avais onze ans, presque douze, et je me suis sentie terriblement triste. Et soulagée. Une période sombre s’achevait, une autre commençait.
L’adolescence en deuil, ça n’a pas été drôle. Mais grâce à quelques personnes extraordinaires, à des intérêts pour le chant, la lecture, et quelques autres trucs, j’ai réussi à m’en tirer. Avec des failles, mais qui n’en a pas ? J’ai même finalement assez bien vécu mon deuil.
J’avais décidé presque tout de suite que pleurer à chaque fois que quelqu’un dirait « maman » cela ne serait pas vivable. J’en ai fait une blague, pour ne pas devenir « la pauvre petite qui a perdu sa maman quand elle était enfant », et je me suis construite autour de ce vide en en parlant finalement très peu.
Les années ont passé. Pour les dix ans de son décès, j’en avais 22. Encore en plein dans les études, à jongler avec un petit boulot, et en train d’essayer de construire un avenir qui ne se casserait pas trop la gueule. D’aller bien, quoi. Je n’y ai pas pensé plus que ça. C’était une vieille histoire et je me souvenais du bon. Dorénavant, ma famille, ce serait la mienne !
Aujourd’hui, ça fait quinze ans que ma mère est morte
Quinze ans après sa mort, ma vie est différente. Je me sens stable, aimée… Si réparée est un bien grand mot, je crois que je ne suis plus une petite fille triste. Il y a des hauts et des bas, je souffre toujours un peu, mais ma vie est bien lancée. J’ai une carrière, un amoureux bien chouette, des amis, de la joie. Aujourd’hui, je vais mieux.
Alors quelle ne fut pas ma surprise quand je me suis pris un revers de deuil en plein dans la figure ! Un matin, je me suis effondrée.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi si fort ? J’ai écrit des pages et des pages pour comprendre les raisons d’un tel tsunami d’émotions. Et puis j’ai compris. Je ne suis plus l’enfant qu’elle a connue. Elle ne connaîtra jamais la personne qu’elle a mise au monde. Est-ce qu’elle serait fière ? Est-ce qu’elle serait triste ? Ces questions n’ont pas de sens mais elles m’ont hantée pendant des jours.
Quinze ans, c’est mon tournant. Je ne suis plus en train de me construire : je suis bien plus sûre de moi qu’il y a quelques années. Je sais qui je suis, ce que je veux, et je n’ai plus peur de tout faire pour l’avoir. Je ne suis plus une petite fille triste. Je ne m’excuse plus d’exister. Je ne suis plus la personne qu’elle a laissée derrière elle, et l’avenir sera différent maintenant.
Ma mère ne connaîtra pas mes enfants
C’est le deuxième tournant pour moi : je ne suis pas seulement adulte, je suis aussi prête à être maman. Cette année, j’ai atteint l’âge où elle m’a eu. J’imagine que ça participe du choc ? Je veux des enfants. Pas dans un mois, mais peut être dans un an ou deux.
Je me prépare doucement à être mère à mon tour, et je me familiarise avec les réponses que je n’aurai pas. « C’était comment ta grossesse ? », « Tu voulais combien d’enfants ? », « Ca t’a fait mal ? Et l’accouchement ? », « J’ai fait mes nuits quand ? », « Tu voulais me transmettre quoi ? ». Une autre forme de deuil que je n’avais pas anticipée. C’est doux et c’est dur. Je pensais que tout ça était derrière moi. Mes enfants, elle ne les verra pas non plus.
Il y a un troisième tournant, celui de l’âge. Dans dix ans, j’aurai le sien. Son dernier. C’est fou : c’est demain ! Je ne lui aurai pas simplement survécu, je l’aurai dépassée. Maintenant que je suis là, je ne peux pas m’empêcher de me projeter. Je me demande à la fois qui elle était à mon âge et qui je serai au sien. La claque.
L’amour pour soigner le deuil
Il y a aussi des points plus délicats : quinze ans de deuil, c’est une part de détachement. Les étapes de la mémoire, quand on a perdu quelqu’un d’aussi proche sont étranges : d’abord on se souvient des moments durs, et puis les beaux moments ressortent. Je pensais que ça resterait comme ça, mais voilà : ça change.
Aujourd’hui ça fait quinze ans, et je me sens très proche et très loin d’elle à la fois. Le manque a disparu, je ne pense plus à elle tous les jours, mais surtout je fais la part des choses dans mes souvenirs. Je me souviens du bon et du mauvais, sans jugement.
Je pensais que ça me permettrait d’atteindre une forme de paix, mais en définitive, quand je fais le bilan, je réalise que mon enfance n’était pas heureuse. Quelle catastrophe personnelle de pouvoir arriver froidement à la conclusion que ma vie est plus facile depuis qu’elle est partie ! Que je ne serais sans doute pas là où je suis si elle vivait encore. Comment guérir du tourment de savoir que son parent aurait été un poids s’il était toujours là ?
La seule réponse que je trouve aujourd’hui, quinze ans plus tard, c’est qu’on se soigne par l’amour. Celui qu’on reçoit des gens qui sont là aujourd’hui, et celui qu’on donne à ceux qui comptent toujours. Celui que je décide de créer pour les enfants que je n’ai pas encore, et qui grandiront sans grand-mère. Celui que je choisi de cultiver pour lutter contre la tristesse d’être bientôt la seule à me souvenir d’un moment où elle était là.
Ce témoignage t’a interpellé·e ? Tu as dû toi aussi faire trop tôt le deuil d’un parent ? Viens en parler dans les commentaires.
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