Écoutez ce texte en audio, lu par Dorothée :
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— Publié initialement le 16 octobre 2014
On pourrait dire que j’ai la belle vie. Je suis étudiante, dans une filière artistique. Mes parents ne s’y sont pas opposés. Ils m’ont même beaucoup soutenue, et encouragée. Je sais que de ce côté-là, j’ai vraiment de la chance.
Mais voilà. Cela ne veut pas dire que les choses sont faciles.
Un emploi du temps saturé, et la perte de foi en l’humanité
Avoir 20h de cours par semaine, plus 4h de transport quotidien en tout, cela fait 40 heures par semaine. Plus beaucoup de devoirs, assez pour ne pouvoir dormir que trois heures par nuit…
Oui, ce sont des sacrifices, et bien évidemment que je les ai voulus et acceptés. Mais il y a une limite tout de même.
J’ai fait cela pendant deux ans. Cette année est la dernière, et les choses s’accélèrent. J’ai encore plus de boulot, à rendre encore plus vite.
Certains dans la classe ont été très vite largués mais je tenais bon, puisque j’avais réussi à trouver un logement étudiant à vingt minutes de l’école, et que cela avait changé mon quotidien.
Jusque-là, tout allait bien pour moi.
Vous vous en doutez, ça n’a pas duré. Nous avions demandé une aide financière, puisque je suis issue d’une humble famille de la classe moyenne, et que mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir un loyer à 500€ par mois (dire que pour un logement sur Paris ce n’est pas si cher que ça…).
Après cette demande, un courrier est arrivé, à l’adresse de cette résidence universitaire. Un courrier favorable. YOUPI ! Tout le monde était heureux, j’allais pouvoir être diplômée cette année !
Mais quelques jours plus tard, j’ai appris que ce papier était une erreur… Ça a été une grosse déception ; en réalité, je n’avais le droit qu’à la moitié de ce qui m’était annoncé dans le courrier…
Et là, c’était le drame. Je ne pouvais pas rester dans cette résidence, trop chère pour nous. Et je ne pouvais pas travailler à coté, sinon quand pourrais-je dormir ? Dans le train ? Alors que l’on est serrés comme des sardines ?
Non, bien sûr. Quiconque usant du RER le matin comprendra qu’il est impossible de dormir aux heures de pointes…
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Une inconnue solidaire, et ma foi en l’humanité
Et donc j’en viens à vous, madame.
Vous, qui ne connaissiez rien de tout cela. Vous qui étiez juste en face de moi dans le RER, ce vendredi-là, le 3 octobre vers 11h, et qui m’avez vu pleurer.
Chers lecteur-trice-s, vous trouverez peut-être que le sujet est dérisoire. Plein de gens ont des problèmes probablement plus graves.
Mais est-ce que l’on doit forcément penser que ces jeunes pleins de rêves, là, qui font des études bizarres et pas banales, qui veulent vivre de leur passion, de leur vocation, qui ne souhaitent aucunement rentrer dans un moule prédéfini, qui ne vont pas à la fac mais qui font d’autres cursus…
Doit-on les juger pour leurs rêves ? Et dire que les briser « ce n’est pas si grave » ? Ou alors leur demander de faire « un vrai métier » à côté ?
Car oui, mon rêve à moi, c’est d’être dans l’image. Tout ce qui nous entoure en fait.
Ce sont les livres scolaires de vos enfants, les livres biologiques, avec les différentes espèces d’oiseaux, de champignons ou encore de poissons. Tous ces livres jeunesses, avec des images, qu’on raconte aux enfants avant d’aller dormir.
Ce sont les affiches de cinéma, les films d’animations de notre enfance, et de celles des enfants ; les pubs qui vous font découvrir de nouveaux produits, ou celles qui vous informent, vous sensibilisent, qui peuvent vous sauver la vie. Ce sont tous les cartons d’invitation, de mariage, d’entreprise. Vos cartes de visite. Et tout le reste !
Tout ça, c’est ce que j’aimerais faire dans quelques années.
Et vous, madame du RER B, vous ne saviez rien de tout cela. Vous avez seulement vu une jeune fille d’environ 20 ans, peut-être un peu moins, pleurer. En silence.
Et la seule chose que vous avez faite, madame du RER B, c’est de lui tendre un mouchoir. Un mouchoir vert, parfumé à l’eucalyptus.
Je déteste l’odeur de ces mouchoirs, mais le vôtre était particulier. Il avait l’odeur de la bonté humaine. De la gentillesse incarnée.
Vous, madame du RER B, vous me l’avez tendu en souriant. Peut-être que vous ne vous en souvenez même plus.
Et ça change toute ma foi en l’humanité
Mais moi, après être sortie du RER B le vendredi 3 octobre à 11h05, je suis partie à l’école, et j’ai travaillé. Normalement. Comme si de rien n’était. Parce que j’avais votre mouchoir à l’eucalyptus.
Je crois que sans vous je ne serais pas allée à l’école. J’aurais abandonné. Sans vous, tous les sacrifices de mes parents n’auraient servi à rien.
Alors vous, madame du RER B de vendredi 3 à 11h, je vous dis merci. Mille fois merci. Vous étiez là juste au moment où j’en avais besoin. Vous, et votre mouchoir vert.
Vous avez fait plus que donner un mouchoir ; vous m’avez « juste » redonné espoir en quelque chose que je pensais perdu de nos jours : la bonté humaine. Et désintéressée.
Jamais un si « petit» geste n’a eu autant d’effets sur moi. Grâce à vous, madame du RER B de vendredi 3 à 11h, je vais me battre pour terminer ces études et réussir là où je me suis engagée. Et ce avec brio.
Cela ne sera pas facile : je vais devoir trouver un moyen de gagner un peu d’argent, et mes parents vont faire un emprunt. Mais je vais m’accrocher.
Et le jour où je réussirai, madame du RER B de vendredi 3 à 11h, je penserai à vous.
Merci.
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