— Initialement publié le 21 juillet 2015
Interviewée par le quotidien espagnol El Pais, la musicienne, actrice et mannequin Lou Doillon s’est dite « scandalisée » par l’attitude de personnalités telles que Nicki Minaj, Beyoncé ou Kim Kardashian.
Celle qui se qualifie de « féministe engagée » affirme avoir peur de perdre les droits que les femmes ont mis tant de temps à acquérir à cause du comportement supposément « inapproprié » de certaines femmes célèbres :
« Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string. »
Elle accuse ainsi la chanteuse Beyoncé de véhiculer une mauvaise image de la femme :
« Quand je vois Beyoncé chanter nue sous la douche en suppliant son copain de la prendre, je me dis : « On assiste à une catastrophe ». Et en plus, on me dit que je n’ai rien compris, que c’est vraiment une féministe parce que dans ses concerts, un écran énorme le dit. Mais c’est dangereux de croire que c’est cool. »
Lou Doillon assimile carrément le comportement de ces femmes qui se revendiquent comme féministes au syndrome de Stockholm, en expliquant que comme plus personne ne traite les femmes de « chiennes », nous nous appellerions comme ça entre nous…
« Quand je m’affirme, je suis une connasse. Quand un homme s’affirme, c’est le patron. »
L’artiste s’attribue la palme de la « bonne engagée » et accuse certaines femmes de ne pas être de « vraies féministes » même si elles affirment le contraire.
Lou Doillon en est sûre : il n’y a qu’une manière de se défaire du joug masculin et elle possède le mode d’emploi de l’émancipation féminine… au contraire de ces femmes si vulgaires et soumises !
Nicki Minaj, Beyoncé et Kim Kardashian desservent-elles vraiment la « cause du féminisme » ? Voyons voir.
S’il existe un « bon féminisme », ça n’est sûrement pas celui de Lou Doillon
De nombreuses personnes, tout comme Lou Doillon, sont convaincues que des femmes comme Nicki Minaj ou Beyoncé sont réduites à n’être que des objets sexuels assujettis au pouvoir masculin.
À plusieurs reprises, nous avons traité, ici, de la manière dont certains individus se disent scandalisés par l’attitude de femmes qui ne seraient pas un « bon exemple pour nos enfants » ou qui ne véhiculeraient pas de « bonnes » valeurs.
À lire aussi : Lily Allen « déteste le féminisme »… et elle a tort
En réalité, le féminisme devrait se traduire par la possibilité pour chaque femme d’user de son corps comme elle l’entend !
À partir du moment où vous dites à une femme que son attitude est trop sexualisée, que sa tenue n’est pas appropriée et qu’elle ne peut pas se qualifier de féministe à cause de cela, vous demandez à celle-ci de respecter des codes spécifiques et l’enfermez dans un rôle de « femme respectable ».
Lou Doillon insiste sur le fait que sa « grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string » : elle se trompe. Je pense que les femmes comme sa grand-mère se sont en réalité battues pour que chaque femme ait le droit de crâner en string sans que personne ne juge leur attitude.
L’égalité que nous demandons ne devrait-elle pas commencer par le respect du mode de vie des unes et des autres ? À partir du moment où nous pointons certaines femmes du doigt en affirmant qu’elles ont une attitude déplacée, qu’elles sont vulgaires, qu’elles devraient avoir honte de véhiculer une image négative… nous sortons des valeurs que veulent transmettre le féminisme.
On assiste alors à une nouvelle forme de diktat sociétal : celui qui différencie la féministe respectable de celle qui devrait avoir honte de son comportement, qui « dessert la cause ».
Les femmes se sont battues pendant des siècles pour avoir le droit d’être qui elles veulent, de s’habiller comme elles le veulent, d’avoir l’attitude qu’elles veulent, et le seul fait de hiérarchiser la valeur des actions d’une femme par son comportement ou ses vêtements (qu’il s’agisse d’un string ou d’un voile) ne fait que perpétrer les pressions sociétales dont elles sont encore victimes, au quotidien.
Ma manière de vivre le féminisme n’est peut-être pas idéale, mais je ne me permettrai jamais de différencier un « bon » féminisme d’un « mauvais ». J’ai pourtant écrit un article intitulé Et si j’étais… une mauvaise féministe ? car ces questions me taraudent, mais j’ai compris (spoiler alert) qu’il était humain d’avoir des contradictions.
Et qu’à trop chercher la perfection, on en perd de vue l’essentiel. Il serait peut-être temps d’arrêter de nous donner des leçons pour commencer à avancer ensemble et être solidaires les unes avec les autres.
L’intersectionnalité dans le féminisme, ou le problème de la militante noire
L’interview de Lou Doillon a suscité de nombreuses réactions négatives au sein des réseaux sociaux et de la presse française, qui dénonçaient, tout comme moi, la manière dont l’artiste séparait ce qui, pour elle, différencie un bon féminisme d’un « mauvais ».
J’ai été heureuse de constater que de nombreuses personnes se rendaient compte de l’invraisemblance des propos de Lou Doillon mais me suis étonnée que très peu d’articles soulèvent les aspects liés à l’intersectionnalité.
En effet, ces célébrités que Lou Doillon accuse d’être de « mauvaise féministes » sont uniquement des femmes racisées. L’intersectionnalité se définit par plusieurs formes d’oppressions vécues par un individu.
Ces différentes discriminations se lient pour en former une nouvelle (ici, le genre féminin s’ajoute à la couleur de peau).
À lire aussi : Le féminisme intersectionnel expliqué via… des pizzas !
Le féminisme médiatisé en France comme dans le reste du monde occidental est essentiellement blanc. La plupart des discours féministes ne traitent pas des problèmes que peuvent rencontrer les femmes noires. On voit souvent les discours de féministes noires comme Beyoncé ignorés ou moqués, au contraire de celui de femmes blanches.
Certain•e•s affirmeront que c’est la manière dont Beyoncé délivre son message, et pas sa couleur de peau, qui va faire en sorte que personne ne le prenne au sérieux : la chanteuse n’hésite pas à porter des tenues sexy dans ses clips ou lors de séances photo.
Pourtant, Lou Doillon s’est, à de nombreuses reprises, montrée dénudée ! Qu’est-ce qui la différencierait d’une Beyoncé, dans la « crédibilité » de son féminisme ? Existe-t-il un genre de corps acceptable, et un autre trop vulgaire pour être montré ?
Avec le discours de Lou Doillon, on pourrait penser que c’est le cas. Elle semble croire qu’un corps comme le sien peut être montré nu sur des photos alors considérées comme de l’art, contrairement à celui de Nicki Minaj par exemple, tout de suite assimilé à la vulgarité.
En réalité, des stars comme Beyoncé et Nicki ont participé à la visibilité du corps des femmes noires. Avec la montée en puissance de telles chanteuses, les femmes racisées ont pu s’identifier à autre chose que les mannequins et chanteuses blanches, omniprésentes dans le paysage médiatique.
À lire aussi : Mes fesses, mon « identité », les autres… et moi
Lou Doillon bénéficie de la plupart des avantages et des privilèges de la société occidentale : elle est blanche, issue d’un milieu aisé et correspond à l’esthétique physique véhiculé par la plupart des magazines.
Cela prête donc à sourire quand elle utilise son mode de vie pour illustrer la manière dont devrait se comporter une bonne féministe…
« Je suis la première qui peut foutre un mec dehors, parce que j’ai mon propre salaire, une maison à mon nom, et le droit d’élever mon fils seule. »
Selon Lou Doillon, une femme accomplie est une femme qui a ses propres possessions : elle ne semble pas prendre en compte le fait que tout le monde n’a pas ce privilège.
Est-elle consciente que si elle n’avait pas grandi dans ce terreau social aisé, elle n’aurait peut-être pas la possibilité de vivre son féminisme de cette manière ?
Il est nécessaire de comprendre une chose : tant que les femmes ne seront pas soudées, que chacune d’entre nous ne comprendra pas que la libération des femmes passe par leur liberté de choix, que les féministes blanches penseront que les moyens d’expression de certaines femmes noires sont mauvais, nous n’arriverons jamais à faire valoir nos droits.
Apprenons à nous respecter, à nous donner la possibilité de porter une minijupe, un voile ou un string.
Soyons soudées, cessons de nous diviser et de qualifier d’autres de « mauvaises féministes », proclamons notre volonté de nous habiller comme nous le souhaitons… parce qu’il y a déjà trop d’hommes qui se chargent de nous dire que nous ne le faisons pas « comme il faut ».
À lire aussi : « Femmes contre le féminisme » : décryptage d’un paradoxe
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Ça fait du bien de t'avoir lu