Le 31 juillet, et ce depuis près de 50 ans, c’est la journée internationale de la femme africaine.
Ce jour a été choisi à l’occasion du premier congrès de l’Organisation Panafricaine des Femmes (PAWO en anglais) qui s’était tenu à Dakar, au Sénégal, le 31 juillet 1974.
La date historique de 1962 souvent retenue pour cette journée est le 31 juillet 1962. Ce jour là, à Dar es Salaam (Tanzanie), des femmes de tout le continent africain s’étaient réunies pour la première fois et avaient créé la première organisation de femmes, la Conférence des Femmes Africaines (CFA). (via journée-mondiale.com)
Initialement publié le 16 juin 2015
Un récent article du Figaro s’est interrogé sur l’exclusion des minorités au sein du féminisme français.
Des associations comme Osez le féminisme ont été pointées du doigts et accusées de ne pas intégrer les questions raciales dans un féminisme pensé par des femmes blanches issues d’un milieu social aisé.
Les minorités au sein de féminisme
L’article du Figaro expliquait la naissance d’un mouvement identitaire pour des femmes qui sont soit invisibles médiatiquement, soit assimilées à la délinquance ou à l’exotisme.
Ces femmes tentent, de leur côté, de se détacher de cette image stéréotypée façonnée par les hommes mais aussi par les personnes occidentales en général.
Elles essayent de se défaire des diktats de beauté qui les poussent à ressembler aux femmes caucasiennes, puisque le féminisme de France ne les aidera sans doute pas à le faire.
Qu’est ce que l’afro-féminisme et pourquoi est-il nécessaire ?
Une citation de l’essayiste, auteure et journaliste Rokhaya Diallo, récemment relayée dans un article du Figaro, explique d’une façon claire et efficace la raison pour laquelle les femmes noires ont ressenti le besoin de créer un mouvement de revendication qui se détache du féminisme blanc :
« Les féministes blanches veulent se départir des attributs de beauté que les diktats leur imposent et qui les infériorisent vis-à-vis des hommes.
Mais pour les Noires, auxquelles on a toujours dit que leurs traits étaient laids, le fait de se battre pour que ces attributs soient reconnus comme beaux prend tout son sens.
Notre revendication est d’affirmer que notre corps est aussi beau que les autres alors que nous sommes invisibles médiatiquement. »
Rokhaya Diallo réussit à expliquer d’une façon efficace les enjeux de l’afro-féminisme et pourquoi de nombreuses femmes noires ont ressenti le besoin de revendiquer des droits et de promouvoir des actions différentes des féministes blanches.
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Les femmes blanches sont soumises à des diktats de beauté présentés comme la norme par la plupart des médias occidentaux : l’image d’une femme grande, mince, avec une peau parfaite est souvent montrée comme étant le modèle à suivre.
La majorité des féministes combattent cette image faussée vendue par les industries de la mode et de la beauté.
Les femmes noires, quant à elles, tentent de se rapprocher d’une norme occidentale en voulant gommer leurs traits physiques naturels.
Il s’agit d’une double peine pour ces femmes noires qui, avec une peau sombre, des cheveux crépus et un nez épaté, cherchent à correspondre à une norme déjà difficile à atteindre par une femme blanche.
En plus de diffuser les images d’un archétype de beauté imaginaire et impossible à atteindre, les médias font insidieusement comprendre aux femmes noires que leur physique est à l’opposé d’une norme incluant les cheveux européens, la peau claire et le nez fin.
Une haine de soi se développe souvent chez ces femmes noires, qui dépensent neuf fois plus d’argent pour leur beauté afin de ressembler à un modèle occidental (d’après Rokhaya Diallo dans son ouvrage Sois blanche et tais-toi).
Elles engloutissent des fortunes en produits éclaircissants, en perruques ou en défrisant pour tenter de se rapprocher d’un physique caucasien.
Les produits éclaircissants sont vendus sous forme de crème ou de lotions et contiennent parfois des éléments gravement dangereux pour la santé et interdits à la vente sur le sol français ; ces risques ne dérangent pas de nombreuses femmes prêtent à prendre ce risque pour ressembler à leurs modèles de réussite.
Avant l’apparition d’actrices à la peau foncée comme Lupita Nyong’o, l’écrasante majorité des femmes noires médiatisées étaient Beyoncé, Rihanna, ou autres célébrités à la peau claires et aux cheveux lisses.
Les femmes noires ayant un teint foncé et les cheveux crépus sont donc persuadées que leur physique n’est pas beau et cherchent à se débarrasser de traits qu’elles considèrent comme disgracieux.
En plus de lutter contre les diktats véhiculés par les magazines et les médias, les féministes noires tentent d’exister médiatiquement afin de se réapproprier un corps qu’elles ont longtemps rejeté.
Face à la double discrimination, sur le plan racial et sur le plan sexuel, subie par les femmes noires, on voit de plus en plus de sujets liés à l’intersectionnalité, sur ses tenants et ses aboutissants sur internet.
L’intersectionnalité représente le fait de subir plusieurs sortes de discrimination ou d’oppression en même temps.
Au lieu de se pencher sur chaque forme de domination séparément, elle s’attardera sur la manière dont ces discriminations se conjuguent les unes avec les autres en formant une autre forme d’oppression vécue par un individu.
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En étant à la fois discriminée par le fait d’être noire et d’être femme, les Noires sont au coeur des questions liées à l’intersectionnalité.
En créant leur propre mouvement et en se réappropriant le féminisme, elles ont tenté d’exister là où elles n’étaient pas représentées du fait de leur appartenance à deux catégories discriminées dans la société occidentale.
Comment est né l’afro-féminisme ?
Le mouvement de l’afro-féminisme a débuté aux États-Unis (black feminism) où les femmes noires féministes luttaient contre l’oppression ressentie à cause de leur couleur de peau et de leur sexe.
L’une des afro-féministes les plus connues est Angela Davis, ancienne membre des Black Panthers et militante pour les droits des femmes.
Elle fut l’une des premières femmes noires à instaurer la notion du « black feminism » et à se battre pour l’égalité des femmes et des Noirs aux États-Unis.
Angela Davis a été l’une des premières femmes à soulever les enjeux autour de l’intersectionnalité en soulignant le fait que dans les années 1970, les combats pour l’émancipation des femmes n’étaient pas les mêmes pour les Noires et les Blanches.
Les féministes blanches se souciaient des enjeux autour de la légalisation de l’IVG afin de faire cesser les avortements clandestins alors que les femmes noires américaines étaient victimes d’un programme de stérilisation contrainte à cause de ce que les racistes considéraient comme un risque de « dégénération raciale ».
On pouvait alors comprendre en quoi le « black feminism » était nécessaire !
Angela Davis s’intéressait régulièrement aux connexions idéologiques entre le système de domination des Blancs et la suprématie masculine, en démontrant que les femmes noires subissent une double oppression : celle infligée par le système et celle dont elles souffrent à cause de leur genre.
En 1970, la Third World Women’s Alliance (l’Alliance des Femmes du Tiers-Monde) a dénoncé les discriminations particulières qui existent à l’encontre des femmes noires à travers le Black Woman’s Manifesto.
Ce texte fut l’un des premiers à dénoncer l’oppression sexiste et raciale envers les femmes noires et à prédéfinir les tenants et les aboutissants de l’intersectionnalité.
Il incluait des revendications féministes voulant qu’on considère les femmes comme des êtres tout aussi capables qu’un homme tout en y ajoutant les références qu’on attribue généralement aux femmes noires : être une femme au foyer en colère, seulement bonne à faire et à élever les enfants.
Cet extrait revendiquait un nouveau rôle et une nouvelle façon de considérer les femmes noires dans une Amérique sexiste et ségrégationniste :
« La femme noire demande une nouvelle gamme de définitions de la femme, elle demande à être reconnue comme une citoyenne, une compagne, une confidente et non comme une vilaine matriarche ou une auxiliaire pour fabriquer des bébés. »
Même si les principaux mouvements et revendications afro-féministes sont nés et se sont développés aux États-Unis, l’afro-féminisme a toujours existé et été revendiqué en France, mais son appellation vient tout juste d’être médiatisée.
Il existe quelques ouvrages qui traitent de l’intersectionnalité et de l’afro-féminisme, mais peu d’entre eux sont considérés comme des références dans le milieu féministe.
C’est le cas du livre La parole aux négresses d’Awa Thiam, sorti en 1978. Il inclut les aspects culturels du féminisme comme le rapport à la couleur de peau, la polygamie pratiquée dans certains pays africains ainsi que l’excision.
Le livre montre en quoi les femmes noires ont été exclues des combats féministes car elles étaient noires… et des luttes anti-racistes car elles étaient des femmes.
L’invisibilité des femmes noires
Un article de Slate montrait que les femmes noires sont invisibles dans les médias. En France, il n’existe pas d’actrices noires dans les films, et quand elles y sont, c’est souvent associé aux stéréotypes de la banlieue et de la délinquance.
L’année dernière, le long-métrage Bande de filles de Cécile Sciamma était considéré comme une petite révolution tant il était inédit de voir des femmes noires à l’affiche d’un film français.
Très critiqué pour sa représentation caricaturale des femmes de banlieue, il ne fut finalement qu’un faux espoir pour les femmes noires de se voir représentées de manière réelle et positive dans le cinéma et les médias.
En plus de devoir lutter contre les injonctions sociétales que les femmes subissent, les féministes noires doivent mener un combat pour être représentée dans les publicités, les films, à la télévision ou dans les magazines.
En plus de devoir affirmer qu’une femme est aussi capable qu’un homme, les femmes noires doivent prouver qu’une noire est aussi compétente et légitime qu’une blanche.
Omar Sy et Isaac de Bankolé sont pour le moment, les seuls acteurs noirs récompensés par un César. Vit-on dans un pays qui ne donne pas sa chance aux minorités, devant ou derrière la caméra ?
La seule présence de noirs à la télévision semble décontenancer bien des journalistes qui ont multiplié les articles racistes et déplacés.
En mars dernier, le magazine Stylist France avait décidé de consacrer un article à l’agence Afrostream, start-up en partenariat avec la plateforme de vidéos à la demande de TF1 pour diffuser des films afro-américains.
En titrant leur article L’ère de la télé ghetto, le magazine s’était attiré les foudres des internautes, à juste titre. Avoir un casting composé de personnes noires faisait rentrer une myriade de longs-métrages dans la catégorie « ghetto »…
Dernièrement, le magazine Glamour se penchait sur la diffusion de séries au casting composé d’afro-américain•e•s avec le titre Est-on prêt pour la télé en couleurs ? afin de souligner le phénomène extraordinaire qu’est la présence de Noir•e•s à la télévision française…
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Le simple fait que les Noir•e•s soient peu représenté•e•s et que les femmes noires soient quasiment absentes des écrans fait s’interroger ces dernières.
À la fois sur leurs compétences en terme de réussite mais aussi sur leur physique absent médiatiquement et donc considéré comme étant moins méritant, moins beau que celui d’une Blanche.
Les femmes noires exclues du féminisme « ordinaire »
Pour lutter contre les inégalités hommes/femmes, dont les femmes noires se sentent aussi victimes, elles se tourneront instinctivement vers les associations féministes françaises chargées de défendre l’égalité des genres…
Mais ne trouveront que peu de réponses au sein de ces organisations.
D’une part, le féminisme français n’inclura aucunement les aspects culturels bien présents dans la vie des femmes noires ; d’autre part, les féministes présentes dans la majorité des associations connues sont blanches.
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Par exemple, les féministes représentées médiatiquement sont pour la plupart opposées au port du voile dans l’espace public.
Elles défendent ces idées sur les plateaux de télévision et lors d’interviews avec un avis très tranché. Sur le site d’Osez le féminisme, Caroline de Haas, ex-porte parole de l’association, a déclaré à propos du port du voile :
« La société patriarcale a utilisé le voile pour marquer les femmes, les inférioriser et les laisser à l’écart et, pire, a parfois réussi à les convaincre qu’elles le faisaient de leur plein gré. »
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De nombreuses féministes racisées reprochent aux féministes blanches de parler de choses qui ne les concernent pas, à la place des femmes qui vivent réellement les situations.
Citée par le Figaro, la comédienne, réalisatrice et militante afro féministe Amandine Gay racontait son expérience au sein de l’association Osez le féminisme (OLF) :
« C’est là que j’ai appris que j’étais noire. Le problème d’OLF est que les militantes avaient des prises de position contre le voile et pour l’abolition de la prostitution. Mais OLF n’a pas de femmes voilées dans son association, très peu de musulmanes, très peu de femmes non blanches et pas non plus de travailleuses du sexe.
Au bout d’un moment, tu te demandes « Pourquoi vous êtes là à avoir des avis et des prises de position sur des choses qui ne vous concernent pas ? Est-ce que les personnes concernées ne sont pas les mieux placées pour avoir la parole là-dessus ? ».
La confiscation de la parole m’est devenue insupportable. […] J’avais envie de dire : « Arrête de parler de ce que tu ne connais pas » !
Le premier pas pour aider les gens, c’est de la fermer et de les écouter. »
« Si ces féministes noires, de couleur et du « tiers-monde », ne se reconnaissent pas dans le féminisme (sous-entendu « blanc »), c’est qu’il est perçu comme EXCLUANT les réalités des autres femmes de par sa manière de penser, ET les autres femmes elles-mêmes, de par sa façon de se comporter avec elles… »
Il faut comprendre que l’afro-féminisme n’est pas un rejet du féminisme « classique » mais une manière de s’intéresser aux personnes rendues invisibles par leur genre et leur couleur de peau, vivant une double discrimination qui se traduit d’une manière très différente de celle qu’aborde le féminisme « ordinaire ».
Il est important que les femmes noires commencent à se réapproprier leurs corps et à s’aimer avec leur traits physiques !
Pour cela, il est nécessaire que l’afro-féminisme continue à promouvoir une image positive et cherche à médiatiser des modèles auprès desquels les Noires peuvent s’identifier.
L’afro-féminisme est primordial pour que les jeunes femmes noires sachent qu’elles peuvent, elles aussi, accéder à des postes à responsabilité, être en une des magazines ou être les héroïnes de films… au même titre qu’un homme ou une femme blanche.
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