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Société

Comprendre le racisme ordinaire en six leçons

Le racisme ordinaire est insidieux, et donc peu visible pour qui n’en est pas victime. Naya fait le point sur ces discriminations que trop de gens trouvent encore « anodines ».

Suite aux réactions à mon article Je ne suis pas votre amie noire publié la semaine passée, j’ai tenu à clarifier certains points.

J’ai été très étonnée de la façon dont certaines d’entre vous se sont querellées au sujet de divergences d’opinions. Je voudrais tenter de calmer la colère de celles qui se sont plaintes des remarques déplacées, mais maladroites, de la part de lectrices qui ne comprenaient pas en quoi un terme pouvait être raciste ou non. Je comprends votre gêne et votre sidération en lisant certains propos, qui remettent en cause votre expérience de femme « racisée » et française, ou vos croyances profondes.

Le terme « racisé » regroupe toutes les personnes qui ne sont pas blanches dans une société où le modèle blanc est dominant. Ce terme n’est pas répertorié dans le dictionnaire et de nombreuses personnes trouvent qu’il n’est pas approprié pour désigner les personnes qui ne sont pas blanches. Pour beaucoup, le mot induirait qu’une personne blanche n’aurait pas de « race » et serait comme « neutre », au contraire des personnes ayant des « origines ».

Toutefois, il n’existe pas de mot plus convenable dans la langue française ; le terme « non-blanc » inclut aussi que le blanc est le modèle type. L’expression « personne de couleur », quant à elle, est extrêmement problématique, car elle était très utilisée dans les périodes de ségrégation aux États-Unis où « colored » s’opposait au « white », qui définissait la norme.

Pour résumer, il n’y a pas de mot idéal pour définir l’ensemble des personnes qui ne seraient pas blanches. J’ai trouvé que le terme « racisée » était le plus approprié pour me définir, moi, en tant que personne noire souvent victime de discrimination en France. Je l’utiliserai donc pour parler de tous ceux et celles qui, comme moi, ont déjà été confronté•e•s aux racisme ordinaire à cause de leur couleur de peau.

Je remarque que vous étiez toutes plus ou moins d’accord sur les grandes lignes de mon article, et cela est une excellente chose. Toutefois, je ne suis pas surprise par les propos qui ont été tenus. Si je m’attendais à n’avoir que des commentaires qui approuvent mon discours et qui le comprennent, mon article n’aurait servi à rien !

J’aime écrire dans l’objectif d’interpeller et, je l’espère, faire évoluer les mentalités.

J’ai justement écrit Je ne suis pas votre amie noire dans le but d’aider les personnes qui n’ont pas les clés pour comprendre le racisme. À force de discours explicatifs (malheureusement trop peu présents sur la Toile, surtout en français), ces dernières pourront apprendre de leurs erreurs et tenter de changer leur comportement.

Je voudrais aussi demander à toutes celles et ceux qui ne se sont pas senties concernés par l’article en question de ne pas affirmer, comme une vérité unique qui se baserait essentiellement sur une expérience personnelle, que ce que vivent certain•ne•s d’entre nous n’est « pas si grave » voire un mensonge, une situation irréelle.

Dans ce nouvel article, j’ai repris les remarques tenues par certaines d’entre vous pour expliquer en quoi elles ne tiennent pas la route. J’espère que les personnes concernées comprendront davantage en quoi cet éclaircissement est nécessaire !

« Demander ses origines à quelqu’un n’est pas un problème »

Cela dépend de la manière dont la question est posée, du contexte et du moment. Si vous faites connaissance avec une personne et que vous lui demandez dans les trois minutes qui suivent ses origines, cela peut poser problème. Cela peut paraître étonnant ou dérangeant, pour une personne racisée, que l’un des premiers renseignements qu’on lui demande soit lié à son appartenance ethnique. La question « de quelle origine es-tu ? » (ou « d’où tu viens ? ») réduit l’individu racisé à un simple étranger contrairement à une personne blanche à laquelle on ne poserait pas forcément cette question, ou alors pas aussi vite.

On demandera à une personne blanche d’où elle vient en sous-entendant « de quelle ville » alors qu’une personne racisée sera interrogée sur un pays qu’elle n’a, dans de nombreux cas, pas connu du tout, ou pas autant que celui où elle se trouve et où elle a probablement grandi.

Certaines d’entre vous se sont présentées comme des personnes blanches ayant voyagé dans un pays étranger, et qui avaient aussi eu le droit à des questions sur leurs origines. Elles précisaient que ces questions ne les avaient pas dérangées plus que ça, et que ça devrait donc être pareil pour les personnes racisées.

Moi-même, si j’avais été touriste dans un pays d’Asie par exemple, qu’on m’avait interrogée sur mes origines, je n’aurais vu aucun problème dans cela car ça fait partie de l’expérience touristique. Mais poser la question à quelqu’un vivant de toute évidence en France, qui a très probablement la nationalité française, c’est le ramener au fait que sa culture « d’origine » ou celle de ses parents prédomine.

C’est exactement pareil avec la nourriture. Demander à une personne qui vient de France et qui est partie habiter ou visiter un pays étranger si elle a déjà mangé des cuisses de grenouille n’est certes pas très fin, mais reste tout à fait concevable. Par contre, dire à une personne qui a grandi et fait sa vie en France si elle peut nous faire un couscous, des sushis ou du poulet tandoori peut être mal pris — et ça se comprend.

Demander à quelqu’un d’où il vient parce qu’il a un accent du Sud n’a rien à voir avec le fait de demander à quelqu’un d’où il vient parce qu’il a une couleur de peau différente. Il faut savoir comprendre la différence entre une nationalité et une origine. J’ai souvent demandé à une personne ayant un accent espagnol depuis combien de temps elle était en France, mais jamais je ne demanderais à connaître les origines, sous-entendues « réelles », d’une personne que je connais à peine, simplement parce qu’elle a les yeux bridés.

Avant de demander à une personne des informations seulement parce que vous avez constaté que sa couleur de peau était différente de la vôtre, il faut que vous intégriez le fait que beaucoup d’enfants ou de petit-enfants d’immigré•e•s en savent moins sur le pays qui a vu naître leurs parents ou leurs grands-parents que sur la France !

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Vous ne pouvez pas dire que ça n’est pas « si grave » de demander à quelqu’un son origine en prétextant que la personne a le choix de ne pas répondre. Ce n’est pas le fait de donner la réponse qui gêne réellement la personne interrogée sur ses origines : ce n’est pas un secret d’État !

Si vous êtes homosexuel•le par exemple, même si avez fait votre coming out et que vous êtes à l’aise avec le fait que les gens le sachent, vous ne seriez pas forcément à l’aise si quelqu’un que vous connaissez depuis une demi-heure vous demande votre orientation.

Il en est de même avec les origines. Demander à une personne racisée d’où elle vient, ça n’a pas le même impact que de le demander à un•e blanc•he. C’est beau et presque utopique de voir la question « tu viens d’où ?

 » posée à une personne noire comme une interrogation sur son parcours, sur sa ville d’appartenance… Mais dans la plupart des cas la conversation va dans ce sens :

– Tu viens d’ou ? – Du Val d’Oise – Non mais tu viens d’où, vraiment ? – Comment ça ? – Tes origines ?

Surtout, rappelez-vous que vous ne pouvez pas décider de ce qui blesse quelqu’un à sa place ! Ça n’est pas parce que vous avez reçu un sourire en réponse à votre question que ça n’a pas dérangé. Je le répète encore : demander les origines de quelqu’un que vous venez de rencontrer ne se fait pas. Même si vous êtes curieuse, oui, même si vous aimez savoir ce genre de choses, même si vous l’avez déjà posée à plein de gens et qu’ils ne vous ont pas tapé dessus.

« Si on te qualifie de « lionne », ça n’est pas raciste, c’est à cause de ta coupe de cheveux »

Ici, je prends un des commentaires que j’ai lu sous ma vidéo 13 clichés insupportables sur les femmes noires. J’y expliquais à quel point il était absurde d’être sans cesse comparée à un animal de la savane, par des hommes principalement, qui lisaient une sorte d’animalité dans mon physique ou mon comportement.

Sachez que la comparaison avec un fauve n’a pas vraiment eu de rapport avec mes choix capillaires : j’ai longtemps eu les cheveux lisses et ces remarques étaient tout aussi fréquentes. Les personnes incriminées croyaient sincèrement que les femmes noires ont un caractère plus extraverti, « sauvage ». Quelle ne fut pas leur déception lorsqu’elles ont appris à me connaître et ont constaté que je ne mordais pas !

« Moi aussi je l’ai vécu et je ne l’ai pas mal pris »

Il est impossible de comparer l’expérience d’un•e racisé•e à celle d’une personne blanche qui aurait reçu un commentaire cliché sur sa ville d’origine. Exemple :

« Tu viens de Savoie, tu dois savoir cuisiner la tartiflette ! »

Cette remarque n’est certes pas très intelligente, et plutôt lourde, mais elle n’est strictement pas comparable avec quelqu’un qui assimilerait une Noire née et élevée en France à la cuisine des bananes plantain et du manioc. La tartiflette est un plat du pays où vous vivez, alors que le manioc et les bananes plantain, c’est délicieux mais ça ne fait pas partie de la culture culinaire française !

Agathe

J’ai aussi reçu des remarques de certaines d’entre vous qui affirmaient toucher les cheveux de leur amie noire sans que celle-ci ne le prenne mal. Pour bien vous expliquer à quel point ça ne fait pas de votre geste quelque chose de moins malpoli, je le comparerais ici avec le sexisme ordinaire. Il y a des femmes qui ne sont pas gênées par le fait d’être sifflée dans la rue : Sophie de Menton avait même enflammé la Toile en qualifiant le fait de se faire siffler de quelque chose de « sympa ».

De nombreuses personnes se sont accordées à dire que madame de Menthon desservait le combat contre le harcèlement de rue et ne comprenait pas en quoi l’acte de se faire siffler était rabaissant pour les femmes. La preuve que même si la victime d’un acte déplacé est pour une fois consentante, cela ne le rend pas plus acceptable.

« Je suis noire et je n’ai jamais entendu de telles remarques, je trouve que tu es dans la victimisation »

Je trouve ça vraiment très bien que tu n’aies pas eu à souffrir de propos racistes dans ta vie. J’aurais aimé être dans ce cas, et que toutes les personnes racisées le soient. Crois-tu réellement que je prendrais le temps de faire des vidéos et d’écrire des articles s’il s’agissait d’un détail et que personne ne souffrait des clichés liés à la couleur de peau ?

Même si tu ne te sens pas concerné•e par le racisme, ne décrédibilise pas le discours de ceux qui l’ont vécu.

« Quand on a des origines, on a forcément une culture différente de celle des blancs »

Déjà, il faudrait définir ce qu’on entend par « culture » ! Pour ma part, j’ai toujours « assisté » à la culture de mon pays d’origine, je ne l’ai jamais vécue. Je voyais mes parents aller à des fêtes traditionnelles, parler ma langue d’origine, je mangeais les délicieux plats que ma maman me préparait… Toutefois, je n’ai jamais été active dans tout cela : j’aurais pu, j’aurais même voulu, mais ça n’a pas été le cas. Alors imaginez mon étonnement lorsqu’on me pose mille et une questions sur les rites et les coutumes d’un pays que je connais très mal, même si je l’aime de tout mon cœur !

On me pose ces questions sans que j’ai donné le moindre indice sur le fait que j’ai vécu ou grandi là-bas. On se base sur ma couleur de peau pour déduire immédiatement que je prépare des plats étrangers ou que je pourrais donner des cours de « danse africaine ».

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Il y a bien sûr des gens qui ont des connaissances approfondies sur les coutumes de leur pays d’origine, mais aussi autant de personnes qui n’ont connu que (ou presque que) la France et ne sauront pas vous renseigner sur la culture du pays dans lequel ont grandi leurs parents ou grands-parents.

Peu importe le cas de figure, il n’est vraiment pas correct d’imposer une conversation autour des choses qu’une personne devrait connaître ou pratiquer : vous ne connaissez rien de sa vie. Il y a plein de sujets de conversation disponibles : si la personne veut parler de la culture de son pays d’origine, elle le fera d’elle-même !

« Te demander si tu connais un•e noir•e qui habite près de chez toi, c’est normal, moi on demande si je connais des personnes du milieu social dont je suis issu•e »

Être noir•e n’est pas un milieu social ! Demander à quelqu’un s’il connait une personne ayant fréquenté la même école ou habité la même ville est tout à fait compréhensible. Mais demander à un•e noir•e s’il/elle connaît un•e autre noir•e en se basant sur la couleur de peau est complètement absurde ! C’est comme si vous étiez blonde et que je vous demandais si vous connaissez un autre blond qui vit dans votre ville : vous me prendriez sans doute pour une folle, non ?

Il faut que vous compreniez que les personnes racisées ne sont pas différentes des blancs parce qu’elles sont noires, asiatiques ou métisses ! Vous devez apprendre à leur parler avec neutralité, sans ressentir le besoin irrépressible de leur poser des questions liées à leur couleur de peau.

Je suis consciente que certain•e•s d’entre vous ont du mal à cerner le mal qu’il y a dans le fait de parler de ces choses avec une personne qui n’est pas blanche. Il n’y en a aucun… si, et seulement si vous la connaissez assez bien pour ça. En revanche, si vous vous basez sur la couleur de peau et les origines pour apprendre à faire connaissance avec quelqu’un, vous n’êtes pas sur la bonne voie.


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Les Commentaires

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Avatar de Nefertii
18 octobre 2024 à 21h10
Nefertii
Du coup à quel moment c'est acceptable de demander aux gens d'où ils viennent?
Quand j'étais en Erasmus c'était une question qu'on me posait souvent et que je posais aussi souvent et pourtant y'avait pas écrit Erasmus sur mon front. J'en déduis qu'on savait que je n'étais pas du coin car je devais avoir un accent.
J'imagine que c'est déplacé de demander directement à quelqu'un qui parle un français impeccable et en plein milieu d'une conversation qui n'a rien à voir. Mais les rares fois où j'ai demandé (quand ça s'y prêtait, par exemple quelqu'un qui me dit "chez nous on fait pas comme ça tel ou tel plat" ou "je dois réserver mon avion pour voir ma famille" les gens semblaient plutôt contents de me raconter leurs origines, voire même plutôt fiers.
Depuis 2015, donc presque 10 ans j'ai l'impression que les gens aiment pouvoir raconter leur histoire. Je pense que les tests ADN pour connaître ses origines y sont pour quelque chose.
Quoiqu'il en soit je pense qu'il faut être nuancé. Demander à quelqu'un d'où il vient comme ça de but en blanc seulement parce que sa tête est vaguement atypique: non. Ça m'est arrivé plein de fois et ça me saoule.
Par contre j'ai un nom de famille 300% étranger et il m'arrive qu'on me demande si j'ai des origines de ce pays. En fonction de qui demande ou comment s'est demandé ça ne me dérange pas trop.
Ce que je déteste : les stéréotypes de base (genre les gros gros stéréotypes, je fais la différence entre les traits culturels propres à mon autre culture qui peuvent peut-être etre un peu stéréotypés mais pas tant que ça non plus donc je peux comprendre une certaine curiosité à ce sujet et les gros clichés véhiculés par les films - si y'a bien un cliché que je déteste c'est le mime avec son visage poudré, sa marinière et son béret et les gens qui écrivent "sacrebleu" sur internet... j'aimerais qu'il y ait une amnésie générale concernant ce cliché - de façon générale je pense que les français sont mal vus. Je ne parle pas de Paris ni du merchandising français (le vin, les croissants, Chanel...), je parle des français en général.
Bref je me suis égarée du sujet principal.
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