Depuis plusieurs semaines, cet article me trotte dans la tête.
Tous les jours, c’est la même chose. J’ouvre Facebook, je scrolle Twitter, je binge YouTube et je me demande : de quoi vais-je m’indigner aujourd’hui ?
De ce tweet sur Greta Thunberg ? Du raid de commentaires racistes sous une vidéo madmoiZelle qui donne la parole à une doctorante en astronomie ? Du partenariat rémunéré de Tibo InShape pour promouvoir le Service national universel ?
Le choix est vaste et la tentation d’une réponse bien sentie est puissante. Mais je ne réagirai pas.
Depuis des années, les réseaux sociaux exploitent ma colère et depuis que je l’ai compris, je me retiens de l’alimenter.
L’indignation, le moteur des réseaux sociaux
Tristan Harris est défenseur de l’éthique technologique et ancien product manager chez Google et en 2018, son audition auprès du Sénat américain a fait des vagues.
Mymy te détaillait ses explications concernant les méthodes te « forçant » à rester en ligne et à t’indigner, et te demandait si tu serais intéressée par un article t’aidant à moins t’énerver sur Internet.
En effet, Tristan Harris expliquait que l’indignation est l’émotion qui « marche » le mieux sur les réseaux sociaux : elle rend les contenus viraux, elle motive les partages, les réponses…
Or, tu es peut-être, comme moi, fatiguée d’être en colère.
Je te propose donc de comprendre ce qui te mène à t’indigner, pour arriver à t’en détacher !
Je suis en colère, donc je suis
Le regard des autres compte beaucoup.
Parfois, nous trouvons des moyens de nous en détacher et de vivre comme nous le souhaitons.
Mais alors que les réseaux sociaux entretiennent une dictature de l’image parfaite, nous nous retrouvons aussi parfois prisonnières de notre avatar social.
Sur Internet, tout est possible. Je peux construire une identité nouvelle, fréquenter des personnes différentes de mes cercles habituels, m’intégrer dans des groupes qui partagent mes centres d’intérêt.
Leur premier jugement ne s’arrêtera peut-être pas sur mon physique mais sur les idées que je transmets. En tant que meuf, c’est un luxe !
Sur Internet comme dans « la vraie vie », j’ai peur de ne pas être aimée, de ne pas être respectée. Au fond, j’ai peur de me retrouver seule, isolée.
Ainsi, parfois, je m’indigne pour me rassurer socialement. Pour vérifier que ma communauté pense comme moi. Pour courir avec la meute, et ne pas me sentir laissée de côté.
Je renforce mon appartenance à un groupe via un point commun : les mêmes choses nous révoltent.
La colère sur Internet, une bulle solide
Tristan Harris explique :
« L’indignation morale, c’est ce qui crée le plus d’engagement.
Une étude montre que pour chaque mot indiquant l’indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente de 17%.
En d’autres termes, le fait que notre société soit de plus en plus polarisée, ça fait partie du business model. »
Les opinions radicales ont donc plus de chance d’engager une communauté, qu’elles amènent une forte adhésion ou de la haine. La nuance, la demi-mesure ne fait pas cliquer, donc elle ne fait pas vendre.
Cette dynamique est à la base de la viralité sur internet et un des mécanismes du cyberharcèlement.
J’ai beau avoir bloqué un bon paquet de personnes négatives, je continue à voir dans mon fil d’actu des posts indignés, des gens qui s’insultent et des débats qui montent dans les tours.
Et pour cause : l’algorithme les pousse dans mon flux.
Les intelligences artificielles analysent et enregistrent chacune de nos actions pour nous proposer des contenus qui nous plairont.
Mais elles encouragent aussi notre enfermement dans ces bulles négatives : plus nous voyons des contenus énervants, plus nous nous en agaçons, plus nous banalisons leur partage.
Voilà comment certains espaces sont devenus des terrains minés par le cynisme et la colère.
Pourquoi est-ce que j’exprime tant de colère ?
Les questions que je me pose depuis quelques jours sont terribles.
Sommes-nous méchantes ? Sommes-nous cruelles ?
Pourquoi oublions-nous toute notion d’empathie dès qu’un écran se trouve entre nous et notre interlocuteur ?
Qui suis-je pour juger et condamner sur Internet ?
En m’indignant, j’espère participer à la mort sociale, au discrédit d’une personne. Qu’elle soit célèbre ou non.
C’est d’une rare violence, non ?
Pourquoi, moi qui suis douée de compassion, j’ai envie de péter des murs à la vue d’une ou deux phrases agaçantes ?
La réponse, je l’ai trouvée en partie dans les réflexions de François Jost, un sémiologue qui s’est penché sur nos interactions virtuelles dans son dernier livre La méchanceté en actes dans l’ère numérique.
« Avant, lorsque quelqu’un envoyait une lettre anonyme, elle était adressée à une seule personne, aujourd’hui la missive devient publique et tout le monde peut la voir.
La médisance, l’insulte, l’attaque et le meurtre symbolique existaient, mais le numérique a créé des conditions particulièrement efficaces pour le passage à l’acte. […]
On prend tout le monde à témoin et il y a un plaisir à faire du « bashing », c’est-à-dire à rejoindre la meute pour multiplier les attaques contre une personne désignée comme ridicule. »
Être en colère sur Internet, à quoi ça sert ?
Quand je partage une réaction indignée, qu’est-ce que ça apporte ? Qu’est-ce que ça change ?
Souvent… pas grand chose. Les gens qui me suivent sont majoritairement d’accord avec moi, il y a peu de chances que leur conscience sur un sujet évolue avec un commentaire énervé.
Et ceux qui me découvrent à travers un message indigné, changeront-ils d’avis grâce à ma colère ?
En lisant les anciens incels ayant changé d’avis, les ex-racistes repentis ou les anti-IVG devenus pro-choix, aucun ne dit :
« J’ai changé car on m’a assez traité de sombre merde sur Internet, on m’a assez dit d’aller me faire foutre et que je ne valais rien, pour que ça rentre. »
Vraiment. personne, jamais.
Moi-même, dans ma construction féministe, j’ai plus appris de discussions posées et ouvertes que d’insultes sur Internet.
S’indigner, ça braque, c’est polarisant. Ce n’est pas un outil de débat, ce n’est pas ça qui va convaincre l’autre, ni même l’encourager à faire un pas vers « le camp d’en face ».
Un contenu sur Internet me met en colère, que faire ?
Prenons l’exemple d’un tweet bien con, bien bas de plafond, bien fermé d’esprit, aigri, peut-être sexiste ou raciste, comme tu en as sûrement déjà vu passer.
Si je le vois dans ma timeline, j’ai 4 possibilités.
- Y répondre publiquement en m’indignant
- Le retweeter avec un commentaire salé
- Envoyer un message privé à la personne qui l’a publié
- L’ignorer
Exprimer ma colère, pourquoi faire ?
Le premier réflexe, celui de « ma meute » en tout cas, c’est de répondre ou de retweeter, avec des insultes, de la colère, de la haine.
Parfois, c’est ce que la personne cherche : elle fait de la provoc pour exister, et ma communauté tombe en plein dans le panneau. J’ai déjà vu des gens avec 500 followers provoquer 3000 réactions à un seul tweet.
C’est un peu le dicton « Il n’y a pas de mauvaise publicité », j’imagine…
En tout cas, si je lui répondais, je rentrerais dans son jeu. Alors que tout ce qu’elle mérite, c’est l’indifférence.
À l’inverse, parfois la personne ne s’y attend pas. Elle a des opinions opposées à celles d’un groupe, peut-être même nauséabondes ou discriminatoires, mais elle ne sait pas dans quoi elle met les pieds.
Dans ce cas-là, l’indignation devient un harcèlement. Les mentions s’affolent. Les « supprime », « connasse », « ta gueule », « regardez-moi cette conne » pleuvent.
Et ça, ce n’est jamais mérité.
Ma colère apporte-t-elle quelque chose ?
Je te donnais plus haut l’exemple d’un compte à quelques centaines de followers provoquant des milliers de réactions. C’est quelque chose de plutôt courant.
Je pense qu’avant de réagir à un contenu, c’est toujours bien de vérifier ce qui a déjà été dit avant. Si 300 personnes ont déjà exprimé ce que tu ressens, à quoi bon le faire ?
Le message est passé de 300 façons différentes. Qu’apporterais-tu de plus ? Rien.
À ce moment-là, si tu t’indignes publiquement, tu le fais surtout pour toi — pour exister, pour courir avec la meute, tout ça.
Et crois-moi, tu peux exister autrement qu’en t’énervant.
Puis-je rendre ma colère utile ?
La colère a toujours des racines. Elle arrive parce que quelque chose nous heurte, menace nos valeurs, notre identité, nos droits — ou en tout cas nous le percevons ainsi. C’est un mécanisme de défense légitime.
La colère, in fine, n’est pas inutile : il s’agit d’un signal pertinent à recevoir et à accepter. Il y a des façons constructives d’utiliser ta colère !
Plutôt qu’un commentaire bref et énervé, tu peux par exemple expliquer ce qui te met si mal dans un article, comme je l’ai fait en m’adressant aux députés voulant boycotter Greta Thunberg à l’Assemblée.
Je dis article, mais ça peut être une vidéo, un post Instagram, ou même une série de tweets qui se centre sur toi et ce que tu ressens, sans forcément attaquer une autre personne.
La colère peut être le déclic te donnant envie de faire passer un message qui te tient à cœur.
Face à une injustice te mettant en rogne, tu peux aussi t’engager auprès d’associations ou d’ONG luttant pour améliorer les choses. Tu n’es pas obligée de rester seule et d’évacuer dans ton coin !
Et si vraiment tu as du mal à gérer ta colère, si ça devient une souffrance, rappelle-toi qu’il n’y a aucune honte à aller voir un ou une psy pour y voir plus clair.
Comment arrêter d’être en colère sur Internet ?
That’s it. That’s the part. Celle que tout le monde attend, la recette miraculeuse pour s’éviter un ulcère et alors que les débats sur internet semblent avoir atteint un point de non-retour.
Spoilers : elle n’existe pas, cette recette miraculeuse. Allez, salut !
Non, rassure-toi, j’ai quand même des petits tips à te partager pour dénouer tes cervicales.
Comprends ce qui encourage la colère sur Internet
Et comme j’ai cherché à te le démontrer plus haut, ton ennemi, ce n’est pas cet inconnu qui dit un truc qui te semble très très con.
Ce sont les algorithmes des réseaux sociaux.
Je te le garantis, en prendre conscience et identifier tes propres schémas d’indignation est un premier pas vers plus de sérénité.
Lâche prise quand Internet te met en colère
Un truc t’a fait monter la moutarde au nez ? Ferme les yeux, vois la petite fleur de lotus zen qui sommeille en toi et respire. Par. Le. Ventre.
Cette personne mérite-t-elle que tu lui accordes le temps d’un commentaire ainsi que toute la colère résiduelle que tu vas garder pendant une bonne heure ?
« Tu as le droit de ne pas tweeter cette pensée qui te traverse l’esprit » (par l’hôte du très bon podcast Conversations with people who hate me, que je te conseille chaleureusement !)
Perso, j’ai remarqué que non seulement répondre un bon « Ferme ta gueule » n’apaise pas ma colère, mais en plus, après coup, je me sens un peu sale parce que ça ne me ressemble pas de parler comme ça.
On ne peut pas être d’accord avec tout le monde. On. Ne. Peut. Pas. Être d’accord. Avec. Tout le monde.
À lire aussi : « Si t’es en colère tout le temps, tu peux pas être bienveillant avec les autres »
Parfois, tu n’es simplement pas la cible d’une parole ou d’un article. Accepte-le et passe ton chemin. Si besoin, mute ou bloque l’accès à ce canal.
Ton toi du futur te remerciera.
Sois à l’écoute de ta fatigue militante
J’en ai parlé récemment sur Rockie : quand on passe son temps à défendre une cause, il arrive qu’on atteigne un point de rupture.
Pour éviter de péter un câble, rien ne vaut de prendre un peu de recul et de faire une pause.
Tu peux ainsi travailler sur la gestion de ton sentiment d’injustice, te recentrer sur toi, identifier pourquoi tu t’engages et réapprendre à t’entourer de personnes qui t’encourageront tout au long de ton chemin.
Cela va peut-être t’amener à te déconnecter des réseaux et à trouver de nouvelles façons de t’occuper. Un mal pour un bien, non ?
Défoule-toi en privé quand Internet te met en colère
Je ne suis pas parfaite : parfois, je juge et j’ai VRAIMENT besoin d’évacuer ma colère.
Plutôt que de le faire sur la personne qui m’agace, j’envoie une capture du message incriminé et une réplique bien salée à mon mec – qui partage majoritairement mes opinions.
Ça a parfois un effet cathartique et se marrer ensemble fait retomber les tensions tout en évitant de faire du mal à la personne qui m’énerve.
Ce n’est pas idéal, mais parfois, on n’a pas d’autre choix que d’évacuer !
Si besoin, adresse-toi à la personne en privé
Plutôt que de diffuser de la colère et de l’indignation sur les réseaux sociaux, tu peux essayer de contacter la personne t’ayant mise en colère, dans un canal privé.
Exprime-lui tes questions et remets de l’humain en lui expliquant ce que ça a suscité chez toi. Pourquoi a-t-elle écrit ça ? Qu’a-t-elle voulu dire ?
Laisser le bénéfice du doute aux gens et leur donner la possibilité de s’expliquer, c’est la base des interactions humaines « dans la vraie vie », alors pourquoi s’en passer dans nos vies numériques ?
L’empathie ne s’arrête pas là ou le Wi-Fi commence.
Mets-toi à la place de la personne qui t’a mis en colère sur Internet
C’est pas le plus facile à faire. Mais rappelle-toi d’une chose.
Tout le monde fait ce qu’il peut. Tout le monde espère vivre dans un monde meilleur.
Ces affirmations d’une banalité confondante, on a tendance à les oublier quand notre route croise celle d’une personne qui ne semble pas penser comme nous.
Pourtant, face à nous, nous avons des humains, avec leurs histoires, leurs limites et leurs façons de gérer les choses.
Qui sommes-nous pour les juger, alors que nous ignorons un quart, la moitié voire la totalité de leur identité, de ce qui les construit ?
Je n’ai pas envie d’être jugée, attaquée ? Ça commence par ne pas juger et attaquer les autres. Et par me mettre dans les bottes de la personne qui recevra mon message.
Et souvent, ça m’amène à l’effacer avant de l’envoyer, ce message.
La cause de la négativité des réseaux sociaux ? C’est nous
Tu as remarqué ?
Aucun des conseils que je viens de dérouler ne vise directement les plateformes que nous utilisons aujourd’hui pour communiquer.
Et pour cause : le changement ne viendra pas des technologies de communication que nous utilisons au quotidien.
Il viendra de nous.
De notre propre capacité à identifier les mécanismes dans lesquels ces réseaux nous enferment — au détriment, souvent, de notre santé mentale.
Ça vaut pour Twitter, les commentaires Facebook mais aussi pour les vidéos que nous consommons sur YouTube ou les contenus auxquels nous réagissons sur Instagram.
Il ne tient qu’à nous de renverser la tendance. D’ignorer les trolls, les personnes qui ne partagent pas nos opinions, les médias dont nous ne sommes pas la cible.
Internet n’est qu’un outil aux services de milliards d’êtres humains qui ont le pouvoir de le façonner selon leur souhait. À nous d’élever le niveau.
Et toi, quels sont tes tips pour éviter de t’énerver sur Internet ? Viens les partager dans les commentaires !
P.S. de Mymy : si le sujet t’intéresse, fonce voir Right now, le nouveau one-man show d’Aziz Ansari sur Netflix, qui en parle très bien !
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