Précédemment dans #62jours : Le regard des autres n’est pas un tribunal
Comment t’as pu oublier ça ? La chaleur du soleil sur tes paupières fermées, la caresse des rayons sur ta peau graissée par la crème solaire, salée par la sueur.
Comment t’as pu oublier le sourire qui étire tes lèvres quand tu termines une ascension, et que le panorama devant toi dévoile un océan d’alpages ? Ce vert velouté, qui recouvre les aspérités des géants endormis. Et cet azur, dans lequel tu te noies dès que tu lèves les yeux, tant il y a de ciel tout autour de toi.
Comment t’as pu oublier l’ivresse de l’altitude, l’addiction à l’effort, la bénédiction d’un moment de détente à l’issue d’une rude journée ? La sensation que ton corps tout entier se réveille, un mouvement après l’autre. Douloureuse mécanique, qui ne demande qu’à être mieux huilée. Jour après jour, sa puissance s’exprime, un petit pas à la fois.
Comment t’as pu oublier la vague d’humilité qui te submerge chaque fois que tu lèves les yeux vers ces sommets cent fois millénaires, leurs arêtes effilées, leurs crêtes ciselées, leurs monts enneigés ?
Tu t’en souviens parce que c’est frais. Mais t’as déjà oublié la richesse des coraux, le goût du sel sur tes lèvres gercées par les plongées successives.
T’as oublié les couleurs du poisson perroquet et de la faune qui prolifère sous les rayons du soleil. La tiédeur des premiers mètres, les courants froids qui te surprennent lorsque tu t’enfonces dans le bleu.
T’as oublié l’oeil méfiant mais curieux des requins de récifs, l’espièglerie des poulpes et la témérité des poissons clowns.
Pourquoi t’as oublié tout ça ?
Je vais te le dire. C’est
parce que tu confies tes souvenirs à la carte mémoire de ton téléphone, au lieu de les porter au plus près de toi. Tu les archives dans un sous-dossier de ta mémoire, lorsque tu devrais plutôt t’en tapisser le front.
Qu’à chaque fois que tu fermes les yeux, ce soient ce vert velours clair et ce bleu des mers d’Indonésie (ou du ciel des Alpes) qui te viennent à l’esprit.
T’as pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver le bonheur.
Tu l’as déjà devant les yeux, mais c’est comme la caresse des rayons du soleil : tu oublies. Tu oublies l’odeur du café qui envahit ta cuisine, tu oublies les couleurs de l’aube sur Paris, l’odeur de la pluie qui frappe le béton à grosses gouttes un soir d’été.
Tu oublies le goût d’une bière fraîche, le tintement des verres, les regards et les sourires qu’on croisent — mais pas les verres, qu’on trinque en rigolant.
Le bonheur que tu cherches est déjà devant toi
T’oublies tous les petits bonheurs qui émaillent ton quotidien, insignifiants carreaux d’une mosaïque qu’il ne tient qu’à toi de composer. Mais voilà, toi, tu retiens la puanteur des stations de métro, le goût âpre de la pollution qui dicte tes horaires de running.
Tu retiens le prix de la bière en terrasse, la durée du trajet pour rejoindre tes potes.
Tu retiens le bruit et les nuisances de Paris, tout ce que chaque jour t’apporte de micro-frustrations, qui sont autant de petites fissures dans ta mosaïque.
Tu te dis qu’il suffirait de changer d’air, de changer de vie pour être vraiment heureuse.
Mémo : n’oublie pas d’ouvrir les yeux
Tu voudrais changer le dessin que tes petits carrés de bonheur composent, mais j’ai un scoop pour toi : ça changera rien. De toute façon, tu ne le regardes pas, ce dessin.
Tu oublieras les plages d’Asie et les vallées savoyardes comme tu as oublié Montmartre et la Butte aux Cailles, tous ces endroits de Paris qui te faisaient sourire ou verser une larme, selon tes humeurs lorsque tu les arpentais.
Mémo pour ne plus jamais oublier les bonheurs du quotidien : ne les oublie pas. C’est aussi simple que ça. Toute l’énergie que tu investis chaque jour à compiler tes emmerdes et tes tuiles, tu peux désormais la diriger dans cette nouvelle entreprise : remarquer, apprécier, et cataloguer tous les bonheurs du quotidien.
Tu verras que ta mosaïque ne pâtira pas des quelques griffures qui fissurent son émail, par endroit.
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