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Jeune femme devant une tasse
Santé

Adolescente, j’ai été anorexique. Je n’en ai jamais été « guérie ».

Adolescente, cette lectrice a été anorexique. Elle pensait en être sortie jusqu’à ce qu’elle rechute, sept ans plus tard. Elle nous raconte son parcours, avec ce message important : les troubles du comportement alimentaire ne disparaissent jamais vraiment, mais on peut les dompter et s’en défaire.

Je me suis toujours demandé pourquoi on ne parlait pas davantage de l’anorexie. Pourquoi le sujet restait un tabou, un secret dans les familles.

La maladie est dans ma famille depuis au moins deux générations : la mienne, et celle de ma mère. Est-ce que c’est une coïncidence, ou une fatalité entre mère et fille ? Selon les médecins, il n’existe aucune corrélation génétique, en tout cas. Moi, j’ai été atteinte d’anorexie à l’adolescence. Sept ans plus tard, alors que je croyais en être débarrassée, j’ai failli replonger dans ses méandres.

Le divorce de mes parents, élément déclencheur de l’anorexie

On ne choisit pas de tomber malade ; je n’ai pas choisi de tomber malade. C’est un événement perturbateur qui vient déclencher l’anorexie. Un élément qui vient rompre l’équilibre fragile qui nous tient la tête hors de l’eau, et qui engloutit notre part rationnelle.

Ma mère en ayant été atteinte au même âge que moi, je pensais impossible que cela m’arrive aussi : je refusais de reproduire ce mécanisme autodestructeur… et pourtant.

Je me souviens très bien de cette période, l’âge ingrat, l’âge de l’adolescence. Les réseaux sociaux avaient commencé à faire leur apparition et promouvaient une beauté fausse, accentuant les complexes de beaucoup de jeunes filles. Mais ce n’est pas ce qui a déclenché ma maladie, malgré les fausses croyances en ce sens.

Pour moi, ce fut le divorce de mes parents. À cet âge, on n’imagine pas ne plus voir l’un de ses parents, ne plus avoir aucune nouvelle pendant des mois sans aucune explication. Mon père était parti. Nous laissant seuls, me laissant seule. Abandonnée.

« Personne n’a rien vu venir »

À la suite de cela, j’ai ressenti beaucoup d’incompréhension et de colère. Pendant ces mois, j’ai eu l’impression que mon père nous avait rayés de sa vie, ma mère, mes frères et moi. Un sentiment insupportable pour une enfant… Comment accepter à cet âge le fait que votre famille se déchire devant vos yeux et que rien ne sera plus comme avant ? Il n’y avait rien à faire, et j’étais une spectatrice au milieu du chaos.

Cette année-là, mes règles se sont arrêtées. Le choc émotionnel était trop important. J’avais passé une année horrible dans un lycée que je détestais, et j’étais en plein milieu du divorce, ballotée entre deux camps telle une marionnette. L’anorexie est venue s’immiscer dans ma vie quelque temps après.

On me confiait des secrets, beaucoup trop de choses pour une adolescente. Je ne voulais pas créer de problème, ou inquiéter qui que ce soit. Alors je me suis faite toute petite, et je n’ai rien dit. J’ai encaissé les mots et les dires de chacun et me suis contentée d’être une bonne élève, d’être « forte ». Et personne n’a rien vu venir.

Mentir sur son alimentation

J’avais besoin d’être parfaite, de tout contrôler alors qu’autour de moi, tout s’effondrait.

J’ai commencé à réduire mon alimentation : j’ai arrêté les goûters, les féculents et puis diminué les quantités. Personne ne faisait vraiment attention à ce que je mangeais et au lycée, on juge que tu es assez grande et on ne te surveille pas. Une aubaine pour la maladie. À la maison, face aux proches qui remarquaient que je mangeais moins il fallait inventer des excuses. « Je ne me sens pas bien », « J’ai trop mangé ce midi », « J’ai un petit estomac » ou encore « J’ai goûté il y a une heure ». Le mensonge pendant la maladie est malicieux, infatigable, indomptable. Il agit comme il l’entend et ne se repose jamais …

Plus le temps passait, plus j’avais ce besoin de contrôle. Ça commence par compter le nombre de calories, les diminuer chaque jour. Contrôler sa faim, son corps qui réclame en buvant des litres d’eau. Mais il y a aussi l’envers du décor face à la nourriture qui devient une obsession angoissante. Je culpabilisais tellement, quand je mangeais… J’avais l’impression que chaque bouchée allait se transformer en graisse, se loger dans mes hanches, dans mes fesses. J’avais peur de grossir. Face au miroir, j’avais toujours l’impression d’être trop grosse, d’être énorme.

Une lutte autodestructrice contre la faim

Pendant toute cette période, la nourriture me dégoûtait et manger devenait un supplice, une bataille contre moi-même. J’avais l’impression qu’une seule bouchée pouvait me brûler de l’intérieur, me consumer toute entière, mais j’adorais la sensation du jeûne. Dans ces moments, j’oubliais toute souffrance, j’avais l’impression d’être légère comme une plume.

J’étais tellement fière de réussir à dompter la faim. Mais elle ne disparaît jamais vraiment, elle laisse un vide qu’il faut combler. Par l’eau et le café. La seule chose qui prédomine, c’est le vide. Mon corps était vide, sonnait creux.

La perte de poids n’est pas uniquement visible, elle se ressent par le froid permanent, l’impossibilité à me réchauffer. Ni les chaussettes en laine ni les gants de soie. RIEN. J’avais froid. Elle se ressent dans l’hyperactivité intellectuelle et physique, pour ne pas penser à la faim, à ce corps que l’on détruit. Courir sous 30°C avec un pull devient récurrent, réviser ses cours jusqu’à les connaître par cœur est indispensable.

Ma prise de conscience de la maladie

Pour se détacher de la maladie, il faut d’abord accepter d’être malade, d’être vulnérable.

Prendre conscience qu’en réalité on ne contrôle rien du tout. Rien.

Le jour des résultats du bac, je venais d’avoir une mention très bien. J’étais tellement fière de ne pas avoir travaillé pour rien. Ce soir, on a fait la fête, et j’avais passé mon après-midi à cuisiner.

Bien évidemment, je n’ai pas mangé grand-chose et me suis contentée de boire. Sauf que boire de l’alcool sans rien manger et surtout dans un corps aussi faible que le mien n’était certainement pas une bonne idée. J’ai passé la fin de la soirée dans les toilettes, beaucoup trop vulnérable. C’est là que j’ai su. J’ai su que je n’allais pas bien. J’ai beaucoup pleuré, car oui, je n’allais pas bien et il était temps que je le réalise.

Avec cette mention, je voulais que mon entourage soit fier de moi. Mais la personne que je voulais rendre fière par-dessus tout, à cette époque, c’était mon père. Je voulais qu’il me dise qu’il était fier de sa fille, qu’il la soutenait dans le choix de ses études, et qu’il serait toujours là pour elle. Je n’ai rien eu de tout cela, juste un « C’est ce que tu voulais de toute façon ». Pas de félicitations, pas de « Tu le mérites, tu as travaillé dur », et surtout aucune fierté.

Cette simple phrase lourde de sens m’a remis la réalité en pleine face. Elle m’a rappelé que je n’aurai rien dû attendre de lui ; que je ne devais pas me rendre malade pour lui, pour qu’il sache que j’existe. Ce jour-là, j’ai compris qu’il n’en valait pas la peine, que je devais penser à moi. Accepter de construire une vie sans figure paternelle, accepter de lâcher prise, accepter de perdre le contrôle sur une situation que je ne contrôlais déjà plus, et ce, depuis longtemps.

Après cette prise de conscience, j’ai repris du poids

J’ai repris quelques kilos pendant l’été qui a suivi, et je l’ai très mal vécu. J’essayais de ne pas m’en soucier, mais j’avais ma balance sous les yeux à longueur de temps.

Quand je suis entrée en études supérieures, je suis partie à 60km de tout. De ma famille, du divorce de mes parents. Je n’avais plus à me soucier de personne à part moi. J’ai eu la chance de pouvoir me lancer dans des études qui me passionnaient, et une nouvelle vie s’offrait à moi comme une bouffée d’oxygène : je pouvais me créer de nouvelles habitudes, supprimer tout doucement les anciennes.

Surtout, je n’avais plus mon objet de torture qu’était la balance. Elle me hantait toujours, il n’y avait pas un repas où je n’y pensais pas, mais elle n’était plus là pour me faire de l’œil et me dire que j’avais grossi. Je mettais mon énergie dans autre chose que dans ma propre destruction.

Le combat pour sortir de l’anorexie

Penser que l’anorexie se guérit en un claquement de doigts est une croyance erronée. C’est un combat de longue haleine contre ses voix intérieures, contre ses habitudes bien ancrées, contre le contrôle.

Entreprendre le chemin de la guérison, c’est fissurer la carapace de l’anorexie, la rendre vulnérable, en « colère ». Penser que l’on peut s’en sortir seul est faux. On a besoin de nos proches, de leur soutien, besoin de leur faire confiance à nouveau. Sortir des mensonges, et arrêter de penser qu’ils ne comprendront jamais.

Reprendre du poids, c’est aussi faire changer son corps et le voir se transformer. Est-ce que c’est plus facile à accepter ? Bien sûr que non. Sinon il serait très simple de gagner contre l’anorexie. C’est l’une des choses les plus délicates.  Apprendre à aimer son corps, à aimer ce que l’on perçoit dans le miroir est un long chemin contre la dysmorphophobie. Il faut prendre le temps de réaliser que le corps que l’on perçoit n’est pas réellement le nôtre, n’est pas la réalité.

L’autre combat s’est joué contre moi-même. Il fallait réapprendre à rire, à sourire, à vivre tout simplement. Pendant toute cette période, j’étais devenue infernale, exécrable. Une seule réflexion pouvait me mettre hors de moi, devenue beaucoup trop sensible aux influences extérieures.

Se détacher du regard des autres

Il faut également se battre contre le regard de votre entourage qui ne comprend pas la maladie. Ceux qui vous font sans cesse des réflexions sur vos habitudes, votre apparence. Je me souviens des « Force-toi un peu », « Regarde-toi, on dirait un squelette ambulant », « Faut prendre un peu de graisse » et la pire de toutes : « Tu le fais exprès pour que l’on s’intéresse à toi ? » J’avais envie de hurler, de leur dire de me laisser crever, que ce n’était pas si simple, que je souffrais. Je voulais juste qu’on me foute la paix.

Il faut du temps pour guérir, pour que notre corps mais surtout notre tête accepte de changer d’état d’esprit. Je suis tombée malade, et je ne l’ai pas fait exprès.

L’anorexie est une maladie qui effraie, qui dégoûte. Autour de nous, les gens ne savent pas quel comportement adopter. Le plus dur reste de guérir face aux préjugés, au regard des autres. Se battre contre leur incompréhension face à cette maladie qui nous emprisonne.

On ne guérit pas de l’anorexie

Aujourd’hui quand je parle de la maladie, la première chose que les gens me demandent, c’est si je suis guérie. Concrètement et selon les médecins, je peux dire que je ne suis plus atteinte d’anorexie. Dans les faits, je ne pense pas qu’on puisse en guérir entièrement.

On apprend à vivre avec des habitudes qui sont moins virulentes qu’au moment de la maladie comme on pourrait le faire pour une autre pathologie du domaine psychiatrique. Par exemple, il peut arriver que dans une journée, je me pèse cinq fois ou plus alors que la veille, je n’ai pas mis un pied sur la balance. Les obsessions pour l’apparence, le poids et tout ce qui touche à l’alimentation restent présentes tout le temps.

Il faut bien avoir en tête qu’il ne suffit pas d’atteindre un poids « convenable » pour se dire guérie. On apprend à dompter la maladie, pour ne pas se faire engloutir à nouveau.

Sept ans plus tard, j’ai rechuté

Je ne pensais pas retomber dans les méandres de l’anorexie un jour, et pourtant. Sept ans plus tard, après plusieurs ruptures avec un homme que j’ai énormément aimé, je me suis sentie rechuter.

Comment peut-on replonger alors que l’on connaît ses faiblesses, et les mécanismes de la maladie ? Pour ma part, cette rechute a été un mécanisme de défense. J’ai subi un choc émotionnel que je n’arrivais pas à exprimer verbalement, et c’est mon corps qui a exprimé ma souffrance…

Cet homme m’a énormément menti, sur lui, sur la vie qu’il menait. J’ai appris qu’il avait quelqu’un d’autre dans sa vie, une compagne officielle. J’étais tellement amoureuse que je n’ai rien voulu voir, et quand je l’ai découvert  j’ai quand même continué à le vouloir dans ma vie en espérant que les choses changent.

Je me sentais pitoyable de rester là à l’attendre, à attendre qu’il me choisisse ou qu’il veuille bien de moi dans sa vie. Je n’arrivais pas à m’exprimer, et à défaut de pouvoir faire face à mes émotions, mes vieux démons sont revenus. Un jour, j’ai réalisé qu’en un an et demi, j’avais perdu 12 kilos.

Cela fait maintenant deux ans que je lutte à nouveau contre la maladie. Je travaille sur mon estime de moi, sur la vision de mon corps et sur la manière dont j’exprime mes émotions. Entre-temps, j’ai réalisé qu’on n’en parlait pas plus qu’il y a sept ans, et que le tabou des TCA était toujours bien présent. Alors, j’ai décidé d’ouvrir la parole.

Ouvrir la parole, c’est se donner le droit d’être malade. L’anorexie ne doit pas être une honte. L’anorexie dénote d’une souffrance profonde, c’est un cri silencieux. On n’en guérit jamais, mais on apprend à ne pas lui laisser de place, à la dompter, à la surpasser.

 

On a tendance à imaginer l’anorexie mentale comme un trouble du comportement alimentaire touchant seulement les adolescentes, sans penser l’existence de la maladie chez l’adulte. Pourtant, comme l’affirme cette lectrice, la « guérison » n’est pas un terme approprié pour parler de l’anorexie. Karen Demange, psychologue clinicienne spécialisée en TCA, explique :

Chaque personne voit la guérison comme d’une manière différente : une patiente n’aura pas les mêmes critères de guérison que les différents soignants autour d’elle ou que ses proches. Plutôt que d’utiliser ce terme définitif, on parle plutôt de « rémission de symptômes », qui correspond au moment où nous décidons, mes patients et moi, de cesser la thérapie. Mais il arrive que suite à des bouleversements, ces symptômes se réveillent.

Les troubles alimentaires sont corrélés aux émotions, et même en travaillant sur soi, on ne peut pas présumer de la manière dont nous pourrons réagir aux événements de l’avenir. C’est pour cela que le travail de thérapie est indispensable : on développe pour les patients et patientes des outils qui peuvent évoluer avec le temps. En cas de fragilité ou de doute, quand ces outils ne sont plus suffisants, il est important qu’ils et elles puissent chercher et trouver de l’aide, pour éviter de se mettre à nouveau en danger.

Si vous êtes concernée par l’anorexie ou que vous vous inquiétez pour un ou une proche, vous pouvez contacter Anorexie Boulimie Info écoute, au 0810 037 037. 

À lire aussi : Je suis un homme, et j’ai des troubles du comportement alimentaire depuis mes 10 ans

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Les Commentaires

11
Avatar de jujudu13
11 juin 2021 à 17h06
jujudu13
J’ai une histoire similaire dans le sens ou ma mère et ma grand-mère ont aussi souffert d’anorexie - et sans parler de génétique je suis convaincue que ce n’est pas une coïncidence. Je ne pense pas avoir « choisi » d’exprimer mon mal être de cette façon par hasard.
En tout cas comprendre grâce à ma psy que je m’inscris dans cette histoire familiale (du côté paternel mes grand-parents sont au régime depuis 2 décennies) m’a beaucoup aidé et j’espère que ça veut dire que ça s’arrête avec moi.
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