2006. Université d’Oxford. Alors que tout le monde est en train de lire le dernier Harry Potter et d’écouter MGMT, Oliver Quick, un étudiant boursier, se lie d’amitié avec Felix Catton, un golden boy. Touché par la situation familiale de son nouvel ami, qui vient de perdre son père, Felix l’invite à passer l’été à Saltburn, la luxueuse maison de campagne de sa famille. Oliver fait connaissance de Sir James et Lady Elspeth, les parents extravagants, Farleigh, un cousin américain qui voit son arrivée d’un mauvais œil, Venetia, la sœur tourmentée de Felix, et Pamela, une amie de la famille dépressive, dont la date d’invitation a expiré depuis un moment. Les soirées orgiaques, conversations perchées et frustrations sexuelles s’enchaînent durant cet été brûlant, qui va tourner au cauchemar.
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Un film d’apparat
Saltburn a beau nous plonger au milieu des années 2000, ce film parle de notre société. Autant dans son rapport de fascination / dégoût envers les ultra-riches, grand sujet de diverses oeuvres récentes (Sans filtre, Succession, White Lotus, Parasite…) que dans son esthétique à la Euphoria, ou dans ses romances queer non-étiquettées. Cadrage inspiré, sublime photographie, bande-son rétro (Bloc Party, Arcade Fire, Sophie Ellis-Bextor)… Chaque plan hautement instagrammable de ce tableau tragi-gothique est réfléchi, tel un long clip qui capture une époque pas si lointaine et déjà fantasmée. Le Guardian évoque un film qui repose sur ses vibes. Sur Twitter, ses qualités formelles sont saluées par des fans conquis.
Parmi les inspirations de Saltburn, les critiques évoquent Le Talentueux Mister Ripley ou le roman anglais Retour à Brideshead. Esthétiquement, les scènes dans le jardin résonnent aussi avec celles du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, autre cinéaste prompte à installer des vibes, à qui on reproche une certaine superficialité. Ici, l’opulente cinématographie de Saltburn n’est pas vaine, elle reflète le pouvoir d’attraction de la famille Catton sur Oliver. Emerald Fennell cite de son côté Orange Mécanique, Sexe Intentions et le roman Le Messager, de PJ Hartley.
Le casting est parfait : Rosamund Pike, servie par les meilleures répliques du film, brille en aristo sans filtre. Le duo formé par l’inquiétant Barry Keoghan et le poster boy naïf Jacob Elordi fonctionne aussi à merveille. Saltburn possède tous les atours d’un objet séduisant et un brin clinquant.
Une gentille satire de classe
Au-delà de ses fameuses vibes, Saltburn est-il à la hauteur d’une promo qui nous promettait de manger les riches ? Certes, le film expose avec un humour féroce la vacuité des Catton et leur obsession à conserver les apparences en toutes circonstances. Il leur faut des histoires misérabilistes – comme celle que leur sert Oliver, avec sa mère junkie – pour vaguement les toucher. Mais leur candeur et la façon dont ils se retrouvent aisément manipulés par Oliver les rendent presque sympathiques.
De son côté, Oliver Quick, référence évidente à Oliver Twist, le héros pauvre et débrouillard du roman de Charles Dickens, est un “rapide” comme son nom l’indique. Il veut rapidement accéder à la richesse, quitte à opter pour des méthodes illégales, comme le crime. Il semble incarner une figure de pauvre qui va infiltrer les ultra-riches, jusqu’à les consumer. Deux scènes choc illustrent littéralement cette idée. En vampire des temps modernes, Oliver rejoue une scène du Dracula de Coppola (le viol de Lucy par Le Comte) avec Venetia, dans les jardins de Saltburn plongés dans le noir. Il installe un jeu de domination malsain, la pénètre digitalement, avant de goûter son sang menstruel. Dans une autre scène, c’est le sperme de Felix qu’il tente de lécher au fond de la baignoire.
Un twist prévisible nous révèle que les parents sont en vie et vivent dans une banlieue résidentielle cossue. Oliver n’est donc pas dans le besoin. Il représente plutôt ce papillon attiré par la lumière, ce mec honteux de sa classe sociale moyenne terne, qui rêve de pouvoir et de richesse. La réflexion sur les classes sociales s’arrête ici. Il faut dire qu’Emerald Fennell, qui vient elle-même d’un milieu très aisé, a peut-être des angles morts sur ce sujet.
Le désir obsessionnel, vrai sujet du film
Pour la réalisatrice, Saltburn n’est d’ailleurs pas un film sur la lutte des classes, mais sur le rejet amoureux. “J’ai toujours pensé que ce film était juste le résultat de ce qui arrive quand on n’est pas aimé en retour. Si Felix l’avait aimé en retour, rien de tout cela ne serait jamais arrivé.” a-t-elle confié à GQ. Au début du film, Oliver estime qu’il n’a jamais aimé Felix. C’est vrai qu’il semble davantage fasciné par ce que dégage Felix que par ce qu’il est. Toutefois, il nourrit une véritable obsession.
Si Oliver ouvre et ferme la narration du film, on a très peu accès à son intériorité. En revanche, plusieurs scènes ont pour but de nous faire ressentir, physiquement, l’étendu du désir d’Oliver pour Felix. Celle de la baignoire (elle commence par Felix qui se masturbe), mais aussi tous ces plans qui magnifient le jeune homme solaire. Et évidemment la scène du cimetière, qui en a choqué plus d’un·e sur les réseaux sociaux, durant laquelle Oliver s’allonge sur la tombe de Felix, enlève ses vêtements et finit par lui “faire l’amour”.
Le vrai problème du film, c’est finalement ce dénouement, qui fait d’Oliver le cerveau machiavélique de l’histoire dans un rebondissement une nouvelle fois prévisible. Cela l’inscrit dans un long continuum de figure de méchants queer. D’autant plus quand on parle de personnages bisexuels : de Catherine Tramell dans Basic Instinct à Villannelle dans Killing Eve (Emerald Fennell était showrunneuse de la saison 2), Hollywood aime à mettre en scène des protagonistes bisexuels manipulateurs, criminels et sexuellement insatiables. Oliver utilise son orientation sexuelle comme une arme, au moins avec Venetia et Farleigh. Et il fait des trucs hyper weird. Quant à Felix, on ne sait pas s’il veut être lui, ou être avec lui. Un peu des deux sûrement.
La fameuse scène de danse, qui conclut le film et a régalé Tik Tok, fait écho à celle de Hugh Grant dans Love Actually ou d’Oscar Isaac dans Ex-Machina. Elle est fun et vous colle Murder on the dance floor dans la tête pendant plusieurs jours, mais aussi un peu facile et vaine. Oliver est devenu riche, certes, mais il est seul et il a tué la seule personne qui comptait vraiment à ses yeux. Une scène un peu plus douce-amère eut été plus cohérente.
Ultra-référencé, divertissant et visuellement étourdissant, Saltburn manque parfois de profondeur et n’est pas aussi malin qu’il le croit. Mais le film touche aussi du doigt cette obsession dévorante et malsaine que l’on peut avoir pour des choses ou des personnes inatteignables. Dans les prochaines années, il pourrait bien atteindre un statut culte pour toute une génération.
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Les Commentaires
C'est dommage y'a de bonnes idées de scènes bien cheloues, je pense que ça aurait été pour moi moins décevant avec un ton différent et une construction de film sans twist nul (ça aurait mieux fonctionner en voyant les meurtres au fur et à mesure).