C’est un bras de fer qui dure entre l’association Alliance Citoyenne et la mairie de Grenoble. Un bras de fer qui ne semble pas près de trouver une issue, si l’on en croit le dernier coup de théâtre en date, à savoir la démission d’une élue de la majorité municipale, Chloé Le Bret, adjointe à l’Égalité des droits.
Depuis plusieurs années, Alliance Citoyenne tente de faire évoluer les règlements des piscines de la ville afin que tous les Grenoblois et Grenobloises puissent s’y rendre, quelque soit leur tenue.
C’est plus précisément le maillot couvrant qui cristallise des tensions, souvent nommé burkini dans les médias, notamment depuis l’été 2016 où plusieurs maires de France avaient pris des arrêtés interdisant les tenues religieuses à la plage. Le maillot couvrant est en effet interdit des piscines de Grenoble, sous couvert de « considérations liées à l’hygiène et à la sécurité ». En France, son port est par exemple autorisé à Rennes, une décision qui avait alors divisé le conseil municipal en 2018.
En juillet dernier, Madmoizelle rapportait une action de désobéissance civile menée par Alliance Citoyenne dans une piscine grenobloise pour réclamer le droit de pouvoir barboter en paix, quelle que soit sa tenue.
Six mois plus tard, les choses semblaient sur le point d’évoluer, Alliance Citoyenne ayant décidé de reprendre la discussion avec la mairie via un autre moyen : l’interpellation citoyenne.
Le règlement des piscines mis au programme de la démocratie locale
En 2021, la ville de Grenoble, dirigée depuis 2014 par le maire écologiste Eric Piolle, a remis en place le dispositif d’interpellation citoyenne (initialement lancé en 2016, il avait été annulé par une décision du tribunal administratif).
Conçu comme un moyen pour les habitants de renouer avec les élus et d’être acteurs de la vie démocratique locale, ce dispositif permet de demander « la mise à l’agenda d’un problème public, ou la modification, le rejet ou la création de décisions ».
Le processus se déroule en trois étapes. Après avoir été mise en ligne, la proposition doit recevoir un certain nombre de soutiens des habitants pour passer différentes étapes : au bout de 50 signatures, il est possible d’initier une médiation citoyenne avec des élus et des agents de la ville. Au bout de 1000 signatures obtenus sous trois mois, la proposition passe en ateliers d’initiative citoyenne face à une vingtaine de Grenoblois et Grenobloises tirés au sort. Enfin, si dans l’année qui suit la publication en ligne de la proposition, celle-ci obtient 7922 signatures, l’équivalent de 5% de la population de la ville, une consultation citoyenne pourra être organisée.
« Pas de problèmes d’hygiène et de sécurité »
Une façon idéale pour Alliance Citoyenne de remettre sur la table la question de l’accès à la piscine pour tous et toutes, qui a donc présenté sa proposition en septembre 2021 sous le titre : #MonCorpsMonChoixMonMaillot: pour la suppression des notions de longueur de maillot dans le règlement des piscines municipales de Grenoble :
« Cette pétition a pour objectif d’obtenir la suppression des notions de longueur de maillot de bain dans les règlements des piscines municipales de Grenoble. En effet, le règlement actuel exclut toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans le port d’un maillot de bain dit “féminin et traditionnel”. »
Les 50 signatures, nécessaires pour franchir le premier pallier, Alliance Citoyenne les a obtenu sans grande difficulté, relatent Yasmina et Amel, toutes deux membres de l’association.
Les échanges lors de la première médiation du 20 octobre se sont bien passés : « On a pu travailler pour faire évoluer les idées au sein des élus, apporter des éléments prouvant qu’il n’y a pas de problème d’hygiène et de sécurité », racontent les deux militantes à Madmoizelle.
Alliance Citoyenne a en effet produit un rapport montrant les effets de l’interdiction des maillots de bain couvrants, notamment sur la question de l’autonomie des femmes. Il déconstruit aussi l’accusation de « repli identitaire » qui pèsent sur les femmes qui souhaitent adopter cette tenue :
« Ceux qui accusent ces femmes d’être des islamistes méconnaissent la diversité qui traverse la communauté musulmane. À cause des terroristes qui s’en réclament, à cause des attentats, l’islam fait peur. Cette peur génère la crainte d’un agenda caché derrière ces femmes qui demandent le droit de se baigner avec leurs enfants. En réalité, les interdictions, les exclusions et le sentiment d’injustice qui les accompagnent favorisent la radicalisation quand la mixité et la tolérance encouragent le vivre-ensemble. »
Mais le ton a changé lors de la seconde médiation, qui s’est déroulé le 19 janvier dernier. « Le cabinet du maire s’est invité au dernier moment, les élues n’étaient pas au courant, on a eu l’impression d’être surveillées », affirment Yasmina et Amel.
Selon elles, la cheffe du cabinet du maire a été très « virulente ».
À l’issue de la rencontre, la ville affirme finalement ne pas pouvoir « s’engager à faire évoluer le règlement des piscines », peut-on lire dans le compte-rendu de la médiation.
Pour la conseillère municipale déléguée à l’Égalité des droits Chloé Le Bret, cette deuxième médiation a aussi été vécue comme une violence : « Je l’ai vécu comme une défiance et une rupture de confiance », explique l’élue, qui a choisi de démissionner de ses fonctions.
Du temps, encore du temps, réclame la mairie
La mairie demande encore du temps pour réfléchir à la question de réviser le réglement des piscines de la ville. Une demande difficilement entendable pour Alliance Citoyenne qui, si elle reconnait la qualité des échanges lors de la médiation, a le sentiment d’avoir été baladée.
« Ça fait trois ans qu’on a commencé cette campagne, ce n’est pas comme si on les prenait au dépourvu », rétorquent Yasmina et Amel.
Les militantes d’Alliance Citoyenne se sentent aussi flouées quant à la manière dont on leur a présenté l’interpellation citoyenne : « On nous l’avait vendu, en nous disant “si vous le faites, ça force la ville de Grenoble à donner une réponse claire. » Mais à ce stade, et après des mois de mobilisation, c’est la lassitude qui l’emporte pour Yasmina et Amel.
Le processus d’interpellation citoyenne n’est pas terminé pour d’Alliance citoyenne, la proposition ayant récolté plus de 2000 soutiens, et pourra donc être présentée lors d’un atelier citoyen. Reste que la frilosité et la lenteur de la mairie laisse un goût amer aux militantes, comme à l’élue Chloé Le Bret :
« Pendant mes premières années de mandat, j’ai fait tout ce que je pouvais pour dire que ce n’est pas une question de laïcité, mais une question d’égalité de tous et toutes devant le service public. Depuis 2018, ce dossier n’a pas été traité, on est en 2022, et on dit à nouveau qu’il faut le temps de la réflexion », déplore la conseillère municipale.
Censurée et empêchée, une élue démissionne
En claquant la porte du conseil municipal, l’adjointe à l’Égalité des droits renonce à changer les choses de l’intérieur :
« Je ne fais pas de la politique pour faire de la politique. Je suis rentrée dans l’institution avec des buts, on ne me permet pas d’atteindre ces buts là, on me censure, on me dit de me taire, on ne me permet pas d’aller au bout, alors je sors de l’institution. »
Une déception pour Alliance Citoyenne, qui voit partir un soutien de longue date au conseil municipal, très mobilisé sur ce dossier :
« On perd une alliée au sein de la mairie », regrettent Amel et Yasmina. « Personne ne porte le sujet comme elle le porte, pour en parler, pour pousser à se positionner. Sa démission, ça montre un engagement hyper fort, c’est une alliée et elle le montre publiquement. »
Pas une question de laïcité
Contactée par Madmoizelle, la mairie de Grenoble n’a pas commenté le départ de Chloé Le Bret ni les raisons invoquées, et nous renvoie vers le communiqué de la majorité.
Chloé Le Bret regrette que le sujet ne soit perçu qu’à travers le prisme de la religion, alors que selon elle, c’est bien l’égalité qui est en jeu :
« L’Alliance Citoyenne, à mon sens, s’est fait enfermer dans une revendication confessionale, tout comme le maire et la majorité, et du coup, tout le monde a invoqué ensuite la laïcité, alors qu’il s’agit d’une question d’accès de toutes et tous à un service public, et donc de liberté fondamentale. »
Pour elle, le sujet touche avant tout aux droits de toutes les femmes à disposer de leur corps et à s’habiller comme elles le souhaitent, mais aussi aux personnes trans qui peuvent rencontrer des problèmes d’accès aux services publics.
« Juridiquement, rien ne dit que le maillot couvrant est un problème au regard de la loi. Tous ces règlements sont juridiquement attaquables et par là, discriminants. »
Elle entend entamer des démarches :
« C’est à la justice de rappeler aux collectivités leurs rôles et leurs devoirs. La position de la ville de Grenoble est juridiquement attaquable, mais ce n’est pas un sujet grenoblois. On se trouve face à une majorité de règlements de piscines en France qui sont discriminants, avec justement des politiques qui refusent d’être les garants de l’égalité des droits et de l’accès de toutes et tous au service public. »
Elle souligne par ailleurs une absurdité :
« À Grenoble les femmes ont le droit d’avoir les seins nus sur leur serviette, mais pas dans l’eau et c’est le cas dans plein de règlements dans les piscines. Du coup, si vous restez bien à votre place, vous avez le droit de ne pas avoir de maillot sur vos seins mais par contre, dans l’eau, ça pose problème ? Au nom de quoi ? »
Décidées de leur côté à poursuivre leurs actions et à ne pas lâcher le morceau, Alliance Citoyenne a annoncé vouloir rencontrer le maire Eric Piolle prochainement.
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Crédit photo : Alliance citoyenne (Instagram)
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